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Alexia Delahousse : penser le monde de demain

Par Anne Portmann

Alexia Delahousse a intégré la fintech Qonto en 2019, pour y construire la direction juridique. Elle déroule pour la LJA le fil de sa carrière professionnelle et explique pourquoi il est important pour le directeur juridique de faire grandir et de fédérer les membres de son équipe, en lien avec l’opérationnel.

priori, rien ne poussait Alexia Delahousse à faire du droit. Elle a grandi à Paris, au sein d’une famille où son père était médecin et sa mère architecte. « Deux professions réglementées par un ordre », relève-t-elle cependant. Elle suit la voie scientifique, sans conviction, car les mathématiques ne sont pas vraiment son fort. Après une prépa HEC, elle rejoint la prestigieuse école de commerce. C’est à ce moment-là qu’elle décide de suivre, en parallèle de son cursus commercial, des cours de droit par correspondance avec le CAVEJ, Centre audiovisuel d’études juridiques – devenu l’IED-EDS (Institut d’études à distance de l’école de droit de la Sorbonne).

Un stage effectué à San Francisco, au sein d’un cabinet d’avocats, la convainc. Suivent d’autres stages, notamment au Japon, chez Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, ce qui achève de développer son goût pour l’international. C’est sur les bancs de HEC qu’elle rencontre Anne-Caroline Payelle, aujourd’hui associée chez A&O Shearman, qui devient son amie. Toutes deux ont choisi la major juridique et fiscale. « Alexia comprend tout, elle est brillante et semble effortless » estime l’avocate, qui ne cesse de s’étonner de la fluidité avec laquelle elle est capable d’aborder tous les sujets et de saisir très vite les enjeux d’un dossier.

Convaincue par cette orientation, Alexia Delahousse entre à l’EFB en 2010, puis débute sa carrière comme avocate. Après un premier contrat de collaboration chez Baker McKenzie à Londres, où elle exerce au sein du département M&A, elle revient à Paris, d’abord chez Baker, puis rejoint le département corporate de Dechert. « J’ai beaucoup apprécié exercer en cabinet d’avocats. C’est exigeant et souvent fatigant, mais les liens qui se tissent entre collaborateurs sont très forts créant un sentiment d’appartenance à la firme et une culture juridique partagée ». C’est d’ailleurs au sein du bureau parisien de Dechert qu’elle fait la connaissance de Guillaume Briant, alors collaborateur et aujourd’hui associé chez Stephenson Harwood, qui ne tarit pas d’éloges à son égard. « Alexia est quelqu’un d’assez exceptionnel. Elle a des capacités d’analyse et d’observation très fines. Forte d’un esprit très pratique, elle sait très vite démêler ce qui est important de ce qui ne l’est pas ». Mais après sept ans de barreau, la compétitivité permanente qui règne dans le milieu des lawyers commence à lasser l’avocate. Elle examine alors des alternatives pour la poursuite de sa carrière.

En 2018, Alexia Delahousse est approchée par un chasseur de têtes. L’avocate a développé une véritable passion pour le secteur des nouvelles technologies, qui est alors en ébullition en France, notamment dans le domaine des crypto-monnaies. Elle rejoint la licorne française Ledger, qui vient d’effectuer une importante levée de fonds. « Ils avaient décidé d’étoffer leur équipe juridique avec des juristes senior », se souvient-elle. Séduite par le défi, elle intègre la fintech, persuadée que cette aventure en entreprise n’aura qu’un temps et qu’elle reprendra la robe plus tard. Cette expérience pourrait même lui servir pour sa carrière d’avocate. C’est en réalité tout le contraire qui se produit. « Je pensais que la voie royale de carrière, c’était d’être avocat. J’ai totalement changé d’avis aujourd’hui », lance-t-elle. Elle apprend à connaître le métier de juriste qu’elle ne pensait pas si passionnant. « On appréhende davantage l’aspect business en entreprise », s’enthousiasme-t-elle. Le rythme de travail lui plaît, tout comme la diversité des tâches. « J’ai appris plein de choses nouvelles et découvert de nouveaux métiers et une nouvelle façon de faire du droit ». Prenant rapidement ses marques, elle se retrouve à s’épanouir bien plus qu’en cabinet. Anne-Caroline Payelle, qui continue à travailler avec elle, ne s’en étonne pas. « Elle a un vrai côté entrepreneurial et un poste en entreprise correspond bien à son côté touche-à-tout. Elle aime suivre un projet de A à Z », dit son amie.

Partir de zéro

En 2019, la fintech Qonto, alors en pleine expansion, cherche à créer en son sein la fonction de directeur juridique. L’occasion est trop belle. « C’était une nouvelle page à écrire, il y avait tout à faire », raconte Alexia Delahousse qui se voit confier d’importantes responsabilités. Dans son scope, elle a le juridique et les affaires publiques et partage la RSE avec un autre service. Elle reste seule aux manettes pendant deux ans avant de former son équipe. « Lorsque l’on recrute, on se demande par où commencer, car on a besoin d’aide sur tous les fronts », se remémore-t-elle. Elle décide d’abord de recruter une personne au profil diamétralement opposé au sien, un universitaire et expert des données personnelles et des contrats, tout en restant assez généraliste. Les deux recrutements suivants seront dans la même veine : des compétences diverses, mais des juristes généralistes. Puis la croissance de l’entreprise pousse la directrice juridique à structurer son équipe, qui s’était étoffée, de manière différente. Elle détaille : « Nous avons constitué des pôles de compétences, avec une partie contentieux, une partie corporate et fiscalité, une autre axée contrat/IP/ RGPD et une dernière spécialisée en réglementation bancaire et financière, tandis que les relations avec le régulateur sont gérées par un autre service ». Une organisation qui a toujours cours aujourd’hui. Pour faire partie de l’équipe juridique, un élément a été déterminant pour Alexia Delahousse, c’est l’agilité intellectuelle des candidats. « Chez Qonto, il y a beaucoup d’aléa, explique-t-elle. Il faut donc être capable de s’adapter, de réagir, d’ajuster ses objectifs en fonction ».

Alexia Delahousse reporte au CEO de l’entreprise, Alexandre Prot, et depuis peu également à la CFO, Anita Szarek. Impliquée au cœur de la stratégie de la fintech, elle s’efforce de faire en sorte que les managers de chaque pôle soient présents lors des réunions business qui intéressent leur secteur. « J’ai obtenu que chaque manager soit lié à l’équipe opérationnelle qui l’intéresse et participe à ses rituels comme s’il en faisait partie », se réjouit-elle. Chaque trimestre, elle fait le point avec les équipes opérationnelles, leur demandant de quelle façon le service juridique les a aidées à atteindre leurs objectifs. Cette performance, le « net promoter score » ou NPS, est calculée grâce à un système d’évaluation précis et des outils collaboratifs. D’où l’importance d’avoir, au sein de la direction juridique, des personnes qui ont à cœur de rendre visible le travail de l’équipe. Elle poursuit : « Désormais, les opérationnels nous identifient bien et il devient un réflexe pour eux de travailler avec nous ». Et ce d’autant que l’équipe est assez stable, avec les mêmes managers depuis le début.

Guillaume Briant, qui continue à travailler avec Alexia Delahousse puisqu’il fait partie du panel d’avocats de Qonto, vante d’ailleurs les qualités managériales de la directrice juridique. « Elle sait prendre le temps et endosse volontiers le rôle de grande sœur pour aider les gens à grandir », témoigne-t-il. À cet égard, il raconte avoir été marqué par une technique de management particulière qu’elle applique à tous les nouveaux venus dans le service, celui de l’atelier des cocottes. « Il s’agit de demander aux candidats de fabriquer une cocotte en papier, soit tout seul, soit à la chaîne avec d’autres collaborateurs. Cette technique souligne les bienfaits du travail en équipe ». Il l’a vue aussi encourager les membres de son équipe à identifier des techniques qui peuvent leur faire gagner 30 minutes dans leur travail. Selon lui, sa capacité de perception exceptionnelle, qui est un atout pour la négociation, en est aussi un pour le management. « C’est une bonne manager car elle a vraiment le souci des autres », complète Anne-Caroline Payelle.

La RSE, un sujet fédérateur

Le développement des initiatives RSE a été une bonne occasion de fédérer l’équipe et de créer une pratique ayant un effet mobilisateur auprès de ses membres. Au-delà de l’aspiration personnelle qui portait Alexia Delahousse vers ce sujet, elle a surtout identifié les besoins juridiques de l’entreprise sur ce plan en raison, notamment, d’une réglementation complexe. Même si la publication d’un rapport CSRD ne sera obligatoire qu’en 2026, chez Qonto, l’équipe juridique a pris de l’avance et a décidé, dès à présent, de défricher les problématiques et de produire un rapport pour 2025 sur les éléments identifiés en 2024. « Nous sommes à mi-chemin de la production de ce premier rapport », annonce la directrice juridique avec une pointe de fierté. En interne, les juristes se sont employés à faire voir le côté positif de ces obligations à venir auprès des opérationnels, le liant à la raison d’être de l’entreprise. La directrice juridique voit loin et crée les conditions pour embarquer les salariés dans le monde de demain. T