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Réforme du droit du travail indien : un copier-coller du droit positif ?

Par Aurélia Granel

Dans un souci de simplification, le gouvernement indien est en train de regrouper les 29 lois du travail actuellement en vigueur dans quatre codes du travail. Une réforme en profondeur est attendue. Arjun Paleri, associé, et Olympe Thomas-Lamotte, juriste au sein du cabinet BTG Legal, décryptent le contenu de ces nouveaux codes devant entrer en vigueur d’ici quelques mois.

Comment décrire le droit du travail en vigueur avant la réforme ? Comment était-il perçu par les salariés et les employeurs ?

Arjun Paleri : L’Inde est une République parlementaire fédérale dans laquelle le pouvoir est partagé entre le gouvernement central et les 28 États et 8 territoires. Les lois du travail en vigueur sont très nombreuses en Inde. On en dénombre une centaine si l’on prend en compte les lois du gouvernement central et celles des États. Cette situation est sans aucun doute perçue comme très complexe par les employeurs et les employés. Les premiers sont en effet tenus de respecter les nombreuses exigences imposées par le gouvernement central et les gouvernements des États. Les mesures se chevauchent et se contredisent parfois. Quant aux employés, cette profusion législative entraîne de grandes difficultés à leur faire connaître leurs droits.

Olympe Thomas-Lamotte : Même si les nouveaux codes ne modifient pas toutes les lois du travail en Inde, ils les simplifient en fusionnant 29 textes existants en quatre nouveaux Codes du travail. L’intention est de rendre ces lois plus uniformes à l’échelle nationale, d’adapter le droit en vigueur aux nouvelles tendances en matière d’emploi, comme par exemple, le travail indépendant ou les emplois à durée déterminée.

Quid de l’impact de la crise sanitaire sur le droit du travail ?

O. T.-L. : Aucun changement permanent n’a été apporté aux textes en vigueur en raison de la crise sanitaire. Toutes les mesures prises pendant la pandémie visent uniquement à faire face à l’urgence sanitaire.

A. P. : Des mesures comme la mise en place du télétravail et l’obligation de prendre des congés pour les employés infectés par la Covid-19 ont bien sûr été imposées. Ces mesures ne sont pas uniformes sur l’ensemble du territoire et chaque État a suivi ses propres lignes directrices.

Certains gouvernements des États autorisent le personnel entièrement vacciné à travailler en présentiel, en suivant le processus « Covid Appropriate Behaviour », comme le lavage des mains, le port de masques, des tests de dépistage réguliers, etc.

O. T.-L. : Pour encourager le personnel à se faire vacciner, les entreprises organisent des campagnes de vaccination privées, payées par l’employeur pour les employés et les personnes à charge (époux, parents, enfants, etc.), en accordant un congé payé supplémentaire pour se rétablir de la vaccination.

Quelles sont les principales propositions contenues dans les nouveaux Codes du travail ?

A. P. : Le Code des salaires 2020 (Code on wages) regroupe quatre lois relatives aux salaires et aux primes. On note plusieurs mesures clés avec la réforme, telle que la redéfinition de ce qui constitue le salaire. Dans la pratique, cette nouvelle définition pourrait entraîner l’augmentation des cotisations sociales versées par l’employeur et la réduction du montant du salaire effectif perçu par les employés. La révision des règles de fixation du salaire minimum, dit salaire plancher, est également un changement majeur. Il sera fixé par le gouvernement en fonction de la zone géographique. Par exemple, le salaire minimum pourra différer suivant qu’une usine se situe en zone rurale, ou urbaine.

En outre, les employeurs devront payer le solde dû aux employés licenciés ou ayant démissionné, au plus tard, deux jours après leur dernier jour de travail effectif. Ils devront donc mettre en place des dispositions pour calculer et verser ces sommes dans un délai très court. Les entreprises devront augmenter les primes statutaires, c’est-à-dire les primes devant être obligatoirement payées aux salariés en vertu de la loi. Le Code des salaires s’appliquera à toutes les entreprises, quel que soit le nombre de salariés, ou le secteur d’activité, ainsi qu’à à tous les salariés. Des sanctions plus sévères seront prévues en cas de non-respect du droit, ainsi que des délais de prescription rallongés pour déposer des recours et interjeter appel. Les employeurs courront donc un risque plus long de réclamations de la part des employés.

O. T.-L. : Le Code de la sécurité sociale 2020 (Code on social security and welfare) prévoit quant à lui que la gratification – un paiement forfaitaire supplémentaire versé aux employés à la fin de leur emploi – sera désormais également due aux employés à contrat à durée déterminée, ainsi qu’aux employés décédés ayant exercé pour l’entreprise pendant moins de 5 ans, contrairement à la loi actuelle.

Une autre avancée significative est l’étendue de la couverture sociale à de nouvelles catégories de professionnels. Ainsi, pour la première fois, les travailleurs à domicile, les personnes travaillant pour une plateforme en ligne (comme Uber) et les intérimaires seront couverts par la sécurité sociale. Il s’agit d’une avancée majeure et largement attendue.

Le Code propose également la création d’une caisse de sécurité sociale pour étendre les prestations de sécurité sociale aux travailleurs du secteur non organisé : les petits agriculteurs, les ouvriers agricoles sans terre, les métayers, les pêcheurs, les éleveurs, les ouvriers du bâtiment et de la construction, etc. Les entreprises devront contribuer à ce fonds à hauteur de 1 à 2 % de leur chiffre d’affaires (ou 5 % du montant des salaires des employés).

A. P. : Le troisième, appelé Code des relations industrielles 2020 (Code on industrial relations), simplifie les lois régissant les conflits au travail et les syndicats en Inde. Parmi ces réformes, soulignons que l’approbation préalable du gouvernement ne sera officiellement pas requise pour les licenciements et la fermeture des usines de moins de 300 salariés. Le gouvernement souhaite ainsi donner à ces entreprises une grande liberté de fonctionnement. Il est également à noter qu’en cas de licenciement, les employeurs devront désormais verser 15 jours de salaire à un fonds public de reconversion visant à former les travailleurs licenciés. Cette mesure va augmenter le coût des licenciements pour les entreprises.

Le Code des relations industrielles vient par ailleurs redéfinir la notion de grève. Il s’agit dorénavant d’un congé de masse de 50 % ou plus des travailleurs. Un préavis de 60 jours devra être respecté par les travailleurs grévistes ou par les employeurs en cas de lock-out. Notons également l’exigence de la création d’un comité interne de règlement des litiges composé de représentants de l’employeur et des travailleurs. Enfin, il sera obligatoire pour ces derniers d’avoir, au sein de leur entreprise, un syndicat négociateur qui sera le point de contact unique pour négocier avec l’employeur au nom de tous les travailleurs.

O. T.-L. : Enfin, le Code des conditions de travail, de la sécurité et de la santé au travail 2020 (Code on occupational safety, health and working conditions) regroupe 13 lois. Elle interdit l’embauche d’intérimaires pour les activités principales définies dans l’objet social de l’entreprise. Appelé contractor, ce statut est à l’heure actuelle très répandu. Il s’agit de travailleurs ne faisant pas partie des effectifs de l’entreprise, mais qui sont employés par un intermédiaire pour une durée déterminée, ou un travail fixe. Les entreprises ne pourront plus faire appel à ces travailleurs dans le cadre de leurs activités principales.

Relevons également un changement notable dans le cadre des mesures d’égalité homme-femme. En effet, les femmes salariées pourront maintenant, avec leur consentement, être employées dans tous les secteurs d’activité et pour des heures de travail plus longues qu’auparavant.

On note enfin des avancées sociales. Par exemple, en ce qui concerne les heures supplémentaires, l’employeur devra recueillir le consentement du salarié et les heures supplémentaires devront être payées. Une autre avancée sociale concerne les migrants interétatiques. Ces travailleurs d’un État de l’Inde qui travaillent dans un autre État que le leur bénéficieront d’une somme annuelle pour pouvoir se rendre à leur domicile. Leurs dettes, telles que les avances sur salaire (qui est une pratique courante en Inde) ne pourront être réclamées que pendant la durée de leur emploi et non après.

A. P. : Les 4 Codes du travail ne sont pas encore entrés en vigueur. Le gouvernement travaille à l’élaboration de textes règlementaires d’application de la loi. Ils permettront d’avoir une vision plus claire et définitive sur cette réforme du droit du travail en Inde.