Angelo Piccirillo, le globe-trotter
Directeur juridique du groupe Sodexo depuis 2018, Angelo Piccirillo, un passionné très discret, a accepté de recevoir la LJA pour parler de sa vision du métier qui en dépit de ses mutations reste selon lui, avant tout, une fonction de proximité.
D
ans le bureau d’Angelo Piccirillo, se trouve une longue table de réunion blanche. C’est à l’une de ses extrémités qu’il s’installe pour travailler au quotidien. Derrière lui, un petit meuble, avec une dizaine d’ouvrages juridiques, une machine à café, et la photo en noir et blanc d’un footballeur en action. Ce footballeur, c’est Diego Armando Maradona. Car Angelo Piccirillo est né et a grandi à Naples. Ses parents sont toujours avocats en Italie, avec son frère. Plongé dans la matière juridique depuis l’enfance, il se souvient de l’immense respect de la clientèle du cabinet familial, composée de particuliers et de petites entreprises locales. « Les Noëls étaient extraordinaires », se remémore-t-il, se souvenant que tous les clients envoyaient un petit quelque chose à sa famille. Après des études de droit, il débute sans surprise au sein du cabinet familial, mais aspire très vite à d’autres horizons. Alors, avec en poche un doctorat de droit international obtenu à Rome, il part pour un LLM à l’université Queen Mary et intègre des cabinets londoniens. Curieux et globe-trotter, il part ensuite en Espagne, et décroche un master à l’université de Murcia. Ensuite, ce sera Moscou en cabinet et comme professeur associé de droit international
Lorsqu’il revient travailler en Italie, dans un cabinet d’avocats, il est appelé par la multinationale de l’énergie, la ENI. « En Italie, on dit que lorsque la ENI vous appelle, vous y allez », lance-t-il. Une offre qu’on ne peut pas refuser, en somme. À l’époque, le géant de l’énergie transalpin vient de faire l’acquisition de Bouygues Offshore via Saipem. Angelo Piccirillo est donc envoyé en France, alors qu’il parle à peine notre langue, en mars 2006. « Il faisait froid et il neigeait, je me suis cru de retour en Russie », plaisante-t-il. Pourtant, il trouve rapidement ses marques et se taille une solide réputation dans le domaine des contrats internationaux, si bien que deux ans après, l’entreprise de restauration collective Sodexo le sollicite. « Ce n’était pas du tout mon domaine, pas du tout mon environnement et je n’avais jamais entendu parler de cette entreprise, mais j’ai découvert un univers et je suis resté. J’ai grandi avec l’entreprise », raconte-t-il. Le groupe, qui à l’époque venait de changer son nom de Sodexho pour Sodexo, accélérait son développement à l’international. Qui de mieux qu’Angelo Piccirillo pour l’accompagner ? Il intègre l’entreprise en 2008 en tant que juriste, responsable de l’édification du cadre mondial. « La première personne que j’ai croisée, dans l’ascenseur, lorsque je suis arrivé, a été Pierre Bellon, le fondateur du groupe [décédé en 2022, NDLR]. À tous les nouveaux entrants, il expliquait pourquoi il avait fondé l’entreprise », se rappelle le juriste, fan de la première heure de ce dirigeant charismatique.
Évoluer avec l’entreprise
« Le groupe avait déjà des valeurs fortes et une raison d’être avant la raison d’être, se souvient-il. J’ai tout de suite ressenti un sentiment d’appartenance ». Angelo Piccirillo démarre comme juriste international et découvre les fondamentaux d’un secteur à fort impact social et un groupe international très décentralisé. « Sodexo a grandi vite par croissance externe, c’était une période intense avec de saines interrogations sur l’impact de nos acquisitions. C’est du bon business ».
Et s’il reconnaît que c’était un choc de passer de l’avocature à l’opérationnel, le changement s’est fait dans le bon sens, car il intervient dans les opérations bien plus en amont qu’en tant que conseil externe. Il intègre la petite direction juridique, alors composée de 5 à 6 personnes, et qui s’étoffera au fil des années. « C’est aujourd’hui une fonction indépendante, transverse et globale, qui est partie intégrante de la stratégie du groupe, lance-t-il avec une pointe de fierté. L’indépendance est d’autant plus fondamentale que nous intégrons la conformité ». Aujourd’hui, elle compte environ 40 personnes entre le siège à Paris et le service partagé à Porto, soit environ 200 dans le monde. Avec ses équipes, Angelo Piccirillo a œuvré à la structuration de la fonction juridique du groupe. « Nous avons essayé de penser de façon holistique, en centralisant les profils experts et en créant des socles de compétence au siège, raconte-t-il. Nous avons ensuite placé d’autres personnes qui connaissaient bien le droit local, en région. Cela permet de cadrer, d’optimiser, et de trouver des lignes communes. C’est un fonctionnement top down qui est peut-être critiquable, mais qui a le mérite de réduire le travail de conception au niveau local et les doublons ».
Le DJ, est souvent invité et reporte au board et les échanges avec Sophie Bellon, qui a succédé à son père à la tête du groupe, sont en outre très fréquents. « Notre comité exécutif fonctionne de façon très agile, et il y a souvent des échanges informels entre les services. Par exemple, avec le service achats, le service RH, l’éthique, l’audit et les opérationnels, nous avons pensé, tous ensemble, un groupe autour de l’éthique et de la conformité, déclinées aussi dans toutes les régions du groupe. » Angelo Piccirillo estime qu’il relève de la responsabilité de la DJ de raisonner de façon multidisciplinaire, car c’est son rôle d’insuffler la culture de l’entreprise et d’évangéliser les services. « Je fais le plus beau métier du monde, dit-il avec enthousiasme. Nous sommes à la fois tout et rien. Nous devons tout apprendre et restituer la règle avec un point de vue différent au chef d’entreprise ». Angelo Piccirillo, dans son métier, est en effet adepte du doute socratique.
Au cours des 15 années passées chez Sodexo, Angelo Piccirillo a ainsi contribué à la transformation de la gouvernance du groupe, mis en place un plan d’action et une cartographie des risques conformes aux valeurs de l’entreprise, déjà solidement ancrées. « Nous ne sommes pas seulement les gardiens du temple, nous sommes aussi des évangélisateurs » dit-il, estimant qu’une fois ces lignes mises en place, il faut les mettre en application.
Humanité et proximité
Angelo Piccirillo sait jouer de ses origines italiennes pour appuyer son propos. « Nous sommes une véritable famille professionnelle ». Il estime indispensable de connaître les gens, de comprendre qui va « rentrer dans la famille ». Dans sa façon de manager les équipes, il applique aussi ces principes et privilégie le recrutement de personnes qui ont de bonnes valeurs, qui ont la volonté de rester sur le long terme, de progresser en interne. Il favorise l’émulation, encourage les collaborateurs à aller découvrir d’autres fonctions. Il a d’ailleurs mis sur pied un programme de mentoring pour favoriser les échanges entre les générations et entre les pays. La mobilité est aussi très encouragée. « Notre directrice juridique M&A est devenue directrice juridique pour la France il y a quelques mois, explique-t-il. Et l’ancien DJ France est devenu chief compliance officer et vient de prendre également en charge la data protection ! ». Il lui paraît indispensable de voir de quelle manière les gens peuvent évoluer et s’épanouir. « Au-delà de la compétence juridique des candidats, je cherche l’être humain, qui croit aux valeurs de l’entreprise, qui est capable de sentir que notre métier est avant tout un métier de services et qui veut élargir son horizon. La capacité de remettre en question ce qui a été appris et l’humilité sont aussi des qualités très importantes », rappelle-t-il.
Angelo Piccirillo en est convaincu, la beauté de la fonction de juriste, c’est la proximité. D’ailleurs, il est le seul dans l’entreprise, en dehors de la salle du conseil et de la DRH, à avoir dans son bureau une machine à expresso. « Il est important, dit-il, que les gens qui viennent me voir puissent s’asseoir, tranquillement, déguster un café, se détendre et me parler avec confiance ». À cet égard, il déplore la censure, par le Conseil constitutionnel, des dispositions du projet de loi sur la justice qui garantissaient la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Il avoue ne pas comprendre cette incongruité de la loi française et déplore que les nombreux débats autour de la confidentialité aient abouti à ce maigre résultat, même s’il a au moins le mérite d’être un début. « Nous avons tous été avocats, nous connaissons tous la déontologie. Ce n’est pas parce que sommes en entreprise que nous allons d’un seul coup oublier ces règles éthiques, sous prétexte que nous n’exerçons plus une profession réglementée. Notre serment nous suit toute notre vie », lance-t-il en réponse à des arguments qu’il juge dépassés. La fonction juridique est, selon lui, intrinsèquement liée à la notion de confiance. D’autant que le legal privilege des juristes existe aussi en Italie, pour certains juristes, et dans beaucoup de pays européens. Angelo Piccirillo est d’ailleurs inscrit au barreau espagnol comme avocat non exerçant. Il a été aussi admis au barreau français. Adhérent au Cercle Montesquieu et à l’AFJE, il espère que ses confrères français pourront bientôt, à leur tour, disposer de cet outil désormais indispensable.
Se saisir des sujets émergents
Pour ce début d’année, Angelo Piccirillo, détaille ses projets pour 2024. Il souhaiterait encore renforcer davantage son équipe. Interrogé sur le futur de la fonction juridique dans l’entreprise, il répond qu’il aspire à encore davantage de digitalisation. « Nous avons avancé depuis environ 5 ans, mais pas aussi vite que nous l’aurions voulu. Il faut dire qu’il y a eu le Covid. Nous devons nous débarrasser de nos peurs et encore évoluer dans notre façon de travailler ».
En décembre dernier, la direction juridique a organisé, au sein du groupe, la 2e édition de la journée de lutte contre la corruption. La première édition, avait eu lieu un an auparavant et avait permis de répandre l’épistémè de la confiance, intimement liée au juridique. « Tous ces projets créent de l’enthousiasme », pense-t-il. Il est persuadé que, lorsque la fonction juridique porte la compliance, cela permet d’accélérer la compréhension du business. Angelo Piccirillo a en effet vu, au cours de sa carrière, les sujets de conformité devenir de plus en plus prégnants. « Bien sûr ces sujets existaient déjà, rappelle-t-il, surtout dans le domaine de la restauration collective. Mais les choses étaient un peu éparpillées. Il a fallu, encore une fois, adopter une approche holistique et multidisciplinaire, puis définir un cadre et des process ». La direction juridique a travaillé la question, en associant les opérationnels pour élaborer la cartographie des risques, et la compliance est désormais intégrée.
Il insiste sur la nécessité de créer encore davantage de lignes communes, de modèles de référence, en dépit des particularités locales. En somme, de fédérer.