Caisse des dépôts : la direction juridique prend des couleurs
Le 8 décembre 2017, Éric Lombard prenait officiellement la tête de la Caisse des Dépôts et Consignations, premier directeur général issu du privé depuis la création de l’Institution en 1816. Et un mois plus tard, le 1er février, Pierre Chevalier succédait à Jean-Marc Morin à la direction juridique. Zoom sur les nombreux changements initiés ces derniers temps.
Transformation ! Tel est le titre du dernier séminaire organisé par la nouvelle direction juridique, fiscale et des services associés (DJFSA) de la Caisse des Dépôts et Consignations. Avec un point d’exclamation, qu’on se le dise ! Le ton est donné : la DJFSA se transforme et pas qu’à moitié. Cette journée n’en est finalement qu’une illustration. Au programme : une table-ronde sur la digitalisation et les legaltech avec Olivier Sichel, directeur général adjoint du groupe, et deux invités extérieurs, Gilles Babinet, champion digital de la France auprès de la Commission européenne et Eve d’Onorio di Méo, fiscaliste et cofondatrice de la legaltech mafiscalite.com – pour « nous enrichir d’expériences extérieures », précise Pierre Chevalier, le nouveau directeur juridique. Ce mardi 5 juin, au Cloud business Center, rue du 4 septembre, le hub est presque comble. Le hub, c’est le grand auditorium. La salle la plus grande, qui peut accueillir près de deux cents personnes.Collaborateurs de la DJFSA, Directeurs juridiques des filiales du Groupe CDC et collaborateurs de l’établissement public concernés par les enjeux de la transformation numérique du droit… l’après-midi a attiré du monde. Et c’est tant mieux car le moment est aussi venu d’une première présentation des nouveaux grands axes stratégiques, sujet de la deuxième table-ronde. Aux côtés de Pierre Chevalier et de Pauline Cornu-Thenard, la nouvelle directrice déléguée : les rapporteurs des quatre groupes de travail mis en place autour de quatre grands axes, chacun représenté par une couleur. Le bleu : s’ouvrir vers l’extérieur. Le rouge : améliorer la relation client. Le vert : ancrer la direction dans ses missions premières. Le jaune : aérer le fonctionnement interne et digitaliser nos moyens. Un projet dans lequel « tous les collaborateurs qui le désirent sont amenés à participer à la stratégie », explique Pierre Chevalier. L’idée étant non seulement d’enrichir la réflexion mais aussi de créer de la convivialité, d’apprendre à se connaître.
Une nouvelle dynamique
Avec ses codes couleur et son titre dynamique, le projet semble tout droit sorti des cogitations d’un cabinet de consulting, mais non. « Ça a le bon goût du fait maison », assure le directeur juridique. « Pierre a fixé un cap, précise Juliette Palliès, responsable de la coordination de la relation métiers, mais il nous a laissés libres de nos propositions. » Les groupes, chacun composés de dix personnes – responsables de secteur, adjoints, juristes ou assistants – se sont réunis toutes les semaines pour proposer, discuter, affiner les suggestions. Un arbitrage sur les propositions a été rendu depuis par la direction, début juillet, pour une mise en œuvre effective dès la rentrée. Chaque groupe continuera à se réunir régulièrement pour la mise en œuvre concrète des propositions, et de nouveaux groupes seront constitués début 2019 pour réfléchir sur de nouveaux sujets.
C’était tout l’objectif de la refonte complète de l’organigramme effective depuis juillet 2017 : renforcer ledit collectif et le mettre au service des métiers. La direction a été réorganisée autour de quatre pôles. « Cela nous permet d’être beaucoup plus lisibles de l’extérieur », précise Pierre Chevalier. S’il n’y avait plus de juristes en régions depuis 2010, une trentaine était encore rattachée hiérarchiquement aux directions métiers. C’est désormais du passé. « Pur produit du groupe CDC », Juliette Palliès a connu les deux systèmes. La jeune femme a commencé sa carrière chez Icade, une filiale du groupe, avant de rejoindre la direction des services bancaires en 2011, puis la direction juridique en 2013. Depuis octobre, elle est responsable de la coordination de la relation métiers au sein du nouveau pôle Partage des connaissances et affaires générales. « Je trouve plus confortable pour le juriste d’être intégré dans une direction juridique unifiée », témoigne-t-elle. « Cela facilite le partage des savoirs et des pratiques. »
Le poste de Juliette Palliès n’existait pas jusqu’ici. Un signe de l’importance accrue que la direction juridique entend donner à la relation avec les clients internes. Car, comme le dit Pierre Chevalier, « il faut porter le droit vers les opérationnels, faire un travail de vulgarisation, amener le juriste à aller vers le client, renforcer la réactivité pour faire faire mentir cette image de moine copiste en haut de sa tour qui délivre des notes sur papier parcheminé ». Entre 2016 et 2017, la DJFSA s’est rendue seize fois dans les directions régionales pour exposer son mode de fonctionnement, huit autres déplacements sont prévus cette année. En 2017 encore, des équipes ont animé diverses formations auprès des directions de l’établissement public comme auprès de leurs clients. En matière de réforme de la commande publique, par exemple, « nous avons fait le tour des métiers pour les sensibiliser sur le sujet », glisse Pauline Cornu-Thenard.
Coordonner
Dans l’intranet, une zone spécifique a également été créée : le portail juridique et fiscal. Un outil ouvert le 1er octobre 2017 dont l’objectif est de « diffuser des analyses et de l’information juridique à destination des directions opérationnelles en les rendant accessibles à des non-juristes. » En coordination avec ses clients internes, la direction a identifié les besoins en documents types, désormais disponibles sur « le portail » : accord de confidentialité, lettre d’intention, termsheet investisseur, convention de compte courant d’associés, statuts de société, etc. Y figurent également des fiches pratiques, des articles d’actualité juridique, un glossaire des termes juridiques et des supports de formation. Au total, apprend-on sur le rapport d’activité 2017, 600 fiches pratiques et 400 modèles d’actes avaient été déjà été consultés au cours des premiers trois mois de mise en ligne.
La coordination de la relation métier a par ailleurs signé des conventions de services avec plusieurs directions opérationnelles, avec pour objectifs principaux d’intégrer leur approche dans les avis et analyses, d’assurer la disponibilité des juristes et leur réactivité, et de créer un réflexe de recours au juriste le plus en amont possible. Quant aux relations avec les avocats ? « On fait beaucoup maison », répond Pauline Cornu-Thenard. En tant qu’institution publique, rappelle Pierre Chevalier, la Caisse des Dépôts se doit d’être conforme aux standards de la commande publique pour le choix de prestations externes. « La direction juridique procède aujourd’hui à une mise en concurrence des cabinets sollicités avant un choix objectivé », dit-il. La CDC s’efforce de faire tourner plus d’une centaine de cabinets, alors qu’ils n’étaient qu’une trentaine il y a six ans. « Nous allons nous organiser vers un système de panels/accords-cadres pour être mieux encore en adéquation avec les standards applicables », indique-t-il. En 2017, la DJFSA est partie à la rencontre des cabinets et des études notariales afin de leur exposer son mode de fonctionnement, avec un focus tout particulier sur les méthodes de travail et la procédure de sélection des conseils.
L’extension des missions
Toujours l’an passé, un système d’information baptisé Ariane a été déployé sur l’ensemble des postes de travail. Système qui permet désormais de travailler en mode collaboratif. Fin 2017, 4 087 dossiers avaient été enregistrés dans Ariane, dont 2 390 étaient actifs. Pour un total de 185 juristes. « En cabinet, un avocat a trois ou quatre dossiers ouverts en permanence, remarque Pauline Cornu-Thenard, en entreprise, c’est trois ou quatre fois plus. » Longtemps avocate, chez Gide, puis chez Linklaters, elle a rejoint la CDC en novembre 2009. Responsable adjointe du droit bancaire de 2012 à 2015, elle a ensuite été nommée directrice adjointe, pour finalement devenir directrice déléguée à la création du poste cette année. Elle dispose d’une délégation de signature du directeur général. « Le délégué a une capacité de décision plus directe sur les dossiers, explique-t-elle, et c’est relativement confortable pour les équipes en termes de reporting. »
« La direction juridique ne s’est vraiment développée qu’en 2008 », raconte Pierre Chevalier. L’activité de l’institution étant souvent contracyclique, avec la crise financière de 2007, le besoin de juristes a énormément crû. Le grand plan de relance de 2009 a donné à la Caisse des missions spécifiques, amplifiant notamment son rôle dans l’accompagnement stratégique des sociétés et le financement des infrastructures. « Des besoins sont apparus sur des secteurs qui n’étaient pas du tout traités », rappelle-t-il. Et en 2012, la direction passe le cap de la centaine de juristes. « On n’a pas cessé depuis lors de recruter pour répondre à l’extension des missions d’intérêt général de la CDC. »
Magistrat judiciaire, Pierre Chevalier n’a pour sa part pas fait carrière dans le milieu bancaire et financier. Il a débuté en 1998 comme juge, avant de rejoindre le ministère de la justice en 2000, puis la direction juridique de l’AP-HP. C’est là, en 2005, qu’il va faire la connaissance de Jean-Marc Morin, son prédécesseur à la CDC, qui dix ans plus tard, alors que Pierre Chevalier est à la Cour de cassation, viendra lui proposer un poste de directeur adjoint. Arrivé à la CDC en 2015, il est finalement promu directeur en février dernier, au moment où Jean-Marc Morin est nommé conseiller auprès du directeur général. Il est le premier directeur juridique à siéger au Comex.
« J’ai bâti ma carrière sur l’idée qu’il faut savoir s’adapter, raconte-t-il. Un vrai juriste est aussi un opérationnel et au bout du compte, la distinction entre les différents métiers du droit a tendance à s’estomper. » Dans une direction juridique qu’il assure être de « très très grande valeur technique », son rôle à lui, explique-t-il, « est aussi de transformer une analyse juridique technique en appui opérationnel pour le directeur général ou pour le métier. » Par son parcours, Pierre Chevalier dit s’être forgé « cette conviction qu’il faut faire bref, être dans la synthèse » : « le droit pour le droit, c’est beau, lire les arrêts de la cour de cassation, c’est exaltant, c’est sûr. Mais mon credo, c’est d’emmener toute la direction dans ce mouvement où nous sommes tous mobilisés dans une lecture opérationnelle du droit. »