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Armand Grumberg, le technicien

Par Ondine Delaunay - Photographie : Mark Davies

Associé responsable M&A Europe de Skadden Arps, managing partner du bureau parisien, Armand Grumberg est un avocat rigoureux, précis, technique. Véritablement passionné par son travail et par la matière juridique, il s’engage totalement pour le compte de ses clients et ne compte pas ses heures. Portrait d’un avocat difficilement duplicable et plus humain qu’il veut bien le laisser transparaître.

Impressionnant. Le terme est sans aucun doute celui qui caractérise le mieux Armand Grumberg. D’abord par son physique : il mesure 196 cm et ses sessions quasi quotidiennes à la piscine de l’Interalliée lui ont pour le moins développé les épaules. D’origine autrichienne, il a gardé une rigueur germanique qu’il assume avec une certaine fierté. Tiré à quatre épingles, toujours ponctuel – il a une montre à chaque poignet - le regard droit et le verbe franc, d’un pas décidé, il sait où il va. « Mon indépendance et ma liberté, je n’ai que ça », répond-il sans ambages quand on lui demande, d’un air amusé, s’il fait partie de cercles ou de réseaux d’affaires.

Comme l’on pouvait s’y attendre, son profil LinkedIn va à l’essentiel : docteur en droit, diplômé d’Harvard, associé responsable M&A Europe de Skadden et managing partner du bureau parisien. Avant ça, rien. Et pourtant… Mais Armand Grumberg a une obsession : rester discret. « Je ne suis pas intéressé par le bling-bling, les dîners mondains ou par impressionner la galerie, explique-t-il très sérieusement. Le métier d’avocat ne réside pas dans le paraître, je fais mon job de la manière la plus confidentielle et respectueuse de mes clients. Et le soir, dans la mesure du possible, je rentre chez moi retrouver ma famille qui me donne l’énergie dont j’ai besoin ». Quand il parle de celles qu’il appelle « ma reine et mes deux princesses de ma vie », qu’il sort les vidéos de ses filles lui envoyant des « cris de guerre » pour lui donner du courage le matin, on sent la rigueur du lawyer se fissurer et le cœur d’un papa gâteau se révéler. Finalement cette rigidité le dessert car, au fond, Armand Grumberg est un homme gentil et attentif aux autres. Mais une chose est certaine, il détesterait qu’on le lui dise !

PASSIONNÉ

Armand Grumberg n’a que 48 ans. Il y a six ans, à l’âge de 42 ans, il prenait la tête du pôle européen M&A d’une des plus grandes firmes au monde. À 44 ans, il devenait le patron du bureau parisien. Ce n’était clairement pas un objectif pour lui. Il avoue même que les détails administratifs ne le passionnent guère et qu’il est, fort heureusement, assisté d’une office manager exemplaire. « Je suis un homme de deals », martèle-t-il. Et ces derniers mois, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’en a pas manqué. LVMH/Tiffany & Co, Dassault Systèmes/Medidata Solutions, Scor/Covea, Nokia/Alcatel LucentLe Figaro le cite également comme membre du cercle étroit de Renault pour négocier avec les Japonais le projet de fusion avec Fiat-Chrysler. Il aurait même aujourd’hui trouvé sa place au sein de l’Alliance comme conseil stratégique. Bref. Au-delà d’être un technicien du droit, Armand Grumberg est un stratège. Un businessman au sens propre du terme, celui qui négocie corps et âme.

Il voue une fidélité sans borne à ses clients qui le lui rendent bien. « Je crois à la méritocratie, confesse-t-il en baissant ses lunettes pour nous regarder droit dans les yeux. J’accompagne certains groupes depuis de nombreuses années parce que je m’investis totalement auprès d’eux, je les respecte et je me bats pour eux – no matter what ! » En termes de bataille, Armand Grumberg a fait fort, très fort, pour son client Scor. Il raconte : « J’ai rencontré Denis Kessler en 2002 alors qu’il venait d’être nommé PDG de Scor pour redresser l’assureur. » Le patron est un homme de poigne, d’une intelligence hors norme, mais il sait avancer avec prudence. En dix ans, il est parvenu à multiplier les revenus de l’entreprise par 2,5, passant de 5,8 Mds€ en 2008 à 14,8 Mds€ en 2017. « Alors que j’étais jeune associé, à tout juste 36 ans, il m’a fait confiance et m’a fait intervenir sur la majorité des dossiers stratégiques du groupe », explique l’avocat. Jusqu’à ce qu’arrive la fameuse offre publique non sollicitée de Covéa, en novembre 2018. Or les rouages des OPA, Armand Grumberg les connait parfaitement, puisqu’il s’est toujours positionné dessus, en attaque comme en défense. C’était même le thème de sa thèse de LLM à Harvard. Et dans ce dossier – que certains ont qualifié de véritable thriller financier – l’avocat a sorti les griffes. Médiation, tribunal correctionnel, tribunal de commerce… Armand Grumberg raconte ce dossier d’une voix forte, en s’agitant sur sa chaise : il est passionné. « Il fallait oser ! Mais on a sauvé Scor qui, sinon, serait passé sous le contrôle de Covéa».

Son ancien associé, Pierre Servan-Schreiber, témoigne : « Pour un client, Armand Grumberg est une Rolls Royce. Il est présent à tout moment, a toujours réponse à tout et est extrêmement préparé ». Il poursuit : « Il n’a pas de posture quand il négocie un deal. Il n’est ni agressif et hostile, ni dans la rondeur et la séduction. Il a une approche rationnelle, méthodique. Il a surtout une incroyable mémoire de l’ensemble des clauses du dossier et du contexte, c’est ce qui lui permet de mener la barque. »

FIDÈLE

Pierre Servan-Schreiber parle de son confrère d’autant plus facilement qu’il le connaît depuis quasiment vingt-cinq ans. C’est d’ailleurs lui qui l’a embauché. « C’est la seule personne que j’ai recrutée pendant le premier entretien. Il cochait toutes les cases : trilingue, des études internationales, bosseur, avec l’apparence d’une grande confiance en lui. » Un véritable coup de foudre professionnel. Après un parcours scolaire au lycée français de Vienne, puis un bac passé à Paris, Armand Grumberg s’engage en droit. Il obtient un DESS à Paris V, un doctorat en droit à Paris XII et suit un LLM à Harvard. De ses années d’études, il garde des amis dont il demeure très proche aujourd’hui. La fidélité, c’est une qualité qu’il se reconnaît à lui-même. Que ce soit dans sa vie personnelle, comme professionnelle. Au-delà de Denis Kessler, il travaille depuis quasiment vingt ans pour Isabelle Roux-Chenu de Capgemini, ou encore pour Bris Rocher, le PDG du groupe Rocher spécialisé dans les cosmétiques et les produits de beauté.

En 1997, il commence sa carrière d’avocat au sein de la firme américaine Sullivan & Cromwell. « C’est une école de la technicité, explique-t-il. On y travaillait beaucoup et on apprenait la précision ». Il exerce au sein des équipes parisiennes, londoniennes et new-yorkaises. Très proche de Pierre Servan-Schreiber, il est staffé sur tous les deals de son associé référent. En 2000, lorsque ce dernier décide d’intégrer le bureau parisien de Skadden Arps, le collaborateur hésite à le suivre. Il veut prouver à son mentor, et peut être aussi un peu à lui-même, qu’il peut se développer sans lui. Il lui promet néanmoins de le rejoindre au bout de quelques années. Et trois ans plus tard, il tient parole.

Tout juste avocat mid-level, il intègre la firme américaine avec déjà plusieurs clients importants. « Il a cartonné immédiatement. Il a été nommé associé au bout de deux ans et là, tout a basculé », se souvient Pierre Servan-Schreiber. On le voit apparaître sur des dossiers retentissant comme la défense d’Arcelor face à Mittal Steel, la cession par PPR de Conforama à Steinhoff, sans oublier bien sûr toutes les croissances externes menées par Capgemini. Au fur et à mesure des années, les deux associés interviennent de moins en moins souvent ensemble sur les dossiers. Mais sur les négociations tendues, leur duo continue à exceller : « Nous sommes complémentaires, indique Pierre Servan-Schreiber. Je suis deal maker, il est incroyablement technique et précis. On s’est fait l’un avec l’autre. On se doit beaucoup dans nos carrières respectives ».

L’associé a trouvé sa place au sein de la firme. «Skadden c’est ma maison. Je m’y sens bien, je n’ai pas besoin d’aller autre part », confesse-t-il. Quant à l’équipe parisienne, il tente toujours de la développer, avec le soutien de sa hiérarchie. Il travaille avec une équipe de collaborateurs dont il vante les mérites. « J’essaye de leur donner des responsabilités très tôt pour qu’ils soient en avance sur leur séniorité. À l’image de ce que Pierre a fait pour moi », explique-t-il, tout en reconnaissant qu’il est très exigeant et qu’au sein de la firme, les cooptations sont difficiles. Il se réjouit néanmoins d’avoir réussi à faire voter l’association d’Arash Attar-Rezvani il y a tout juste un an. Le bureau compte désormais quatre associés, six counsels et trente collaborateurs. « Cette nomination s’inscrit dans une stratégie de développement de Skadden sur le marché parisien, où nous comptons accroître et diversifier davantage notre offre de services », explique le managing partner. L’envie est là. Reste à trouver les bonnes personnes car la barre à passer est sacrément haute. 

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