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« L’IA va nous permettre de penser à ce que nous pouvons apporter de plus à nos clients »

Par Anne Portmann

Au sein du cabinet August Debouzy, la volonté affichée de prendre le virage
de l’IA dynamise les équipes et conduit les avocats à réfléchir sur la façon dont ils travailleront demain avec cet outil. Échanges avec Mahasti Razavi, managing partner, Florence Chafiol, associée et Eden Gall, avocat senior, au sein du département technologies, propriété intellectuelle et media.

Comment August Debouzy utilise l’IA ?

Mahasti Razavi : Le cabinet August Debouzy a toujours été très en avance quant à l’usage des nouvelles technologies. Il est actuellement en phase de test de Microsoft Copilot, le logiciel MS Office 365 qui contient des fonctions d’IA. Nous utilisons également Azure Open AI Services, ChatGPT, Luminance ainsi que certains outils pour nos équipes en charge de la communication.

Pour encadrer l’utilisation de ces nouvelles technologies, nous avons mis en place un comité tech qui réfléchit à notre stratégie tech, essaie les produits et a notamment élaboré une charte d’utilisation de l’IA. Nous utilisons l’IA principalement pour des tâches de traduction et de création de contenu. Le principe est que l’IA ne doit pas remplacer l’humain, comme en témoigne d’ailleurs, l’emploi du terme « copilote ». Même si l’outil améliore la productivité pour certaines tâches, elles sont toujours encadrées par l’humain.

Sur quelles tâches avez-vous constaté
un réel gain de temps ?

Florence Chafiol : Nous sommes encore en phase de test donc nous n’avons pas encore de résultats définitifs, mais en dehors des tâches évidentes comme les recherches dans une grande quantité de documents, nous savons que ces outils vont nous permettre d’aller plus rapidement à l’essentiel s’agissant de tâches nécessitant peu de valeur ajoutée, sous réserve que nous ayons une très bonne maîtrise de l’utilisation de ces outils, ce à quoi nous œuvrons au quotidien.

M. R. : Il faut reconnaître que le résultat donné par l’IA n’est pas instantanément parfait. Il faut parfois s’y reprendre à plusieurs reprises pour obtenir une information pertinente et exploitable. La rédaction des prompts est délicate et il faut sans cesse les améliorer et les adapter, mais aussi sortir de l’idée qu’il faut faire des prompts courts. Ce n’est pas de la magie et la machine ne peut pas savoir ce que l’avocat a en tête s’il ne donne pas de détails. C’est pourquoi il faut véritablement encourager les praticiens à améliorer leurs prompts, les accompagner, pour dépasser leurs premières appréhensions négatives.

Eden Gall : En réalité, l’IA générative a pour caractéristique, comme son nom l’indique, de générer de nouvelles données à partir d’éléments dont on l’a entraînée. Le cabinet organise en interne des formations pour rédiger des instructions pertinentes pour utiliser ces outils, les « prompts ». Nous les retravaillons et nous constituons une banque de prompts que les avocats et les autres membres du cabinet pourront utiliser à terme.

Comment allez-vous intégrer l’IA au fur
et à mesure de son évolution ?

M. R. : Pour les avocats, l’objectif de l’utilisation de l’IA est d’apporter de la valeur ajoutée aux clients. Ils doivent repenser la manière dont ils raisonnent, prendre de la hauteur et du recul sur les informations données par l’outil, tout en veillant à conserver un regard critique dessus. Le fait que nous utilisions des bases documentaires ou des modèles n’a rien de nouveau, mais notre travail consiste à adapter ce modèle à la réalité du dossier et du client. Au fond, le sujet est de savoir ce que l’on fera du gain de temps que va nous offrir l’IA. Et sur cette question, le positionnement du cabinet est clair : il nous permettra de réfléchir à ce que l’on peut apporter de plus au client.

F. C. : Le danger est que certains font passer pour de l’IA des outils qui n’en contiennent pas et l’expression « IA générative », est, selon les cas, un mot magique ou un repoussoir. L’utilisation de l’IA doit être perçue comme un atout et non comme un risque et c’est dans cette optique que nous accompagnons nos clients dans le cadre de leurs différents projets liés à l’IA.

Pourquoi les directions juridiques sont-elles
craintives ? Quels problèmes juridiques sont
posés par l’utilisation de l’IA ?

F. C. : Je constate une importante méconnaissance du sujet dans certaines entreprises. Celles qui ont réagi très tôt sur l’IA ont initialement eu un mouvement de méfiance et ont souvent préféré interdire son usage en interne. Certaines directions juridiques ont également interdit à leurs avocats de faire usage de l’IA. Je vois cependant une forme d’évolution dans la perception de ces nouvelles technologies car les approches évoluent au fur et à mesure. Je crois qu’avec le recul, ceux de nos clients qui faisaient preuve de méfiance ont désormais une approche plus raisonnée, sachant qu’un encadrement des usages est évidemment nécessaire.

M. R. : Au sein de tous les univers créatifs, l’IA crée une sorte de fascination. Il est donc indispensable d’accompagner l’usage de ce nouvel outil pour qu’il puisse être utilisé de façon maîtrisée plutôt que de l’interdire. Selon les typologies de secteurs d’activité, comme dans ceux de la presse ou de l’édition, on touche parfois à des valeurs fondamentales. Il est évident que par-delà la question relative aux données, personnelles ou non, le développement de l’IA entraînera des répercussions directes en matière de propriété intellectuelle, d’éthique, de sécurité informatique, de responsabilité, de contrats et d’obligations et sur les questions réglementaires. Avec pour conséquence, des sujets d’organisation interne, de process et de parcours d’usage.

F. C. : Notre mission, en tant que conseils, est d’aider nos clients à identifier les risques liés à l’utilisation de l’IA dans leurs processus de production.

L’utilisation de l’IA, comme vous l’avez souligné, pose de multiples questions, notamment quant à la transparence et à la confidentialité des données des clients. Quelle est votre position sur ces questions ?

F. C. : Une réflexion est en cours concernant la transparence de l’utilisation de l’IA par l’avocat dans le dossier client. Il est vrai que certains clients nous demandent de les prévenir lorsque certains outils sont utilisés dans le traitement de leur dossier au cabinet. Mais est-ce toujours pertinent ? Dans les cabinets d’avocats, nous avons l’habitude d’utiliser des contrathèques, qui existent depuis longtemps. Le dit-on au client ? Non.

E. G. : Il faut plutôt percevoir les paramètres d’un modèle de langage comme les boutons d’une table de mixage. Les données dont est nourri l’outil pour son entraînement, le dataset, ne peuvent pas être retrouvées dans le modèle entraîné. Il n’y a pas de « réutilisation » de la donnée brute et il n’est donc pas possible que celle-ci soit transmise à un autre client.

Avec la société 321 Founded, vous avez lancé
la legaltech Angelaw. Quels sont ses cas d’usage
et quel a été le rôle des avocats d’AD ?

M. R. : La plateforme Angelaw est un outil de CLM, « contract lifecycle management ». Il s’agit d’une solution de gestion intelligente de contrat. L’outil, qui s’adresse essentiellement aux PME et TPE, est déjà implanté auprès d’un certain nombre d’utilisateurs, mais il s’agit pour le moment d’une version bêta. La version définitive sera vraisemblablement prête au mois de septembre.

Les avocats d’August Debouzy ont contribué pour partie à la création de cette plateforme, en ayant élaboré des modèles de contrats « simples » qui pourront répondre aux besoins de certaines entreprises. L’outil contient de l’IA pour reconnaître les informations clés d’un contrat (typologie, dates, reconduction, etc.) et offre également la possibilité de faire appel à de l’IA générative pour l’aide à la rédaction de clauses spécifiques. Nous avons, avec nos partenaires, beaucoup interviewé les entreprises pour pouvoir répondre à leurs besoins de manière efficace.