La JUB : une nouvelle façon d’exercer
Céline Bey et Marianne Schaffner, associées au sein cabinet Gowling WLG, dressent le bilan d’un an de fonctionnement de la juridiction unifiée du brevet (JUB) pour les acteurs du secteur.
Quel bilan dressez-vous du fonctionnement de la JUB ?
Céline Bey : Depuis sa création, la JUB a été saisie de 134 actions en contrefaçon, c’est dans la fourchette haute de ce qui était envisagé au lancement de la juridiction. Il y avait beaucoup d’attentes de la part des acteurs du secteur, notamment de la part des grands noms de l’industrie. La JUB a d’ores et déjà rendu des ordonnances et des décisions en appel et nous attendons la première décision au fond, qui sera rendue le 5 juillet. Conformément aux attentes, la technicité et la rapidité sont au rendez-vous.
Marianne Schaffner : Sur les 134 saisines en contrefaçon, beaucoup ont été faites devant les divisions locales allemandes. Ce n’est pas réellement une surprise : historiquement, l’Allemagne a toujours connu davantage d’actions en matière de brevets que ses voisins européens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la JUB dispose de quatre divisions locales en Allemagne, et que celle de Munich se dédouble pour faire face à la demande. L’Allemagne va sans doute garder cette suprématie, mais il est probable que la répartition des saisines s’équilibre dans le temps.
Quelles sont les pistes d’amélioration ?
M. S. : Au départ, il était prévu une transparence totale, avec un accès possible à l’ensemble des décisions, pièces et mémoires d’un dossier. Puis, quelques mois avant l’entrée en vigueur, il a été envisagé que le principe serait la confidentialité, y compris pour les décisions de la JUB qui n’auraient été publiées que si aucune des parties ne s’y opposait. L’industrie et les conseils se sont mobilisés. Ainsi, le principe de la publicité des décisions a été réintroduit, mais le comité administratif a décidé que la communication des mémoires et des pièces aux tiers à la procédure ne serait possible qu’à condition de justifier d’un intérêt légitime impliquant le dépôt d’une requête et donc de constituer un conseil habilité à agir devant la JUB, ce qui est une première difficulté. Mais encore, la notion d’intérêt légitime n’est pas entendue de manière uniforme par toutes les divisions locales, celle de Paris ayant une approche plus souple et plus pragmatique que les divisions allemandes beaucoup plus frileuses. Le 11 avril dernier, un arrêt de la cour d’appel de la JUB, dans une affaire Ocado contre Autostore, est venu préciser cette notion, mais la solution apportée n’est pas satisfaisante. Il serait souhaitable que le comité administratif revoie sa position pour qu’un accès soit donné à l’ensemble des dossiers, les éléments protégés par le secret des affaires pouvant être caviardés. La transparence étant une condition de la confiance dans la JUB, et c’est ce qui se fait ailleurs aux États-Unis ou devant l’OEB par exemple.
Un autre point d’amélioration est l’accès au CMS (case management system), qui est le système de gestion des procédures et des affaires, accessible en ligne. Tout le monde, représentants comme juges, s’accorde à dire qu’il est très lent, peu pratique, et qu’il doit être amélioré. Heureusement les greffiers de la juridiction, très disponibles, sont d’une grande aide. Enfin, l’accès à la jurisprudence est également à parfaire en créant un moteur de recherche par mots-clefs.
Comment le cabinet s’est réorganisé pour faire
face à la réforme ?
C.B. : La naissance de cette juridiction a contraint les cabinets à s’adapter, notamment parce que les délais pour préparer les dossiers sont beaucoup plus courts. Le cabinet Gowling WLG, pour qui la propriété intellectuelle est une pratique majeure, s’est renforcé, avec l’arrivée de Marianne à Paris et nous avons constitué une véritable « task force » internationale, dédiée à la JUB. Le cabinet est fort de 200 professionnels à travers le monde dédiés à la propriété intellectuelle dont 80 avocats et ingénieurs spécialisés en brevets. À Paris, nous sommes 7 avocats en brevets et nous pouvons à tout moment mobiliser nos collègues, avocats et ingénieurs, de cette « task force » JUB pour mener plusieurs dossiers de front devant la JUB, devant laquelle les règles de procédure sont un mélange de common law et de civil law, et, en parallèle, devant les juridictions nationales ou à l’OEB. C’est une nouvelle façon d’exercer. Nous avons par ailleurs développé en interne un nouvel outil, le UPCalculator™, que nous mettons gratuitement à disposition de nos clients afin de leur permettre de déterminer si et quand un brevet unitaire sera économiquement plus intéressant que les validations nationales traditionnelles.