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Blanche Savary de Beauregard, pionnière

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Au-delà des clichés et des voies toutes tracées, Blanche Savary de Beauregard, qui a débuté sa carrière comme avocate fiscaliste, est aujourd’hui general counsel de Mistral AI, l’entreprise française spécialisée dans l’intelligence générative qui développe de grands modèles de langage open source et propriétaires. Portrait d’une touche-à-tout.

C'est d’abord la fibre littéraire qui est apparue chez Blanche Savary de Beauregard, titulaire d’une licence de philosophie, et loin d’être ce que l’on appelle une « geek », elle indique dans un sourire qu’elle aurait voulu « tout » faire et « tout » savoir. Elle poursuit ensuite ses études en droit fiscal, avec un master 2 HEC/ Sorbonne et, avocate au barreau de Paris, débute sa carrière au sein du cabinet Cleary Gottlieb, puis Skadden Arps en fiscalité transactionnelle. « J’avais beaucoup de dossiers différents et cela satisfaisait ma nature curieuse, mais les dossiers tech étaient les plus intéressants », se souvient-elle. En 2018, elle rejoint Ledger, une startup qui œuvre dans le domaine des bitcoins et de la cybersécurité. C’est au moment où se façonnent les règles sur les cryptomonnaies. Elle arrive à la direction fiscale et rassemble peu à peu dans son giron d’autres domaines : d’abord le corporate et les douanes, puis le M&A. Elle négocie pour Ledger d’importants partenariats et gère une levée de fonds de série C avant de rejoindre, en 2021, la biotech DNA Script, au sein de laquelle elle crée la fonction juridique et ajoute une nouvelle corde à son arc, la propriété intellectuelle, en travaillant aux côtés des ingénieurs brevets. « Un gros morceau », sourit-elle. En novembre 2023, la toute jeune startup Mistral AI l’embauche comme directrice juridique. « J’étais la salariée numéro 20 », indique-t-elle. Un rang d’embauche qui en dit long sur l’importance accordée à la fonction qu’elle occupe. « Les fondateurs ont eu conscience que s’ils voulaient se développer rapidement, il leur fallait un juriste », dit-elle. Elle estime que dans le secteur de la tech, cette conscience est peut-être plus aigüe qu’ailleurs. « Dans les autres secteurs, les jeunes entreprises ont plutôt tendance à d’abord recruter un DAF qui s’occupe un peu du juridique, mais dans la tech, le droit est au cœur de la stratégie ».

Acquérir une posture commerciale

Arrivée seule d’abord chez Mistral AI, elle créée le service juridique, s’occupe des levées de fonds et de tout ce qui ne peut pas être externalisé. « J’ai commencé par être juriste produit, car c’est une fonction pour laquelle il faut être en permanence aux côtés de la production ». Elle prend en charge l’aspect commercial, puis l’entreprise embauche rapidement quelqu’un à Palo Alto, en raison du décalage horaire. « Un avocat américain, expérimenté, qui a évolué dans le milieu de la tech ». La direction juridique s’est depuis, étoffée, et compte désormais six membres, bientôt huit. « Tous n’ont pas été avocats, mais tous ont travaillé en cabinet ». Si Blanche Savary considère que le barreau est une bonne école, elle ne s’interdit pas forcément de recruter des non-avocats. « Autant c’est intéressant aux États-Unis, où le legal privilege existe, autant en France, nous recherchons la curiosité, l’adaptabilité. Il faut être très bon juriste et aussi très bon business partner. Mais il n’est pas toujours évident pour les avocats d’adopter la posture de business partner ». Blanche Savary le dit d’ailleurs sans détour : il est sans doute plus difficile pour un avocat de se couler dans une posture commerciale que dans une posture tech. Guidée par la curiosité, elle avoue que ce qui lui plaît c’est d’être pionnière. Au cours de sa carrière, elle a suivi les différentes révolutions technologiques : d’abord le bitcoin avec Ledger, témoin de la naissance des règles de fiscalité relative aux cryptomonnaies, puis les biotechs avec DNA Script et enfin l’IA chez Mistral. À chaque nouveau poste, elle a ajouté, comme elle dit « de nouvelles briques à ses compétences » et appréhendé la fonction de directeur juridique autrement.

Quelles attentes ?

Lorsqu’on lui demande ce qu’elle attend de ses avocats, elle répond « pragmatisme et adaptabilité ». Pas question de lui adresser un memo de 50 pages, il lui faut des réponses directes et opérationnelles. « En réalité, on externalise ce que l’on sait le mieux faire », révèle-t-elle. Et ce qu’elle a confié, en premier, à des avocats en devenant directrice juridique, c’était donc la fiscalité ! Elle donne ainsi ses dossiers à des confrères qu’elle a eu l’occasion de côtoyer comme avocate, et organise une mise en concurrence sur les nouveaux sujets qui se présentent lorsqu’elle a besoin d’un spécialiste à la pointe.

Regrette-t-elle d’avoir raccroché la robe ? La directrice juridique répond avec sincérité qu’elle n’a pas l’impression d’avoir quitté la profession d’avocat, mais simplement d’avoir élargi son champ d’action. « En tant qu’avocat, on vient vous chercher comme expert, en tant que juriste d’entreprise, on est au cœur du business et on suit un projet de sa naissance à son achèvement. On enrichit sa vision ».