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Amélie de Braux, juriste innovante et créative

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Amélie de Braux, directrice juridique Europe du Sud, Nord et Moyen Orient pour l’entreprise de cybersécurité Proofpoint, déroule son parcours professionnel, son engagement pour la profession de juriste et explique pourquoi le temps est venu, pour les juristes, de réfléchir à la façon dont ils souhaitent exercer leur profession à l’avenir.

C’est en Bourgogne qu’Amélie de Braux, qui se qualifie de « provinciale » a passé son enfance et ses années de jeune adulte, une région où elle a beaucoup d’attaches et où elle retourne régulièrement. Dans son entourage, elle avait un oncle DRH et surtout un père conseil juridique, qui au moment de la disparition de la profession, en 1992, a refusé d’intégrer la nouvelle profession d’avocat, continuant à exercer comme conseil en entreprise. Grâce à l’activité paternelle, elle a pu très tôt appréhender la culture d’entreprise. Mais c’est à la profession d’avocat qu’elle aspire. Elle s’inscrit en droit à Dijon et civiliste dans l’âme, se prend de passion pour le droit des obligations. En 2e année, elle est impressionnée par le charisme de Madame Pieri, qui enseigne justement cette matière avec passion. Elle s’intéresse beaucoup au secteur de l’innovation et des nouvelles technologies, domaine où tout est alors à inventer. Avec beaucoup d’honnêteté, et avec le recul, elle considère qu’elle a sans doute davantage une inclinaison pour la créativité. « Si j’étais étudiante aujourd’hui, je m’intéresserais peut-être à une autre matière », dit-elle. Elle prend vite conscience de ce qu’avec ses études à Dijon, elle ne peut pas prétendre intégrer les quelques cursus de 3e cycle, alors exclusivement parisiens, en droit de l’innovation. Elle s’inscrit dans un 3e cycle en droit international à l’université de Bourgogne, où elle a la chance de suivre les enseignements d’Éric Loquin, éminent spécialiste du commerce international, « un passionné de la matière juridique et de la transmission ». Une fois son DEA en poche, elle s’inscrit à l’IEJ de sa faculté en vue de passer le CRFPA, un an plus tard. Mais dans l’intervalle, elle trouve le temps long et décide de chercher un stage.

Premières armes et début de carrière

« J’ai envoyé au moins 200 demandes », se souvient-elle. Parmi les entreprises ciblées, toutes dans le secteur des nouvelles technologies, une seule lui répond. Elle est située en région parisienne et s’appelle Computer Associates (devenue CA Technologies). On accepte de la recevoir pour un entretien, mais le jour dit, le dirigeant est finalement indisponible et demande à la directrice juridique de le substituer. Cette dernière est elle même sur le point d’annuler le rendez-vous, avant de s’apercevoir que la candidate est certainement déjà dans le train. « Et c’est là qu’une vraie rencontre a eu lieu », se remémore Amélie de Braux. La directrice juridique se nomme Laure Lavorel (v. son portrait dans LJAM n° 56) et, entre les deux femmes, c’est un véritable coup de foudre professionnel. L’entreprise n’a alors pas de budget, et pas de place pour un stagiaire, mais la détermination d’Amélie de Braux, qui a dit « être prête à payer pour faire le stage », emporte la conviction de la directrice juridique qui la prend sous son aile. Après son stage, elle passe comme prévu l’examen d’avocat, mais échoue, sans regret aucun. « Grand bien m’en a pris, car le stage m’a fait prendre conscience de ce que je préférais une approche pragmatique à l’approche parfois trop théorique que peuvent avoir les avocats », lance-t-elle.

CA technologies lui propose alors de poursuivre, d’abord en CDD, puis en CDI. Elle y restera près de vingt ans. Laure Lavorel, qui la connaît très bien, avait détecté chez la jeune fille cette combinaison atypique de rigueur et de créativité qui font un excellent juriste. « Elle est très scrupuleuse et elle a cette capacité de penser “out of the box”, avec des idées toujours originales ». Laure Lavorel compare volontiers les juristes à des danseurs ou à des pianistes. « Ce qui fait la différence, en plus de la technique qui doit être parfaite, c’est l’interprétation », pense-t-elle.

C’est aussi sous l’égide bienveillante de Laure Lavorel qu'Amélie de Braux intègre le Cercle Montesquieu, d’abord comme simple membre, avide d’échanger avec ses pairs et de réfléchir avec d’autres sur des sujets qui intéressent la profession, comme elle le fait avec sa mentore. Et naturellement, lorsque Laure Lavorel, qui a fondé la Factory du Cercle et le co-dirige avec Olivier Belondrade, est élue à la présidence du Cercle Montesquieu, elle lui passe le flambeau de la co-direction du groupe de travail qui réfléchit notamment à l’influence des nouvelles technologies sur la profession de juriste. Lorsque Martial Houlle succède à Laure Lavorel, Amélie de Braux et Olivier Bélondrade, qui s’entendent très bien, décident de continuer cette œuvre d’émulation. « C’est important d’échanger avec des gens qui n’ont pas le même point de vue », estime-t-elle, considérant que l’importance prise par le numérique au sein des directions juridique est cruciale. Laure Lavorel, qui ne s’y est pas trompée sur sa successeure, savait qu’elle pourrait compter sur son implication et sa capacité de donner aux autres. « C’est une femme de parole », souligne-t-elle. De fait, l’engagement d’Amélie de Braux, aujourd’hui vice-présidente de l’association, ne se dément pas.

L’émancipation

Après le rachat de CA Technologies par Broadcom, Amélie de Braux décide de quitter le groupe, notamment en raison de divergences avec la nouvelle équipe dirigeante. « Une décision difficile à prendre », pointe-t-elle, notamment parce qu’elle avait toujours travaillé avec Laure Lavorel qui avait, de son côté, décidé de rester. À ce moment de sa carrière, elle considère qu’elle doit se tourner vers des entreprises de taille plus modeste, qui cherchent à se développer en Europe. Elle est recrutée, juste avant le confinement, par Splunk, une entreprise californienne qui commercialise un outil numérique de reporting. « Une bonne entreprise mais qui manquait d’ouverture », estime-t-elle. Amélie de Braux sent que l’équipe dirigeante est rétive à l’intégration des droits locaux vers laquelle elle pousse et manque de stratégie. « Tout était centralisé, nous étions des exécutants et au bout d’un moment j’avais l’impression d’être enfermée dans une boîte ». Une situation qui ne convient pas à quelqu’un de créatif comme elle. Elle part après 18 mois, avec une pointe de regret, car elle avait d’excellentes relations avec les opérationnels, ses clients internes. Avec le recul, elle constate que cette entreprise américaine n’avait pas conscience du fait que le marché européen n’est pas uniforme et de la diversité des systèmes législatifs sur le vieux continent. « On ne s’adresse pas à un italien comme on s’adresse à un suédois », relève-t-elle, considérant que c’est, paradoxalement, un travers assez répandu outre-Atlantique. « Il y a beaucoup de frilosité et de crainte, notamment vis-à vis du droit social. Il faut faire beaucoup de pédagogie et cela finit par être épuisant », considère Amélie de Braux, qui choisit finalement de rejoindre une autre entreprise américaine, opérant cette fois dans le domaine de la cybersécurité, Proofpoint.

« C’est un tout autre monde, avec un côté très secret, nous sommes fiers de ce que l’on fait et de ce que l’on apporte, mais nous ne pouvons pas le dire », annonce la directrice juridique. En cela, Amélie de Braux estime que cette discrétion feutrée se rapproche de ce qui se passe au sein des cabinets d’avocat. Elle se dit ravie d’avoir rejoint une entreprise qui est « une machine à innovation qui ne s’arrête jamais » et correspond davantage à son tempérament. Au sein de l’entreprise, elle est seule en charge de 15 pays de la zone EMEA, aux côtés d’un homologue basé en Angleterre et d’une autre directrice juridique basée en Allemagne. Elle s’occupe des opérations juridiques liées à l’activité commerciale dans ces 15 pays et du droit social sur lequel elle considère passer trop de temps. « Là aussi, il y a beaucoup de pédagogie à faire auprès des instances dirigeantes et il est difficile de voir le résultat ».

Chez Proofpoint, le GC américain reporte au DAF. Il siège au comex, mais pas au board. Une situation inédite pour Amélie de Braux. « Cela le place en position délicate, car ses décisions peuvent être biaisées par ce rapport hiérarchique, et ce n’est pas forcément le gage d’une indépendance totale », pense-t-elle. Mais pour l’heure, ses aspirations créatrices sont satisfaites. « Il y aura toujours des hackers et les menaces évoluent constamment, c’est un défi permanent que de s’y adapter en réinventant sans cesse », observe-t-elle. Elle s’étonne d’ailleurs que la cybersécurité ne soit pas au cœur des préoccupations de entreprises et qu’encore trop souvent, les évolutions dans ces domaines ne se fassent qu’a minima, y compris dans les cabinets d’avocats.

Réinventer la profession de juriste

Cette propension au renouvellement se manifeste aussi dans ce à quoi Amélie de Braux aspire pour la profession de juriste et pour ses confrères. Et lorsque l’on aborde le sujet de l’IA générative pour les juristes au prisme des risques, elle renverse la proposition. « Le plus grand risque pour les juristes, c’est qu’ils ne se servent pas de l’IA ! Ce serait alors la fin de notre espèce », dit-elle, considérant que les discours alarmistes des uns et des autres conduisent à rejeter l’application de l’IA aux juristes. « Le juriste est souvent atteint du syndrome du Saint-Bernard ou du médecin qui soigne tout le monde, mais qui va mourir de son propre cancer », poursuit-elle. Elle constate que les directeurs juridiques croulent sous le travail et ne parviennent pas à prendre du recul pour réfléchir à une stratégie globale pour leur propre service. « Souvent leur ambition se limite à accompagner le CEO dans sa stratégie. C’est tout à fait insuffisant ». Elle rappelle que selon un récent rapport, 73 % des tâches accomplies par les juristes sont inutiles (v. notre article dans LJAH 1659). Un chiffre effarant, dont fort heureusement sont épargnés les services, trop rares, ayant à leur tête des directeurs au profil entrepreneurial, et qui ont les capacités de construire un plan stratégique, un business plan et d’innover. Amélie de Braux note cependant que nombre d’homologues, ne prennent pas le temps de réfléchir et de penser à la profession de demain, débordés par leur quotidien et aussi par une certaine appréhension. « Chez certains, la peur du changement est plus forte que la peur de mourir », constate-t-elle, fustigeant ce qu’il faut bien appeler une forme d’apathie. « La direction juridique se plaint d’être vue comme un centre de coût, mais elle ne fait pas grand-chose pour se vendre autrement », souligne Amélie de Braux. Et de constater qu’en dehors du montant des honoraires d’avocats décaissés, du nombre de juristes dans le service et des salaires, elle ne propose pas d’autres données. Il faut aussi dire qu’il est rare qu’on lui donne des chiffres pertinents. Comment savoir combien une intervention du juriste a fait économiser, voire gagner à l’entreprise ? On ne sait, en général, pas où trouver ces données pour mettre en lumière le retour sur investissement. « Les juristes, qui sont pourtant au centre de tout, sont éloignés de tout », déplore-t-elle. Et d’exhorter ses homologues à s’efforcer, comme leurs collègues au sein de l’entreprise, à parler avec des chiffres et à élaborer des plans stratégiques pour eux-mêmes, voire même construire leur budget en mentionnant bien les produits aux côtés des charges. « Il faut d’abord se soigner soi-même pour pouvoir aider les autres », rappelle-t-elle.