Perquisitions et OVS : comment se protéger ?
Depuis quelques années, les professionnels du droit font état d’un accroissement du nombre d’opérations de visite et de saisie (OVS) et de perquisitions dans les entreprises ou au sein des domiciles des dirigeants. La Cour des comptes a même récemment recommandé de multiplier ces mesures en matière fiscale. Il y a quelques mois, la Cour de cassation a considérablement réduit le champ des documents insaisissables à l’occasion de ces opérations, alors même que le comportement des dirigeants qui feraient obstacle aux opérations est sévèrement sanctionné. Comment anticiper ces situations ? Comment réagir ? Quels sont les recours possibles ?
L’état du droit positif
David Père : Les perquisitions et les OVS mettent en lumière une confrontation des cultures : d’un côté celle de la transparence et de la gestion des risques propres aux entreprises, et de l’autre, l’approche de certains juges d’instruction et enquêteurs, qui intensifient leurs interventions en entreprise. Ils ne s’en cachent pas d’ailleurs. À cet égard, l’ouvrage Argent sale : la traque, rédigé par un ancien enquêteur de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) illustre cette tendance. L’auteur explique qu’il applique aux dirigeants d’entreprise les mêmes méthodes de traque utilisées contre les délinquants.
Les avocats doivent inciter les entreprises à adopter une approche à contre-courant face au risque pénal. L’entreprise sait très bien mettre sous cloche certaines informations. Par exemple, dans le cas d’appels d’offre d’envergure, il est prévu la mise en place de salles bunker avec messageries sécurisées, interdiction d’imprimer, etc. Mais très souvent, face au risque pénal et à la crainte du juge, l’entreprise hésite à avoir recours à de telles pratiques. L’objectif n’est pas de dissimuler des éléments, mais d’anticiper les risques de perquisition.
Dans les grands groupes internationaux, il faut surtout rappeler aux équipes basées dans d’autres juridictions que le directeur juridique français n’est pas couvert par le legal privilege. Il convient d’éviter de lui envoyer les écrits sur certains sujets stratégiques. C’est drastique, mais indispensable.
Olivier Catherine : Jusqu’à récemment, il existait un régime à deux vitesses. Les OVS étaient conduites par les autorités administratives indépendantes et les perquisitions menées par l’autorité pénale, chacune obéissant à des règles procédurales propres. Ce système avait l’intérêt d’une certaine clarté. Dans le cadre des OVS, il existe des voies de recours immédiates, les correspondances avocat-client sont mises sous scellés, la présence de l’avocat est autorisée… Dans le contexte de pénalisation croissante de la vie des affaires, certaines autorités – avec la bienveillance du parquet national financier – tentent désormais de passer par la voie pénale pour mener leurs opérations, notamment dans des domaines comme le droit de la concurrence et le droit boursier.
En passant par la voie pénale, l’autorité administrative indépendante (l’AAI) s’affranchit totalement du régime classique des OVS pour rentrer dans celui, bien moins protecteur, de la perquisition. Une telle pratique crée un déséquilibre au détriment des entreprises qui font l’objet de ces mesures. J’ai vu des avocats expulsés des opérations, quasiment sous menace de menottes. J’ai également assisté à des saisies intégrales de documents, y compris les correspondances avocat-client pourtant expressément mentionnées comme tel. Aucun scellé provisoire n’a été réalisé : or même si on nous restitue un jour ces documents, les enquêteurs auront évidemment pu prendre connaissance de leur contenu pour orienter leur enquête. Dans un groupe international, les juristes de nos filiales étrangères sont sidérés de ces pratiques dans la patrie des Lumières et des droits de l’Homme. Je ne suis pas certain que cela contribue à l’attractivité juridique de la France.
Lucie Mongin-Archambeaud : Les mises sous scellés provisoires sont en effet un point de crispation en matière de perquisition. Depuis de nombreuses années, sont mises en œuvre des saisies globales de messageries qui contiennent nécessairement des correspondances entre l’avocat et son client, donc couvertes par le secret professionnel. Avant la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021, des mises sous scellés pouvaient être acceptées en pratique. Toutefois, la Cour de cassation estimait que la mise en œuvre de la procédure de scellé fermé provisoire n’était qu’une faculté laissée à l’appréciation des enquêteurs, et en aucun cas un droit pour l’entreprise visée (Crim, 11 juillet 2017, n° 16–81. 041).
Depuis la promulgation de la loi, les textes sont clairs : en matière pénale (56‑1-1 CPP), dès lors que la personne, chez qui ces opérations ont lieu, s’oppose à la saisie du document, alors il doit être placé sous scellés fermés. Dans un arrêt du 24 septembre 2024, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser que cette mise sous scellés provisoire n’est prévue que pour la matière pénale. Elle ne s’applique ni pour le droit de la concurrence, ni pour le droit de la consommation ou le droit fiscal.
François Jambin : Concernant le sujet des perquisitions et des OVS, on assiste à la confrontation d’un certain nombre de principes fondamentaux de notre droit. D’un côté l’incontournable liberté d’entreprendre et son corollaire la fluidité des échanges dans la vie des affaires, et de l’autre l’indispensable régulation étatique pour un contrôle de la « main invisible du marché » et le respect de l’ordre public économique. Dans le cadre spécifique d’une enquête pénale, il convient également de s’interroger sur l’articulation entre la recherche de la preuve et les droits de la défense. Le contrôle de proportionnalité permet de vérifier concrètement que l’application d’une règle de droit interne ne conduit pas à porter une atteinte disproportionnée à un droit fondamental garanti par une convention internationale au regard du but légitime poursuivi par cette règle.
À titre d’exemple, dans un arrêt rendu le 16 mars 2017 (Affaire Modestou c. Grèce), la CEDH a jugé à l’unanimité que sans justification pertinente et suffisante, un mandat de perquisition au domicile privé et professionnel conduit à violer l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit le droit au respect de la vie privée, familiale, du domicile et de la correspondance. Depuis la loi du 3 juin 2016, ce principe de proportionnalité a d’ailleurs fait son entrée à l’article 39‑3 du code de procédure pénale qui pose que le procureur de la République contrôle, entre autres « la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits »
Emmanuel Marsigny : Ce principe n’est malheureusement pas encore suffisamment intégré par les acteurs. Le droit positif ne confère que peu de moyens de défense aux entreprises qui par ailleurs ne peuvent s’opposer à la perquisition sous peine d’infraction pénale. Depuis la loi Perben 2 de 2004, les enquêteurs ont la possibilité de saisir les données numériques ce qui constitue l’enjeu principal des perquisitions. Les entreprises sont donc contraintes de donner les codes d’accès aux serveurs, y compris ceux logés à l’étranger, sous réserve des traités internationaux. L’objectif est de tout capter, avec les problèmes qui en découlent à savoir les éléments de la vie privée des salariés – un salarié a d’ailleurs intenté récemment un recours sur ce fondement mais la Cour de cassation l’a rejeté –, des éléments classés secret défense, même si une procédure particulière est prévue sur ce point, et bien sûr les correspondances entre avocat et client couvertes par le secret professionnel. Comment l’entreprise peut-elle se prémunir de ces saisies ? Objectivement, elle a très peu de moyens sauf à encourir le délit d’obstruction et d’entrave à l’enquête.
Lucie Mongin-Archambeaud : Comme l’a expliqué à l’instant Olivier Catherine, nous avons constaté un recours à la procédure pénale pour des dossiers en matière de droit fiscal. On le voit aujourd’hui de plus en plus dans les dossiers de la DGCCRF, en matière de consommation. Même si le droit à assistance de l’avocat n’est pas prévu en matière pénale, nos clients ont parfois le bon réflexe de nous appeler, et je dois reconnaître que nous avons été admis dans plusieurs perquisitions pénales. Nous y jouons un rôle important, notamment quant à la vigilance de notre secret professionnel. Nous sommes plus que légitimes, en tant qu’avocats, à nous opposer à une saisie de correspondance couverte par le secret professionnel. Nous pouvons être également dans le traitement des mots-clés. Je note qu’il est moins facile de faire écarter, comme cela pouvait être le cas dans le passé, tous les échanges entre le client et la liste de ses avocats que nous remettions aux enquêteurs. Dorénavant, les enquêteurs sont moins attentifs à l’émetteur/destinataire de la correspondance, et plus focalisé sur le contenu de celle-ci.
La jurisprudence française a, petit à petit, grignoté le secret professionnel des avocats laquelle le cantonne à « l’exercice des droits de la défense », solution jurisprudentielle contra legem dans la mesure où le secret professionnel de l’avocat s’applique « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense » (décret 1971).
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire nous avait apporté un certain espoir car le texte comportait un article préliminaire prévoyant la protection du secret professionnel pour le conseil et l’exercice des droits de la défense. Cependant, la circulaire d’application du 28 février 2022 est interprétée comme accordant la protection du secret du conseil uniquement aux conseils apportés par l’avocat à son client après la commission de l’infraction. Rappelons néanmoins l’arrêt de la CJUE du 26 septembre 2024 (C.–403/23) qui est fondamental en ce qu’il ne distingue pas l’activité de défense de celle de conseil. La cour précise en effet : « la protection relative au secret professionnel des avocats se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. Cette mission fondamentale comporte l’exigence que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin ». La CJUE a ensuite réaffirmé que les consultations juridiques bénéficient d’une protection au titre du secret professionnel et que tout atteinte à cette protection, même dans le cadre des enquêtes fiscales, est contraire aux exigences fondamentales du droit de l’Union européenne. Nous nous interrogeons sur la façon dont vont être réconciliées ces jurisprudences qui sont en contradiction totale avec la position française étroite du secret professionnel.
Donatien de Longeaux : Le secret professionnel des banques n’est pas suffisamment respecté par les enquêteurs qui perquisitionnent même s’il ne leur est pas opposable. S’ils ne saisissent pas les documents, ils examinent volontiers le contenu des échanges entre les avocats et les juristes à partir des ordinateurs de ces derniers. Et c’est notamment pour cette raison que le legal privilege du juriste d’entreprise doit impérativement être adopté en France, au même titre que de nombreux autres pays de l’OCDE. C’est aussi un enjeu de souveraineté.
L’anticipation de l’entreprise
Jean-Benoît Devauges : La complexification et la densification des textes ainsi que la pénalisation du droit des affaires font de la réalisation du risque de perquisition ou d’OVS une réalité plausible pour les entreprises de toute taille, indépendamment des perceptions qu’elles peuvent développer. L’évènement doit donc impérativement être anticipé. L’anticipation et la préparation sont les clés de voûte de la gestion de ce risque.
Cela suppose d’abord de sensibiliser l’équipe dirigeante à la réalité de ce risque ainsi qu’à ses implications. Il convient ensuite d’identifier les principaux acteurs qui seront concernés au sein de l’entreprise, et enfin, de mettre en place et « socialiser » un protocole opérationnel permettant de gérer la survenance de ce type d’évènement de la façon la plus efficace et fluide possible, en gérant les risques au mieux.
Concrètement, il faut que toute la chaîne concernée dans l’entreprise soit identifiée et formée : du PC accueil à la direction de la sécurité, en passant par les services IT et bien évidemment à la direction juridique ou à la direction fiscale selon les cas, tous les acteurs doivent avoir une partition permettant à chacun de jouer son rôle efficacement le jour de l’événement. Des fiches pratiques doivent rappeler de façon synthétique et vulgarisée aux divers acteurs les différentes étapes de l’événement, et donner des consignes claires sur ce qu’ils doivent faire et ne pas faire. Évidemment le niveau d’information est adapté aux acteurs concernés. À titre d’exemple, le PC sécurité devra vérifier le titre de visite, prendre l’identité de la personne qui dirige l’opération, et alerter immédiatement la direction de la sécurité et la direction juridique. La responsabilité et le rôle moteur dans la gestion de l’évènement reviendra ensuite à la direction juridique ou fiscale, en lien avec la direction de la sécurité, la direction des systèmes d’information et les autres acteurs éventuellement concernés.
Bien entendu toutes les visites ne se ressemblent pas. Avoir à accueillir et gérer un ou deux officiers de police judiciaire n’est pas le même exercice que d’avoir à accueillir un procureur accompagné de 40 enquêteurs, sur plusieurs sites. Mais encore une fois, la clef d’une gestion réussie suppose d’anticiper des questions aussi « terre-à-terre » que la disponibilité de salles suffisamment grandes pour rassembler tout le monde, canaliser les visiteurs et éviter la circulation éparpillée dans l’entreprise.
François Jambin : En matière pénale, on le sait, les premiers moments de l’enquête sont décisifs. C’est pour cette raison qu’il n’est pas inutile de se doter d’une procédure d’accueil des autorités qui permette d’éviter une désorganisation interne, de ne pas faire attendre les enquêteurs en les mettant en relation avec les personnes clés de l’entreprise. En pratique, du fait de la diversité des enquêteurs potentiels et des régimes très distincts de la perquisition et des OVS précédemment évoquée, il peut être parfois difficile, pour ne pas dire éprouvant, pour les personnels d’accueil de savoir à qui s’adresser. Ceux-ci doivent donc être sensibilisés à la nécessité de prévenir sans délai les directions juridique et la sécurité afin de déclencher les mesures d’accompagnement adaptées.
Donatien de Longeaux : Toute organisation se doit désormais de préparer l’ensemble des collaborateurs qui peuvent être directement ou indirectement concernés – on se demande même qui pourrait ne pas être concerné dans une entreprise comme une banque où il semblerait que tout est susceptible d’intéresser les enquêteurs. La question se pose de savoir jusqu’où peut aller ce travail de préparation ? La sensibilisation est essentielle, et il faut des procédures déclinées suivant la législation en vigueur dans chaque pays. Je me souviens néanmoins qu’un document très simple, présenté sous format A4, qui s’intitulait « règles à suivre en cas d’enquête » et disposé à plusieurs endroits, avait été saisi par les enquêteurs comme soupçon de ce que l’entreprise se protégeait contre le risque de visite.
David Père : Il est en effet assez fréquent que les enquêteurs considèrent que se protéger est en soi un aveu de culpabilité. Mais l’argument ne tient pas devant le juge.
Donatien de Longeaux : Sans doute, mais la pratique crée une forme de perturbation interne et les salariés peuvent reprocher à l’entreprise de les exposer à un risque en affichant de tels documents pourtant conçus pour les aider dans la posture qu’il convient d’adopter, sans incitation particulière à la moindre réticence dolosive.
Emmanuel Marsigny : Comme disait Léonard de Vinci, ne pas prévoir, c’est déjà gémir.
Il est indiscutable qu’entre les visites des AAI et des enquêteurs, voire les articles 145 CPC, l’entreprise doit impérativement avoir un protocole de perquisition. Et l’attention des équipes doit être constante, car je rappelle que dans le cadre de nouvelles règles sur la criminalité organisée auxquelles les entreprises peuvent être soumises, comme dans le cas de blanchiment en bande organisée par exemple, les perquisitions peuvent désormais avoir lieu la nuit. Et j’ajoute que le droit permet, pour toute infraction punie de plus de deux ans d’emprisonnement, de capter à distance les boites emails.
Réagir à la saisie de documents
Emmanuel Marsigny : L’avocat peut être présent pour les OVS, mais pas encore en matière de perquisition pénale. Je ne suis pas certain que la situation va évoluer tout de suite sur ce point. Et la vraie question est : présent pour quoi faire ?
François Jambin : C’est une longue conquête au regard de l’histoire des droits de la défense : longtemps l’avocat est resté à la porte du juge d’instruction. Sa présence en garde-à-vue est récente. Plus récemment, dans le cadre des débats parlementaires préalables à l’adoption de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, il avait été demandé que le justiciable qui fait l’objet d’une perquisition ait le droit d’être assisté par un avocat. Cela n’a pas été retenu. En revanche, comme il a été dit, le législateur a consacré un droit nouveau pour le justiciable qui fait l’objet d’une perquisition, celui de s’opposer à la saisie d’un document couvert par le secret professionnel de l’avocat.
Ne désespérons pas sur le fait qu’un jour, l’avocat puisse être présent pendant les opérations de perquisition. Reste à savoir si cela sera avant ou après la reconnaissance du secret professionnel des juristes d’entreprise/ in house. À ce jour, deux propositions de lois visant à garantir la confidentialité des consultations des juristes d’entreprises, déposées devant l’Assemblée nationale et le Sénat, ont été adoptées en première lecture, respectivement en décembre 2023 et en février 2024 et transmises à l’autre chambre. Le processus législatif est depuis lors figé, pour les raisons que l’on sait.
Emmanuel Marsigny : Lorsque l’avocat est présent, il peut réagir rapidement à l’opération. Il lui est possible de contacter le juge des libertés et de la détention (JLD) qui a autorisé la visite – mais l’on voit mal comment il pourrait ensuite considérer la mesure comme non proportionnelle. La Cour de cassation dit en revanche clairement que si l’entreprise ne consigne pas sur PV une protestation au moment de la saisie, il est ensuite trop tard pour contester.
Olivier Catherine : Lors d’une perquisition menée simultanément sur plusieurs sites en France, sur le même sujet et diligentée par un juge d’instruction, les enquêteurs ont autorisé l’apposition de réserves sur les procès-verbaux sur certains de ces sites mais pas sur d’autres. Cette hétérogénéité de pratiques sur une question aussi majeure laisse songeur !
Emmanuel Marsigny : Dans de très nombreux cas, le juge, par manque de moyen, est souvent contraint de suivre ce que le directeur d’enquête lui demande de faire.
François Jambin : Je m’interroge sur l’efficacité des protestations et réserves juste après les opérations de saisie auprès du procureur, pour lui expliquer que certains documents étaient couverts par le secret avocat-client. Il est des cas où, à défaut de réaction du parquet, l’enquête prospère et aboutit devant le tribunal correctionnel qui prononce la nullité de la procédure, parfois des années après les opérations de perquisition.
Olivier Catherine : Dans une affaire que je suis, nous attendons une décision depuis plus de six ans…
Lucie Mongin-Archambeau : Écrire au procureur pendant que les investigations sont menées peut parfois s’avérer positif pour l’entreprise.
Emmanuel Marsigny : À chaque étape, l’entreprise doit se comporter en petit poucet procédural et laisser un petit caillou. Dans le souci légitime de lutte contre la délinquance, il faut pouvoir concilier les droits de chacun. L’office du juge est normalement d’effectuer ce contrôle d’équilibre. Par exemple celui-ci est très complexe s’agissant des mots-clés. Nous avons vécu des débats devant le JLD à l’occasion de la perquisition d’un cabinet d’avocat où le juge souhaitait regarder tout le disque dur de l’avocat pour ensuite extraire ce qui lui apparaîtrait être en lien avec la manifestation de la vérité et éventuellement entamer à ce moment un débat sur le secret. Nous nous y sommes bien sûr opposés, en proposant d’agir par mots-clés. D’où cette question récurrente aujourd’hui de savoir ce qu’il est pertinent de conserver comme mots-clés. C’est une véritable bataille qu’il convient de mener avec les enquêteurs.
Préparer les dirigeants
et les salariés aux procédures
Donatien de Longeaux : J’ai pu constater la disproportion entre les preuves recherchées et la débauche de moyens mis en œuvre par les autorités. Certains procédés s’apparentent véritablement à ce qui se pratique en matière de grand banditisme. J’ai observé des visites débutant à 6 h du matin au sein même du domicile des collaborateurs concernés, suivies par des perquisitions de leur bureau professionnel durant lesquelles ils étaient accompagnés menottés devant leurs collaborateurs. Les traumatismes demeurent pour ces collaborateurs alors que le recours à de telles méthodes ne parait ni justifié, ni proportionné. Avec parfois, la nécessité pour l’employeur d’exfiltrer ces collaborateurs qui en ressortent irrémédiablement affectés psychologiquement.
David Père : Si les process peuvent être prévus par l’entreprise, il faut également les tester. Depuis 2011, l’avocat peut assister son client lors de la garde-à-vue. Or nous nous sommes rendu compte que des dirigeants, bien qu’extrêmement intelligents et compétents, se retrouvaient confrontés à un monde qui leur était totalement étranger. Dans leur volonté de manifester leur confiance dans l’institution, ils étaient susceptibles de tenir des propos inappropriés. Je rappelle que les enquêteurs ne sont pas chargés d’instruire à charge et à décharge et n’ont d’autres objectifs que de piéger le col blanc.
Dès lors qu’un chef d’entreprise est convoqué pour sa mise en garde-à-vue ou une audition, nous le préparons donc en situation réelle : dans une salle semblable à celle d’une garde-à-vue, on lui prend ses empreintes, on le fait attendre longtemps, on lui pose des questions sur son compte bancaire et ses enfants, etc. Il est ainsi dans le même état d’inconfort que lorsqu’il sera devant un enquêteur. Et l’on parvient alors à déminer les pièges éventuels. Je pense par exemple au silence de l’enquêteur : le gardé-à-vue aura tendance à le meubler, or c’est une erreur.
Pour les perquisitions, cette mise en condition minutieuse est également souhaitable. Car les process sont utiles, mais sous l’effet du stress l’erreur arrive rapidement. Je me souviens d’un dossier dans lequel, pendant la perquisition, les salariés s’échangeaient des emails entre eux en révélant des informations compromettantes.
Lucie Mongin-Archambeaud : Toutes les équipes devraient être sensibilisées à une perquisition. Il ne faut négliger personne. J’ai un exemple en mémoire où le directeur administratif et financier de l’entreprise n’avait pas été préparé. Or il était présent le jour de la perquisition et c’est lui vers qui les enquêteurs se sont tournés car, en tant qu’homme du chiffre, il disposait de tout l’historique des transactions de la société.
Donatien de Longeaux : Le dirigeant qui est le représentant légal de la société doit être sensibilisé au même titre que tous les collaborateurs. C’est lui qui expliquera à la direction générale à quel point il est essentiel pour l’ensemble des collaborateurs de suivre des formations
Olivier Catherine : Bien souvent, les enquêteurs s’installeront directement dans le bureau du dirigeant de l’entreprise. Ce dernier devra en tout état de cause s’assurer de la bonne « gestion » des perquisitions par la direction juridique et aussi veiller aux aspects communication, dans l’immédiat envers les salariés du site, mais aussi auprès des organes de gouvernance du groupe et vers l’externe. En effet, il n’est pas rare de voir les médias s’intéresser aux perquisitions alors même qu’elles sont en cours.
Emmanuel Marsigny : Notons que depuis l’arrêt de la Cour de cassation de 2022 rendu en assemblée plénière, il est aujourd’hui possible de saisir non seulement les éléments qui appartiennent à l’entreprise, mais aussi ceux appartenant à toute personne qui se trouverait dans les locaux de l’entreprise au moment de la perquisition. Je pense à un exemple en particulier : lors d’un conseil d’administration qui se tenait dans les lieux de la société, durant une perquisition, les portables de tous les administrateurs ont pu être saisis.
François Jambin : Je confirme. Du fait de la multiplicité des infractions, le risque pénal est assez diffus et pèse sur un grand nombre de personnels de l’entreprise.
Les entreprises françaises sont de plus en plus exposées au risque pénal en raison de la diversification de leurs activités, sans compter celles qui sont présentes à l’international. Ces pays, au premier chef la France, ont tous recours à des sanctions pénales pour assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qu’ils considèrent comme indispensables au fonctionnement de leur organisation sociale et de leur économie.
Le risque pénal présente un caractère de gravité particulier par rapport aux autres risques juridiques auxquels les sociétés sont confrontées : il concerne les personnes physiques et les personnes morales ; il peut porter atteinte aux intérêts patrimoniaux, comporter des peines privatives de liberté pour les personnes physiques et des interdictions d’exercer ou de soumissionner pour certains marchés s’agissant des personnes morales ; enfin l’atteinte à l’image et à la réputation de l’entreprise et à celle des dirigeants est d’une autre intensité que dans le cas de simples sanctions administratives ou civiles.
C’est la raison pour laquelle une action particulière de formation est nécessaire pour que les différents personnels du groupe soient mieux à même d’identifier les domaines d’activité dans lesquels il existe un risque pénal, afin qu’eux-mêmes et l’entreprise qui les emploie soient davantage protégés.
Jean-Benoît Devauges : Je crois qu’il est de bon ton d’inclure dans les process des directives générales de comportement et de posture. Bien sûr il ne faut pas trop détailler, mais il convient par exemple de faire passer le message aux différents acteurs internes qu’il est nécessaire de se montrer coopératif, professionnel et courtois. Ou encore, en cas de questions des enquêteurs ou lors de convocations ultérieures de dirigeants ou de cadres, il faut apprendre aux personnes concernées à répondre de façon structurée aux questions. Par exemple, éviter le réflexe de répondre à une question précise des enquêteurs en allant au-delà et en offrant un grand nombre d’informations, non-sollicitées, avec le risque de créer de la confusion voire d’éveiller un intérêt des enquêteurs sur un point qu’ils n’avaient pas relevé au début de la perquisition.
Emmanuel Marsigny : Je rappelle l’importance de l’exercice du droit au silence. Sous le coup de la pression, de l’interrogatoire et du stress engendré, un dirigeant ou un employé peut avoir une réponse erronée ou imprécise. Le silence ne fait pas de lui un coupable. Et si ce silence est interprété comme un refus de coopérer, suivi d’une garde à vue, l’avocat doit se battre, insister pour qu’il soit inscrit dans le procès-verbal. Le juge, comme les gendarmes, devraient s’attarder davantage sur les éléments de preuves retenus, plutôt que d’exploiter une mauvaise réponse lors d’un interrogatoire ou une audition. La mémoire d’un dirigeant peut faire défaut, surtout si on lui demande de rendre des comptes sur un mail ou un échange datant de plus de dix ans…
Le niveau de coopération de l’entreprise avec les enquêteurs
François Jambin : En matière de perquisition pénale, et en dehors de la présence de l’avocat, c’est le directeur juridique qui fait le trait d’union entre l’autorité policière et les dirigeants. Il est un passeur qui doit manier le thème et la version en maitrisant deux langues : celle de l’entreprise et celle du droit, en tentant de faire se rencontrer deux mondes qui s’ignorent encore. Concrètement, le rôle du juriste consistera dans le cadre d’actions de sensibilisation à expliquer au dirigeant à la fois le cadre juridique de la perquisition et les recommandations comportementales à adopter. Au moment de la perquisition, le juriste sera présent à la fois en gardien du temple et en appui psychologique des salariés et des dirigeants. Sa mission consistera en outre à expliquer aux enquêteurs l’organisation de l’entreprise et à être le point d’entrée pour collecter des informations utiles à l’enquête. Cette présence du juriste au stade initial de l’enquête permettra ensuite de travailler plus efficacement avec les avocats.
Olivier Catherine : Le juriste d’entreprise doit en effet gérer la temporalité. Ab initio, il existe nécessairement une asymétrie d’information, mais le juriste peut détecter des signaux faibles et tenter ainsi de dissiper le « brouillard de la guerre » : un article de presse, une question sensible d’un lanceur d’alerte, une situation litigieuse, des questions posées par certaines parties prenantes…
Outre l’anticipation, la réactivité est cruciale à un moment où tout va très vite et où les enquêteurs mettent l’entreprise visée sous tension (on peut parfois parler de véritable « show of force »). Il est indispensable de mettre immédiatement en œuvre une « shadow team » composée de juristes pour suivre les enquêteurs, voir les bureaux et fonctions qui les intéressent, identifier les ordinateurs et documents recherchés, observer leurs réactions.
François Jambin : Dans le cas de perquisitions simultanées sur plusieurs sites, cette organisation est parfois plus compliquée à mettre en œuvre. Sans oublier le télétravail, car les salariés ne sont pas toujours sur site.
Emmanuel Marsigny : Dans ces circonstances, la question se pose de savoir s’il ne conviendrait pas, dans une formule à imaginer avec le PNF ou l’AAI en charge de l’enquête, de faire une démarche préalable. Il s’agirait pour l’entreprise de préempter cette recherche de la preuve en proposant aux autorités de leur livrer les informations nécessaires à la manifestation de la vérité. La pratique existe déjà dans les cas de réquisition judiciaire, avec une forme de demande de communication contrainte.
Donatien de Longeaux : Mais les réquisitions ne viennent-elles pas après les perquisitions, lorsque les enquêteurs n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchent ?
Emmanuel Marsigny : Ça peut arriver. Mais lorsque l’entreprise sait qu’elle va être perquisitionnée, à cause d’un article de presse publié par exemple, ne faudrait-il pas réfléchir à légiférer sur le sujet pour permettre aux entreprises de concilier tous les intérêts en évitant les traumatismes évoqués et la saisie des correspondances entre avocat et client. Quitte même à s’inspirer de la discovery, qui me semble être un mouvement inéluctable du droit français consistant à la production volontaire, encadrée, des preuves par l’entreprise.
Jean-Benoît Devauges : Effectivement, dans des contentieux civils et commerciaux qui impliquent des filiales localisées dans des juridictions anglaises ou américaines, il est de pratique courante que soient mis en œuvre des preservation notices, c’est-à-dire des courriers internes qui enjoignent les parties prenantes à préserver tous e-mails et documents pertinents, en anticipation d’une procédure de « discovery » ou d’un exercice de recherche de preuves. Ceci, à titre volontaire et préventif.
Emmanuel Marsigny : Même si aucun texte législatif n’existe pour le moment, rien n’empêche une entreprise, sujet d’une procédure de l’article 145, de rédiger une lettre de cette nature.
Et après la perquisition ?
David Père : La perquisition n’est que le début d’un long chemin. La procédure peut s’étendre sur 10 à 15 ans après. L’entreprise doit donc se mettre en ordre de marche pour la prochaine étape. Il est d’abord indispensable de refaire la perquisition avec des experts informatiques pour savoir ce que les enquêteurs ont pu saisir.
Nous avons par ailleurs évoqué les éventuels traumatismes des salariés et des dirigeants perquisitionnés que l’entreprise doit accompagner. La mise au pilori d’un col blanc est souvent très difficile à vivre. Il leur faut donc un soutien psychologique, mais il est tout aussi important de gérer la situation sous l’angle de la préservation des intérêts de la société. Il me semble donc indispensable de les faire assister par un avocat pour les préparer à la suite de la procédure.
François Jambin : Il est toujours possible qu’une seconde perquisition suive la première, quelques mois plus tard, sur le même thème. Ce n’est pas un risque théorique.
Olivier Catherine : Il est important de procéder rapidement, idéalement dès le lendemain, à la notification à l’assureur D&O. Cette police d’assurance permettra la prise en charge des frais d’avocats des personnes physiques concernées (dirigeants et salariés), voire dans de rares cas des personnes morales. Certaines polices d’assurances D&O proposent également un volet assistance communication et psychologique, qui s’inscrit bien dans le cadre de l’obligation jurisprudentielle de sécurité juridique qui pèse sur les entreprises envers leurs salariés.
Emmanuel Marsigny : Je regrette néanmoins que les assureurs décident, seuls, du coût de l’avocat. Qui sont-ils pour évaluer combien vaut notre travail ? C’est un vrai sujet sur lequel le barreau doit réagir, tout comme les directions juridiques. T
Propos recueillis par Ondine Delaunay