Connexion

Omnibus : vers quelle simplification ?

Par Sabine Lochmann CEO d’Ascend, membre du collège de la HATVP et présidente d’honneur de l’AFJE France Vassaux Associée fondatrice du cabinet Vassaux Avocat Rémi Nouailhac Directeur de la division juridique sociétal du groupe TotalEnergies Stéphanie Scouppe Directrice éthique et des données personnelles du Groupe ADP et Présidente du Cercle éthique des affaires Charlotte Michon Associée fondatrice du cabinet Charlotte Michon avocat Luis Quinonero Directeur juridique développement durable & opérations groupe L’Oréal

Le 26 février 2025, la Commission européenne a rendu publiques ses propositions Omnibus. Ce « paquet » de trois textes est présenté comme un choc de simplification qui permettra de sauver la compétitivité des entreprises européennes dans un cadre international pour le moins agité et de plus en plus concurrentiel. Sont ainsi principalement ciblées les dispositions de la CSRD, de la CS3D et la taxonomie européenne, alors que certaines sont déjà entrées en vigueur. Que contiennent exactement ces propositions aujourd’hui ? Quel est l’avenir des textes et quelles en sont les conséquences immédiates et à venir pour les entreprises ?

Pourquoi ce paquet Omnibus ?

Charlotte Michon : Les récentes propositions Omnibus s’inscrivent dans le cadre d’un large programme de travail de simplification qui vise à réduire de 25 % les charges administratives des grandes entreprises et de 35 % celles pesant sur les PME. La première étape de ce programme de travail porte sur les exigences de durabilité telles que précédemment définies par les directives CSRD et CS3D. Mais le Pacte vert et ses objectifs ne sont pas remis en question, ni le principe d’une obligation de vigilance au niveau européen, ni l’objectif de reporting des informations extra financières.

Déjà, nous avons une première directive dite « stop the clock », qui permettra de reporter l’application des obligations en vigueur en attendant les modifications de fond.

En résumé, s’agissant de la CSRD, le texte vise à une réduction conséquente du nombre d’entreprises concernées par le reporting volontaire (– 80 %). Il prévoit également un allègement des normes de durabilité dites « ESRS », avec l’abandon des futures normes sectorielles et le développement d’une norme « opposable » pour les entreprises non concernées par le reporting obligatoire. Il s’agit aussi d’une limitation du contrôle puisqu’il n’y a plus ce passage initialement prévu de l’assurance limitée à l’assurance raisonnable.

Pour la CS3D, il est prévu une restriction du périmètre à l’obligation de vigilance européenne, avec notamment une limitation au rang 1 des activités des tiers à prendre en compte dans la démarche de vigilance, et au rang 2 sur exceptions. Le texte remet également en cause l’obligation de responsabilité civile, en laissant une faculté aux États d’opter ou non pour un régime de responsabilité civile associé à un manquement au devoir de vigilance (ce qui est aujourd’hui le cas en France). Il y a aussi dans la proposition de texte, la restriction de la définition des parties prenantes. Le projet de texte prévoit en outre la suppression de l’obligation de mettre en œuvre le plan de transition climatique, même s’il persiste l’obligation de l’adopter. L’idée est un meilleur alignement avec la CSRD.

Il y a dans ces projets de simplification, un objectif de mieux articuler les textes règlementaires ; mais selon moi, ils vont continuer à majoritairement se superposer. La Commission européenne aurait sans doute pu aller plus loin dans sa démarche.

Stéphanie Scouppe : Le Groupe ADP a choisi de fusionner le plan de vigilance et le rapport de durabilité sur le dernier exercice. Il a estimé qu’il allait solliciter les mêmes équipes sur les deux exercices de reporting et a jugé plus efficient de ramasser les deux étapes en une seule. D’autant plus que les enjeux abordés dans les différents textes se recoupent, notamment ceux environnementaux et sociaux. Cette fusion implique néanmoins de bien articuler les exercices de cartographie des risques et ceux sur les études de matérialité. Ce qui me semble intéressant c’est que cette démarche vient questionner la stratégie RSE et de reporting en tant que telle. Par exemple, lorsque nous communiquons sur la santé et la sécurité au travail, la question des conditions de travail est bien sûr connexe.

La démarche globale a été copilotée par la Finance et le Développement durable. ADP, dès fin 2023, a mis en place une task force réunissant toutes les parties prenantes de l’entreprises (DRH, développement durable, finance…). Cette gouvernance transversale a été très enrichissante puisqu’il ne s’agit plus de faire un simple exercice de reporting, mais bien de définir une stratégie de reporting et la façon de fonctionner de chacun.

Sabine Lochmann : Je vous félicite d’avoir conjugué le travail de reporting de la CSRD avec votre plan de vigilance. Cette alliance permet ainsi de travailler sur l’identification des risques et des opportunités, leur cotation, leur matérialité d’impact puis leur matérialité financière, ainsi que les plans d’actions en regard des politiques mises en œuvre pour atteindre les objectifs visés par votre groupe. Cela vous a certainement conduit à vérifier votre stratégie d’organisation et vos besoins en matière notamment de process et de compétences afin de matérialiser vos intentions en regard de votre stratégie de durabilité. Poser ce processus permet de piloter justement la durabilité de votre performance et d’y associer les financements nécessaires à la transformation de votre modèle d’affaires en réponse à vos enjeux de durabilité.

Rémi Nouailhac : Au sein du groupe TotalEnergies, la CSRD a été abordée de manière spécifique. D’abord il s’agissait de lire et de bien comprendre les 300 pages de normes ESRS qui portent des concepts complexes, puis d’aller chercher les informations. Il me semble à cet égard pertinent de s’interroger sur le niveau de quantité d’indicateurs demandés et le bon cadrage du texte qui, rappelons-le, est applicable à tous les secteurs. Mais aussi sur le niveau d’informations nécessaires aux utilisateurs des rapports, donc en particulier les investisseurs. Pourquoi ne pas leur poser la question ? Bien sûr certains acteurs financiers sont eux-mêmes soumis à des exigences de reporting en application de SFDR, qui leur impose de réclamer beaucoup d’informations. Mais peut-être faudrait-il également reconsidérer la SFDR dans ce cadre de simplification, pour permettre une cohérence entre tous les textes ?

France Vassaux : L’articulation des textes est en effet un point essentiel de cette démarche de simplification. En effet, le règlement SFDR exige de la part des acteurs du secteur financier de collecter différentes données correspondant à la double matérialité : l’intégration des risques de durabilité, mais aussi les indicateurs liés aux principales incidences négatives (les PAI) qui portent sur l’impact ESG des décisions d’investissement. Or, les PAI ne correspondent pas nécessairement aux points de données des ESRS. En outre, les financeurs sont tenus de publier des informations sur la taxonomie et notamment un alignement de leur chiffre d’affaires et de leur Capex sur la taxonomie. Or, cette donnée est compliquée à obtenir.

Au-delà des trois propositions de textes Omnibus, la Commission européenne a lancé une consultation visant à modifier trois règlements délégués de la taxonomie pour en simplifier les modalités d’application. Selon moi, le nerf de la guerre n’est pas tant le niveau législatif des textes, ou niveau 1, qui porte sur la CSRD et le règlement de la taxonomie, mais surtout les textes d’application dit de niveau 2. Ce sont dans ces textes de niveau 2 que les indicateurs sont fixés et en particulier les fameux 1178 points de données des ESRS. Les données à transmettre peuvent prendre différentes formes : elles peuvent être narratives, semi-narratives et chiffrées. Or, en fonction du type de données transmises par les entreprises au travers de CSRD, le financeur devra identifier l’information clé dont il a besoin et notamment la bonne donnée quantitative.

Rémi Nouailhac : L’Omnibus offre donc l’opportunité de reconsidérer la cohérence d’ensemble et l’impact cumulé de ces divers textes.

Luis Quinonero : En effet, c’est une occasion pour se pencher sur la cohérence des différents textes et surtout leur efficacité, notamment sur les obligations de vigilance qui est le sujet sur lequel je travaille. Parallèlement, en insistant exclusivement sur la cohérence et la simplification, l’Omnibus risque d’envoyer un message politique de baisse des ambitions en matière de vigilance. Compte tenu des problèmes environnementaux et sociaux qui se multiplient, il faut préserver l’impératif de mobilisation autour de ces sujets. Cette mobilisation constitue également la meilleure protection juridique.

Nous avons entendu de nombreux débats sur le manque de cohérence entre la CSRD et la CS3D s’agissant de la due-diligence. Même si le langage n’est pas exactement le même dans les deux directives, la méthodologie à utiliser pour l’évaluation des risques est la même. De plus, l’articulation entre la CSDDD et la CSRD semble relativement claire. Pour les due-­diligences, la CSRD n’impose pas d’obligations particulières. Les normes d’application de la CSRD, comme le ESRS 1, précisent qu’il faut se baser sur les autres réglementations européennes en matière de due diligence. On dit que la CSDDD est une obligation de faire et la CSRD une obligation de dire.

Pour ce qui est de la vigilance, le problème est que les textes n’ont pas été votés dans le bon ordre ! Ce manque d’alignement temporel a généré des confusions, mais à mon avis la clarification de ­l’articulation entre la CSRD et la CSDDD ne nécessitait pas une initiative Omnibus avec le lancement d’un nouveau process législatif européen.

À mon sens, la question est plutôt de travailler sur des solutions destinées à faciliter l’application de la vigilance par les entreprises sans renoncer aux ambitions en la matière.

Quels enjeux pour les entreprises ?

Sabine Lochmann : La première réaction des acteurs à la lecture de ce « choc de simplification » a été de s’interroger sur ce qu’ils devaient faire immédiatement, puisque ce ne sont encore que des propositions. En principe début avril, nous saurons si le Parlement européen confirme la mesure dite « stop the clock », reportant de deux ans la mise en œuvre de la directive CSRD pour les entreprises dites de la vague 2(1). Pour autant, les lois applicables continuent de produire tous leurs effets, et les parties prenantes avec lesquelles les entreprises travaillent d’ores et déjà, à commencer par toutes celles qui ont lancé des exercices de reporting « à blanc », vont continuer à attendre de ces dernières des actions concrètes afin de répondre aux enjeux de durabilité sur lesquelles elles se sont déjà engagées. Pour gérer l’enjeu de la conformité, je crois donc qu’il convient de s’interroger sur le pilotage de la durabilité, essentiel à la compétitivité à terme de l’entreprise, à sa longévité même, sans attendre l’obligation de fournir ce fameux reporting. Par ailleurs, en cas de contentieux, le juge va examiner ce qui est demandé au regard du droit fondamental et des textes spéciaux, surtout lorsque les dommages causés par des externalités négatives non appréhendées par l’entreprise sont notamment documentées par les scientifiques, les parties prenantes, etc. Il ne faut pas oublier ces blocs entiers du droit qui continuent de s’appliquer dans les contentieux vigilance ainsi que dans les litiges relatifs à la durabilité où la responsabilité des dirigeants peut être engagée, y compris sur le terrain de l’éthique des affaires.

Autre enjeu, celui de la compétitivité. Comment poursuivre les développements des activités des entreprises et rassurer les clients de l’entreprise qui attendent des informations démontrant la résilience et la solidité des produits ? Les travaux en cours à la Commission, comme au Parlement et au Conseil, doivent intégrer autant que cela est possible les impacts sur les business plans et les feuilles de route matérialisant les ressources dont les entreprises ont besoin pour financer la transformation de leurs modèles d’affaires, dans un contexte extrêmement chahuté et de plus en plus dérégulé.

Le troisième enjeu est celui de la longévité. Pour accompagner la transition, encore faut-il que l’entreprise sache où elle est fragile et quelle est sa capacité de résilience ? Dit autrement, comment doit-elle appréhender la gestion des risques à très court terme, alors qu’elle doit également gérer le moyen-long terme avec une responsabilité devenue ex post et plus simplement ex ante ? Les banques et les assureurs ont aujourd’hui les proxys, l’IA et les satellites pour être capables ­d’effectuer le travail ESRS.

Aujourd’hui, le lobbying est important pour faire valoir la voix des entreprises qui sont les premières utilisatrices des rapports de durabilité et pour bâtir, avec l’ensemble de leurs parties prenantes, un pacte de confiance.

Stéphanie Scouppe : La multiplication des reportings amenait un risque de cohérence de l’information. Les enjeux se répondent et les deux démarches sont complémentaires alliant l’obligation de faire à celle de déclarer.

De plus, notre choix de fusion des démarches permet d’aligner le niveau d’information quelle que soient les parties prenantes. Auparavant, il arrivait que ­l’entreprise fournisse davantage de données qualitatives à certaines parties prenantes, et plus quantitatives à d’autres. Aujourd’hui, nous fournissons le même niveau d’informations et nous mettons en place une véritable stratégie de reporting. Il faut trouver le bon curseur, le bon équilibre, pour expliquer l’engagement de l’entreprise tout en proposant des indicateurs de qualité. Pour les entreprises, l’enjeu est bien celui de la cohérence.

Luis Quinonero : L’Oréal n’a pas fusionné le rapport de durabilité et le plan de vigilance pour diverses raisons. Je ne suis pas certain que la logique des deux textes soit identique, sinon pourquoi aurait-on besoin de la directive CS3D ? C’est la même chose pour la loi française et allemande sur le devoir de vigilance. Si cela était le cas, on se serait contenté du reporting extra-financier prévu en France depuis la loi NRE de 2001 et renforcé avec la CSRD.

La législation sur le devoir de vigilance ne prévoit pas d’objectifs volontaires, mais des obligations fermes pouvant être sanctionnées administrativement avec des amendes et civilement.

Ce n’est pas une politique que l’on doit décrire, ce sont des obligations dures que l’entreprise prend sur son activité et à l’égard de ses partenaires commerciaux notamment. D’un point de vue juridique, ce n’est pas la même chose. Je ne sais pas si, demain, la jurisprudence va se baser sur la CSRD pour juger du devoir de vigilance tout en appliquant les sanctions prévues dans la CSDDD. Comme raisonnement juridique, cela semble étrange. Je suis en revanche certain qu’elle se basera sur la CSDDD et ses lois de transposition pour sanctionner la conformité du plan de vigilance. Elle commence déjà à le faire en appliquant la loi française de 2017.

Stéphanie Scouppe : Sans fusionner les démarches, on tronçonne l’engagement, les moyens et le suivi. Au-delà des moyens mis en œuvre, l’entreprise doit être apte à comprendre le reste. Il y a aussi un rôle d’éducation de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes pour traduire son engagement de manière concrète.

ADP a aussi mobilisé une centaine de personnes dans ce travail. Mais fin février, tout était terminé et elles n’avaient pas à recommencer sur le plan de vigilance.

Luis Quinonero : Nous publions en même temps le plan de vigilance et le rapport de durabilité dans le document d’enregistrement universel.

Stéphanie Scouppe : Ce qui était important pour nous, c’est que les équipes puissent préserver un équilibre entre le temps passé au reporting et celui passé au déploiement des actions sur le terrain de manière concrète.

Luis Quinonero : Certains éléments de la proposition Omnibus vont dans le sens d’une simplification, et c’est souhaitable. Mais il y a tout de même quelques ouvertures qui peuvent prêter à des interprétations diverses – je pense notamment à cette idée de devoir agir au-delà du rang 1 lorsqu’il existe une « information plausible » d’impacts négatifs sur les droits humains ou l’environnement au niveau d’un partenaire commercial situé au-delà du rang 1.

Il semble difficile de définir précisément ce qu’est une information plausible. Néanmoins on peut préciser les conditions d’application de cette disposition : l’identification précise de ce partenaire est-elle une condition à la mise en place des due diligences au-delà du rang 1 ? Qui doit assumer la responsabilité lorsqu’un partenaire de rang 1 refuse de coopérer et donner des informations sur ses propres partenaires commerciaux ?

Pour ma part, je ne serais pas à l’aise de m’arrêter au rang 1.

En fin de compte, il est également question de la vision de l’entreprise sur son niveau de leadership sur les sujets couverts par la vigilance.

Charlotte Michon : Sous couvert de simplification et d’allégement des obligations, le fait d’introduire des exceptions, des limitations aux règles établies crée tout de même une insécurité juridique ; par exemple ce sera aux entreprises d’analyser si elles ont des informations plausibles ou pas.

Luis Quinonero : Je suis totalement d’accord. En termes de sécurité juridique, c’est bien une occasion ratée. Et d’autres éléments du texte sont également critiquables de ce point de vue. Les groupes qui ont des filiales en Europe, par exemple, vont avoir des sujets importants quant à leur responsabilité sur la mise en œuvre de la CS3D car aucune autorité cheffe de file, ou une autorité centralisée, n’a été pensée. Un réseau d’autorités de régulation va être crée, mais sans pouvoir normatif. Les filiales resteront donc responsables devant les autorités locales ce qui peut engendrer des différences dans la transposition et l’application du texte.

Le texte prévoit que l’autorité censée réglementer est celle du siège de la société. Mais de qui parle-t-on ? De la société soumise au devoir de vigilance, de sa ­maison mère ou de la maison-mère ultime ?

Pourquoi ne pas laisser le choix aux groupes de construire, s’ils le souhaitent, un plan de vigilance européen auquel l’entreprise aura à répondre, devant soit une autorité de contrôle centralisée, soit une autorité nationale cheffe de file qui pourrait être celle du siège social du groupe ? Il s’agirait d’une possibilité et non d’une obligation, car l’activité et l’organisation des groupes sont très variées. Cette manière de procéder serait une véritable simplification sans sacrifier au niveau d’exigence juridique.

Charlotte Michon : Le fait d’avoir une démarche groupe sur le plan de vigilance ne protègera pas la filiale qui sera toujours susceptible de voir sa responsabilité civile mise en cause et qui sera super­visée par l’autorité locale du pays. On pourrait même envisager que la responsabilité de la société mère soit aussi mise en cause dans son pays pour des actes commis par sa filiale européenne. Face à cette insécurité juridique, il convient de bien définir les attentes de ­vigilance de la société-mère à l’égard de ses filiales en termes de méthodologie et de suivi, pour qu’elle ait l’assurance raisonnable que ses filiales mettent en place des démarches de vigilance effectives sur leur périmètre d’activité. Cela protègera la société-mère comme les filiales.

Quelles attentes des parties prenantes ?

Charlotte Michon : Aujourd’hui, les entreprises françaises ont une obligation de transparence dans leur rapport de gestion, au titre du devoir de vigilance qui est une obligation de faire. Au regard des contentieux, nous voyons que ce sont les informations publiées dans le plan de vigilance qui sont utilisées. On parlait de l’importance de l’adaptation du reporting et du niveau d’information à donner aux lecteurs ; en France aujourd’hui, ce sont les ONG, les syndicats qui vont challenger l’entreprise sur leurs plans de vigilance.

Sabine Lochmann : Les proxys, les banques, les assureurs et les agences de notation les lisent également.

Luis Quinonero : Il y a un certain nombre d’ONG qui demandent que les engagements soient inscrits dans le plan de vigilance.

Il me parait fondamental de préserver le dialogue avec les parties prenantes qui le souhaitent, y ­compris les syndicats de l’entreprise. Ce dialogue doit être sincère et dans un esprit ouvert. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les mesures souhaitées par les parties prenantes seront adoptées. La mise en œuvre des sujets vigilance peut s’avérer complexe et les entreprises ne peuvent résoudre tous les problèmes. Néanmoins, elles ont une certaine capacité d’action sur des sujets qu’il faut pouvoir identifier et traiter, y compris avec l’aide d’ONG.

Je ne crois pas que les modifications proposées par l’Omnibus sur la définition des parties prenantes et leur intervention dans le cadre de la vigilance soit de nature à empêcher un dialogue des ONG avec les entreprises ou avec les autorités publiques, ni à limiter le plaidoyer des ONG et des syndicats.

Charlotte Michon : Les engagements ­climatiques sont un bon exemple car les ­responsabilités ne sont pas les mêmes.

Sur le contenu des rapports de durabilité et des plans de vigilance, si l’on regarde les normes ESRS, les impacts matériels négatifs relèvent des « risques » du devoir de vigilance. Quand on regarde ce qui doit être mis en place – dialogue avec les parties prenantes, politique, stratégie, métriques, mécanismes de réclamation, etc – ce sont des mesures relevant des démarches de vigilance. Hors les premiers retours pratiques, l’articulation n’a pas été assez faite. On a complexifié les contenus et les démarches internes.

Stéphanie Scouppe : Comment articuler l’exercice de double matérialité avec la cartographie des risques existants ? Comment expliquer que ce qui est dans la cartographie n’est pas dans la double matérialité ? En sachant que dans l’URD, il y a une partie sur les risques. Chez ADP, l’articulation des deux a représenté un vrai exercice de questionnement stratégique

Luis Quinonero : Il faut une cohérence, je suis d’accord. Mais il peut y avoir des attentes des parties prenantes qui ne sont pas les mêmes au niveau du rapport de durabilité et du plan de vigilance. Une rédaction identique sur les deux implique de se poser la question de la conformité juridique de la démarche.

Stéphanie Scouppe : Est-ce que la rédaction sous l’angle vigilance ne peut pas être un plus dans la rédaction du rapport de durabilité ? Dans notre démarche, elle était clairement profitable pour ramener une lisibilité de l’approche transversale du groupe.

Luis Quinonero : Absolument. Mais les choix faits au niveau du reporting en ce qui concerne la due diligence doivent être cohérents avec l’obligation de vigilance.

Juridiquement, au niveau du rapport de durabilité, les engagements pris donnent lieu à des sanctions juridiques limitées. De plus, l’absence d’un dispositif de due diligence ne fait pas l’objet de sanctions : les actions à implémenter dans le cadre du reporting étant volontaires.

Lorsqu’il s’agit de la vigilance, la logique n’est pas la même : le juge et l’autorité de contrôle pourraient sanctionner l’entreprise s’ils estiment que les due diligences n’ont pas été solides, voire exhaustives. Notons que pour le moment, dans la jurisprudence La Poste, le tribunal judiciaire de Paris contrôle formellement l’exhaustivité du plan et ses conditions d’élaboration mais refuse d’ordonner aux entreprises de prendre telle ou telle mesure précise. Le tribunal considère qu’il appartient à l’entreprise de les définir. L’autorité de contrôle française aura-t-elle la même vision ? Et celles des autres États membres ?

Rémi Nouailhac : Et il faut aussi rester attentif aux périmètres qui ne sont pas les mêmes entre la loi de vigilance française et la CSRD. La directive vise la chaîne de valeurs, alors que la notion n’existe pas dans le texte français. Il y a une différence entre la définition extrêmement large de la chaîne de valeur dans la directive CSRD et celle de la loi de vigilance française qui vise les sous-traitants et les fournisseurs avec lesquels l’entreprise a une relation commerciale établie. Et la définition de cette notion donne lieu à des débats ! La vigilance est un outil qui a été investi très largement dans une optique contentieuse, alors que les perspectives sont différentes sur le reporting.

Sabine Lochmann : Il faut distinguer le plan de vigilance du devoir de vigilance. Le premier est un outil de reporting, le second est l’exercice concret d’une démarche visant à mettre en œuvre des « mesures de vigilance raisonnables propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ».

Vers quelle simplification ?

Sabine Lochmann : Pour les auteurs des propositions contenues dans les trois paquets Omnibus, l’objectif est d’apporter les éléments de simplicité et de clarification, là où ils sont nécessaires. Les investisseurs, banquiers ou assureurs, ont besoin d’apprécier la performance globale des entreprises, pour ensuite être en mesure d’appréhender ce qui y est réalisé pour pérenniser leur activité, à commencer par les risques liés à la conformité, à la durabilité, à la sécurité digitale. L’approche en entonnoir ne me paraît donc pas poser de problème. L’enjeu est davantage sur le périmètre concerné par l’exercice. Lorsque j’étais directrice juridique dans un groupe américain, nous avions mis en place des systèmes d’appréhension des risques avec une cartographie des lois, des conventions internationales, des standards imposés, en face de chacune des activités et des sites de production. Je ne vois pas la difficulté d’avoir une vigilance qui assume une logique régionale, alors même que l’Europe représente le premier marché en termes de flux économiques et financiers, et est au cœur même d’échanges d’Est en Ouest, du Sud vers le Nord, et vice et versa.

Dans la relation entre l’exécutif et la gouvernance, je perçois néanmoins l’enjeu renouvelé avec le pilotage de la durabilité des pistes d’audit. En termes de confiance, l’identification et la traçabilité de ces pistes d’audit est essentielle. Elle permet aux juristes et aux financiers d’effectuer leur travail, comme aux dirigeants de peser les risques et de prendre les décisions nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise dont ils ont la responsabilité.

Dernier point, l’entreprise a tout intérêt, au travers de la méthodologie de l’analyse de la double matérialité au travers en particulier de l’engagement avec les parties prenantes, de s’approprier ses données et de les utiliser. Cela rejoint ce que j’indiquais au début de notre table ronde sur le pilotage de la stratégie par l’entreprise intégrant la durabilité et sur sa contribution à l’enjeu de souveraineté au niveau du marché européen.

Rémi Nouailhac : Ces difficultés que l’on rencontre sur l’articulation entre les valeurs et les objectifs quantitatifs et qualitatifs sur les données ne doivent pas être ignorées, tout en rappelant que les groupes doivent faire face à des enjeux de compétitivité importants et immédiats.

Les textes CSRD et CS3D peuvent, selon moi, être améliorés en conservant les objectifs du Pacte vert tout en conciliant les questions actuelles avec les enjeux de demain. Sur la CSRD par exemple, les projets de normes ESRS sectoriels sont ­complexes et supposent le traitement d’énormément de données. Elles impliquent surtout une telle granularité des informations et une telle sensibilité des données financières – avec une haute valeur en termes de secret des affaires – de même que les effets financiers anticipés, que la ­compétitivité de nos entreprises va être directement mise en cause. C’est très engageant pour l’entreprise. Il me semble donc essentiel d’aller vers une simplification.

S’agissant de la CS3D, des simplifications proposées par la Commission vont dans le bon sens : la responsabilité de l’entreprise pour les dommages pouvant résulter des autres acteurs de sa chaîne d’activités doit effectivement être limitée aux partenaires avec lesquels il existe un lien direct.

Mais surtout, sur le volet climatique du texte, l’article 22 de la CS3D prévoit l’obligation d’adopter et de mettre en œuvre un plan de transition qui vise à garantir la compatibilité du modèle ­d’affaires et la stratégie commerciale de l’entreprise avec le réchauffement climatique limité à 1,5 degré. Sachant que le réchauffement climatique a déjà atteint le seuil de +1,5 degré et que les États dans lesquels nous exerçons nos activités au plan mondial ont des engagements s’orientant au global vers 3 degrés, l’équation fonctionne difficilement. D’autant que le texte impose d’adopter et de mettre en œuvre un plan qui gouverne le business model et la stratégie de l’entreprise. Il s’agit en réalité d’une exposition juridique importante, avec un contrôle d’une autorité administrative sur la stratégie d’une entreprise privée. A-t-on véritablement mesuré les implications du texte ?

Il y a manifestement eu un effort du législateur européen de tenter d’articuler la CS3D et la CSRD, mais le travail n’est pas tout à fait mené à son terme, et l’Omnibus offre l’opportunité de le faire. L’article 22 contient ce que doit être le plan de transition CS3D qui n’est pas aligné avec ce que comporte la norme ESRS sur le plan de transition CSRD. Un plan de transition publié conformément aux normes ESRS avec une gouvernance, une appréhension des risques, des cibles, des politiques, des actions, etc. me semble valoir le label de CS3D compliant.

France Vassaux : Les propositions publiées sur CSRD ne portent que sur le niveau 1. Or, le 26 février dernier, la Commission Européenne a reçu l’EFRAG avec, pour feuille de route, la simplification des normes ESRS. Nous ne connaissons pas encore les évolutions à venir.

Au regard des propositions, les normes sectorielles auraient pour leur part vocation à disparaître. Tout comme les normes spécifiques pour les PME cotées, qui ne seraient plus soumises à CSRD.

Je partage l’analyse des autres panélistes sur le fait que les points de vigilance pour la responsabilité des entreprises sont les niveaux des informations qui devront être publiées essentiellement sur CS3D.

Concernant l’engagement de trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre alignée sur l’Accord de Paris, j’observe que dans le secteur du financier non coté, des démarches volontaires sont réalisées par les entreprises en se référant par exemple à la méthodologie SBTI. Une certification par un tiers est un gage de sérieux. L’implémentation du plan de réduction carbone est souvent longue : elle nécessite un délai d’au minimum 18 mois. Et c’est pourquoi les ambitions de la CS3D me semblent déconnectées de la pratique. Il ne faut pas confondre les engagements portés par les États et ceux que l’on demande aux entreprises, qui sont limitées dans leurs moyens d’actions notamment sur le scope 3.

Sabine Lochmann : Quelque 80 % des entreprises qui y sont soumises publient aujourd’hui un plan de transition. Et 49 % de ceux-ci sont estimés conformes à la norme ESRS.

Rémi Nouailhac : Conforme à la norme de reporting ne signifie pas forcément d’être aligné sur l’objectif 1,5 degré.

Sabine Lochmann : Absolument. J’ajoute que 73 % des inventaires de gaz à effet de serre sont conformes aux exigences d’ESRS 1. Pour autant, il y a des difficultés à articuler les exigences d’ESRS 1 avec d’autres standards comme le GHG, le SBTI notamment. Je vous rejoins donc sur ce manque de cohérence à l’aune d’une approche globale. Outre les difficultés ­opérationnelles, pour atteindre cet objectif de décarbonation très ambitieux, on comprend vite que les entreprises ont encore beaucoup de mal à communiquer sur ce travail. Les entreprises sont en moyenne une sur deux à être capables d’être alignées avec les Minimum Disclosure Requirements (MDR) prônés par la directive CSRD. Bref, ces reportings doivent s’apprécier dans le temps car ils sont le reflet de plans de transformations profonds dont la maîtrise et les éléments de mesure sont par essence loin d’avoir atteinte leur niveau de maturité.

Luis Quinonero : Sur la simplification, je crois qu’il y a encore un certain nombre de pistes à explorer afin de faciliter la mise en œuvre de la vigilance et ­d’apporter de la sécurité juridique tout en gardant un bon niveau d’exigence. Les autorités de contrôle auront un rôle important à jouer sur ces aspects. Est-ce que cette facilitation passe par la possibilité de conclure des accords avec les autorités de contrôle sur les risques à traiter par l’entreprise et leur priorisation ? La mise en œuvre d’initiatives sectorielles sous l’égide d’une autorité de contrôle, auxquelles puissent se référer les entreprises du secteur mais également leurs partenaires commerciaux soumis à la vigilance, sera-t-elle prévue ? Et l’instauration d’une médiation préalable obligatoire à tout litige ? Qu’en est-il de la protection de la confidentialité des données par un tiers de confiance agréé ? Bref, à mon avis la simplification passe par des mécanismes destinés à faciliter la mise en œuvre effective de la vigilance et à apporter de la sécurité juridique sans pour autant abandonner les ambitions. Ils pourraient, sans doute, être imaginés au moment de l’élaboration des textes d’application de la directive.

Comment les entreprises
doivent-elles réagir aujourd’hui ?

France Vassaux : Sur tous les travaux en cours de préparation au niveau de la Commission européenne, quasiment tous les textes concernant la durabilité sont sortis, à l’exception de SFDR pour lesquels nous attendons une révision fixée au quatrième trimestre 2025. Nous attendons également d’autres propositions de simplification concernant les entreprises de taille intermédiaire.

Rémi Nouailhac : Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans le processus décisionnel actuel au niveau des États et de l’Europe. Elles doivent être écoutées sur les différents enjeux, sur les réels besoins, les problématiques et obstacles de compétitivité aux frontières de l’Europe.

Stéphanie Scouppe : Ce qui pose aussi la question du dialogue avec les parties prenantes pour la construction de ces lois au niveau européen. Les a-t-on toutes bien entendues ? Le dialogue avec les parties prenantes est certainement une clé pour simplifier aussi le reporting. Nous avons bien vu au travers de la multiplication des lois relatives au reporting extra financier que les attentes sont aussi diverses que croissantes. Cela conduit à un millefeuille d’exigences qui concentre les entreprises sur le reporting. J’ai le sentiment que plus le dialogue avec les parties prenantes sera restreint et raccourci, plus les ONG pousseront les entreprises dans leurs retranchements. Plus le dialogue est parcellisé, plus il conduit chacun à un millefeuille d’attentes. On tourne en rond en durcissant les positions. Un des leviers est peut-être de réinventer le dialogue avec les parties prenantes à tous les niveaux (législateurs, entreprises…) sans trahir la position de chacun.

Sabine Lochmann : L’accord conclu par Danone avec les ONG sur le sujet du plastique est très intéressant. Bien sûr il existait un contentieux substantiel et les attaques étaient particulièrement fortes avec des enjeux financiers conséquents. Mais derrière cela, il y avait aussi l’intention du groupe d’aboutir à des résultats significatifs en termes d’usage et de gestion sur tout son cycle de vie du plastique. Et un travail de fond a été mené, au travers d’une médiation ordonnée par le juge du tribunal judiciaire de Paris, pour dialoguer, trouver un modus operandi afin de travailler année après année sur l’actualisation des risques liés à l’usage du plastique, renforcer la politique d’atténuation et de prévention des risques du groupe, ainsi que pour publier les travaux issus des réunions à venir pendant les trois prochains exercices afin de suivre la mise en œuvre de ce vaste plan de transition du modèle préexistant.

Rémi Nouailhac : Le succès de cette médiation de Danone est une très bonne nouvelle. Dans d’autres entreprises, malheureusement, la médiation ne se lance pas pour cause de refus des associations demanderesses.

Charlotte Michon : La médiation est aussi intéressante sous l’angle de « médiation de projet », de « médiation de prévention » entre l’entreprise et ses parties prenantes. La CS3D va d’ailleurs imposer des échanges constructifs sur un certain nombre d’étapes avec les parties prenantes impactées. L’espace de médiation pourrait être intéressant pour permettre de dépasser certains clivages et organiser ce dialogue en confiance et sur la durée.

France Vassaux : Pour parler plus précisément des entreprises de taille moyenne, celles-ci ne doivent surtout pas poser le crayon. Il ne s’agit que de propositions de textes. Celle visant à reporter l’application de CSRD sera adoptée rapidement, la volonté du Conseil et de la Commission d’aller dans ce sens est manifeste. Toutefois concernant la deuxième proposition de texte ne portant pas sur le report, le Parlement européen semble divisé. Je crains donc que l’adoption de la deuxième proposition prenne du temps.

Les plus petites entreprises sont pour leur part dans une situation compliquée. D’une part leurs financeurs leur réclament des informations ESG en lien avec les exigences réglementaires qui leur sont propres et, d’autre part, les grands groupes qui sont eux-aussi soumis à des exigences règlementaires en matière extra financière. L’une des solutions pour les plus petites entreprises consisterait à adopter la norme volontaire à destination des PME présentée par l’EFRAG dite de VSME (Voluntary Sustainability Reporting for non-listed SME). Tous les prestataires de petites tailles des grands groupes pourront remonter a minima un certain nombre de points de données ESG prévues par le cadre sécurisé de la VSME. J’ai donc l’impression que la VSME va devenir la norme pour les PME et pour celles qui sortiront demain du champ de CSRD. Rappelons que les PME représentent plus de 99 % du tissu des entreprises européennes.

Sabine Lochmann : La VSME, pour laquelle l’EFRAG a publié son avis technique en décembre 2024, compte 90 points de données. On est bien loin de l’approche CSRD initiale. Pourtant leurs objectifs se rejoignent. Il s’agit tout d’abord de fournir des informations qui aideront à satisfaire les besoins en données des grandes entreprises qui demandent des informations sur la durabilité à leurs fournisseurs. Ensuite, cela permettra de fournir des informations permettant de satisfaire les besoins en données des banques et des investisseurs, aidant ainsi les entreprises dans leur accès au financement. Enfin ces petites entreprises pourront, elles aussi, travailler à améliorer la gestion des enjeux de durabilité auxquels elles sont confrontées, c’est-à-dire les défis environnementaux et sociaux tels que la pollution, la santé et la sécurité des travailleurs. Cela soutiendra leur croissance compétitive et améliorera leur résilience à court, moyen et long terme.

En alliant la double matérialité et la VSME, l’entreprise apportera une information permettant d’être encore mieux en adéquation avec les attentes du donneur d’ordre et d’obtenir des lignes de crédit supplémentaires, leurs risques et actions étant mieux décrites et appréciées.

Pour conclure, je crois que les entreprises doivent d’abord garder leur calme face au bruit ambiant créé par ces projets de réforme Omnibus. Poursuivre les travaux engagés pour traduire la stratégie du groupe au travers des actions comprises et accompagnées par les départements juridique et financier travaillant main dans la main, leur donnera toute la crédibilité et l’impact nécessaire pour répondre aux enjeux de risque de responsabilité, de financement, de valorisation. Pour les entreprises qui verraient l’obligation de décaler de deux années la production du rapport de durabilité, raison de plus pour l’équipe de direction de travailler ensemble en s’appropriant la méthodologie de la double matérialité. Cela leur permettra définitivement, en termes d’appréhension des risques, de mieux négocier avec leurs compagnies d’assurance, leurs banques, et même leurs actionnaires, bref d’avoir de meilleurs résultats pour être accompagnés dans cette phase d’intense transition. Il conviendra ainsi de regarder quels sont les objectifs, par rapport à quelle cible, et comment poser des actions avec quels indicateurs, y compris en intégrant les responsables du dialogue social, pour travailler à ce changement de paradigme que subit de plein fouet notre système capitaliste.

Charlotte Michon : Oui, il faut continuer et profiter de ce temps pour construire des démarches réfléchies partagées en interne et mutualisées entre les exercices et dépasser les démarches tick the boxes. Ces exigences règlementaires sont le reflet des attentes des parties prenantes au regard des enjeux environnementaux et sociaux de la société dans son ensemble et dans le cadre d’une économie mondialisée et des contextes géopolitiques fluctuants. Des démarches internes de vigilance et de gestion de ses impacts participent largement à la prévention des risques réputationnels, financiers, opérationnels et juridiques (liés à des contentieux climatiques ou des accusations de greenwashing par exemple). Et les investisseurs, les partenaires commerciaux eux-mêmes soumis à des obligations règlementaires et les clients regardent les pratiques de durabilité des entreprises, considérées de plus en comme des gages de confiance pour s’engager dans une relation commerciale.

Luis Quinonero : Sur la vigilance, notamment, je pense que le sujet continuera à se développer avec des règles qui deviendront des plus en plus précises et une pratique qui va s’améliorer. Les contentieux ne vont pas disparaître et les autorités de contrôle auront leur mot à dire.

Le dispositif de due diligence risque de ne pas pouvoir être achevé en une fois, une démarche d’amélioration continue semble indispensable. Pour qu’elle ait du sens, elle doit être solide, c’est à dire méthodique et la plus exhaustive possible.

Des impacts négatifs non identifiés au préalable vont apparaître, car les chaines de valeur sont ­complexes et les problèmes sociaux, environnementaux et géopolitiques se multiplient. Si on veut que les choses avancent dans le bon sens, il serait utile que tous les intervenants comprennent que la vigilance ne demande pas ­d’atteindre la perfection. Elle ne met pas à la charge des seules entreprises la résolution de tous les problèmes de la planète, ce type de discours peut avoir un effet démobilisateur et ne correspond pas au texte de la CSDDD. Il s’agit avant tout d’avoir une démarche diligente et raisonnable. T