Médiation commerciale : encore une voie alternative ?
La médiation commerciale s’est fait un nom dans le monde des affaires. Ce processus amiable et confidentiel de résolution des différends permet aux parties de préserver leurs relations, en trouvant ensemble une solution adaptée à leurs besoins et contraintes, sans avoir à subir la lenteur et le manque de moyens de la justice étatique, ni la complexité et le coût élevé de l’arbitrage. Entretien entre Hubert d’Alverny, médiateur et avocat fondateur du cabinet D’Alverny Avocats, et Sophie Henry, déléguée générale du Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP).
Quels sont les atouts de la médiation commerciale ?
SOPHIE HENRY : La médiation commerciale offre non seulement un gain de temps aux parties, puisque la durée moyenne d’une médiation judiciaire ou conventionnelle est de quinze heures, contre parfois plusieurs années devant des juridictions étatiques, mais aussi une maîtrise de leurs dépenses, avec un coût moyen de 9 000 €, selon les statistiques du CMAP. La médiation commerciale permet non seulement de réduire l’aléa judiciaire, puisque ce sont les parties qui trouvent une solution à leur litige, mais aussi de pérenniser leur relation d’affaires et de s’assurer du respect de la confidentialité, qui est une préoccupation essentielle dans le monde des affaires.
HUBERT D’ALVERNY : Les statistiques des principaux centres de médiation (CMAP et IEAM notamment) démontrent qu’une médiation commerciale engagée aboutit à un accord dans 75 à 80 % des cas, ce qui est un taux très élevé, et que l’accord de médiation est exécuté spontanément, de la part des parties médiées, dans 99 % des dossiers. L’appareil judiciaire étant surchargé, la médiation est aussi un moyen extrêmement efficace de compter sur l’intelligence des acteurs de l’entreprise et de leurs conseils, qui vont choisir de trouver des solutions de leur propre chef. La médiation commerciale permet de traiter des conflits internationaux, donc les entreprises ne doivent pas hésiter à insérer, dans leurs contrats, une clause de médiation, avec une référence à un centre de médiation, voire à un règlement de l’un d’eux, ce qui a autant de valeur et d’efficacité juridique qu’une clause attributive de juridiction.
Comment expliquez-vous l’accroissement du recours à la médiation en 2020 et 2021 ?
HUBERT D’ALVERNY : La pandémie a renforcé l’engouement des acteurs économiques pour cette méthode intelligente de résolution des conflits. L’activité juridictionnelle ayant été très ralentie pendant quasiment six mois et souffrant d’importantes difficultés dont les causes sont plus profondes encore, tous les acteurs économiques se sont naturellement tourné vers ces modes de résolutions des conflits que sont l’arbitrage et la médiation. Cette dernière s’est adaptée à la situation sanitaire avec le recours à la visioconférence. Les professionnels de la médiation étaient initialement un peu réticents à l’utilisation de la visioconférence, en raison de l’importance du contact et de la discussion dans la réussite d’une médiation et de la confiance qui naît dans une salle où tout le monde se retrouve. Mais je n’ai pas eu l’impression, du moins dans ma pratique, que les médiations en ligne avaient moins de chance d’aboutir que celles effectuées en présentiel.
SOPHIE HENRY : Le centre enregistre, en 2020, une croissance globale de plus de 30 %, dont 10 % pour la médiation commerciale. Le baromètre annuel 2021 de la médiation et de l’arbitrage du CMAP, qui sera publié cette année, ira dans le même sens. J’explique cette croissance des saisines de la médiation commerciale par un engouement général des acteurs judiciaires, notamment des magistrats, sensibilisés à cette thématique en raison de la surcharge dont ont été victimes les tribunaux à la suite de la pandémie, et par le manque de moyens de la justice pour régler les contentieux. Cet engouement est largement aidé par les pouvoirs publics ces dernières années, qui encouragent le recours à la médiation et aux modes alternatifs de règlement des différends. Soulignons par exemple la création récente du Conseil national de la médiation qui, sous l’égide du ministère de la Justice, a notamment pour mission d’encadrer le processus de médiation par la déontologie et la formation des médiateurs.
HUBERT D’ALVERNY : J’explique également cet engouement par le prosélytisme de la part des centres de médiation et des professionnels judiciaires, notamment des juges et des avocats. Nombre de ces derniers se forment à la médiation, devenant des avocats médiateurs ou des accompagnants à la médiation. Contrairement à la pratique contentieuse qui nécessite d’affronter la partie adverse lors d’un procès, un avocat qui sait accompagner ses clients dans le cadre de médiations devient un partenaire du médiateur et des parties médiées. Il y a une dizaine d’années, lorsque vous proposiez à un avocat ou à ses clients d’entrer en médiation, la suggestion était trop souvent repoussée. Les mentalités et les pratiques ont significativement évolué.
SOPHIE HENRY : Il est vrai que la médiation a gagné ses titres de noblesse dans le cadre du contentieux. J’en veux pour preuve qu’aujourd’hui, même les spécialistes de l’arbitrage portent un intérêt à la médiation en l’intégrant dans les procédures arbitrales, via l’insertion de clauses mixtes dans les contrats. Il est ainsi possible de recourir à la médiation en amont de l’arbitrage ou de suspendre ce dernier pour y recourir. L’arbitrage et la médiation sont des voies de résolution de conflits complémentaires, et non concurrentes.
HUBERT D’ALVERNY : La procédure arbitrale, très souple et rapide il y a encore une dizaine d’années, est devenue plus complexe, technique, longue et onéreuse. La médiation, qui est très souple, ne doit surtout pas tomber dans ce travers. Les voies de résolution qui s’inscrivent ailleurs que dans le contentieux judiciaire doivent garder leur souplesse. L’un des avantages communs de la médiation et de l’arbitrage est le respect de la confidentialité, contrairement à la justice d’État.
Comment les avocats et les centres de médiation peuvent-ils renforcer ce travail de promotion de la médiation commerciale ?
SOPHIE HENRY : Les avocats sont nos meilleurs alliés pour développer la médiation. Près de 50 % des médiateurs ou accompagnants en médiation formés par le CMAP sont des avocats. L’autre moitié est composée d’acteurs du monde de l’entreprise, tels que des dirigeants d’entreprise, des consultants ou des ingénieurs. Au sein du CMAP, nous sommes très vigilants à ce que les avocats soient totalement impliqués dans le processus de médiation. Nous demandons que toutes les procédures de médiation soient conduites en présence des avocats. À notre sens, c’est la clé de la réussite de la médiation.
HUBERT D’ALVERNY : La formation des médiateurs est cruciale. On ne s’improvise pas médiateur ou accompagnant à la médiation. C’est une technique qui s’apprend et la qualité des formations dispensées par les centres (IEAM par exemple) contribue de manière irrémédiable à la promotion des MARD dans l’esprit des acteurs du monde de l’entreprise, des avocats et des magistrats. À l’inverse, il existe encore un certain nombre de personnes insuffisamment bien formées, voire pas du tout, et il suffit d’une mauvaise expérience de médiation pour que toute une entreprise renonce définitivement à cette pratique.
SOPHIE HENRY : Soulignons par ailleurs un indicateur positif pour la médiation qui vient d’Angleterre : la notion d’alternative dispute resolution est en train d’être remplacée par celle de dispute resolution. C’est la consécration du fait, qu’aujourd’hui, la médiation commerciale n’est plus une alternative au contentieux, mais l’un de ses outils. Les juristes et les avocats doivent compter sur cette voie pour résoudre les conflits de leurs clients ou de leur entreprise. Désormais, cette connaissance de la médiation, par les avocats, est même devenue une obligation professionnelle, puisqu’elle a été récemment insérée dans le code de déontologie. L’avocat est tenu de proposer, à son client, de recourir à la médiation lorsqu’elle est adaptée à sa situation.