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Le marché des legaltechs en pleine consolidation

Par Clémentine Locastro

En décembre dernier, le groupe LexisNexis a annoncé l’acquisition de Closd, l’une des legaltech françaises les plus renommées. Une opération qui participe à la consolidation d’un marché en plein essor. Entretien croisé entre Mathieu Balzarini, directeur des produits LexisNexis France & CEMEA, et Grégoire Debit, cofondateur et CEO de Closd. 

LexisNexis a récemment fait l’acquisition de Closd. Quelle est votre stratégie dans le domaine des legaltech ?

MATHIEU BALZARINI : Cette acquisition s’inscrit dans notre stratégie globale de développement, qui consiste à renforcer notre positionnement sur des solutions de productivité et d’aide à la décision. Avec nos contenus éditoriaux, nous livrons aux professionnels du droit la bonne information au bon moment. Nous cherchons aujourd’hui à leur apporter fluidité et automatisation dans leurs processus. Notre stratégie s’articule autour de trois axes : d’abord d’investir en croissance interne dans nos produits – environ 20 M€ par an ; ensuite de conclure des partenariats technologiques ou business, par exemple dernièrement avec Cegid ; enfin, de procéder à des acquisitions ciblées, raison pour laquelle Closd nous a rejoint. Nous allons poursuivre notre croissance externe.

Comment abordez-vous cette acquisition ?

MATHIEU BALZARINI : Nous plaçons cette acquisition dans une logique collaborative. Notre objectif est qu’elle bénéficie aux deux acteurs, raison pour laquelle nous souhaitons laisser son autonomie à Closd, tout en faisant profiter aux équipes des forces et moyens de LexisNexis. L’idée est d’accompagner la croissance et la dynamique de Closd, tout en développant des synergies. Chacun doit pouvoir apprendre de l’autre. Pour nous, c’est un moyen d’enrichir la proposition de valeur de nos produits. Pour Closd, c’est une façon d’accélérer son développement, notamment grâce à notre forte présence internationale.

GRÉGOIRE DEBIT : Nous sommes effectivement dans une logique de partenariat : Closd intègre l’écosystème workflow automation de LexisNexis, mais l’objectif est aussi de préserver la dynamique positive que nous observons depuis notre lancement en conservant de l’autonomie. Le but est de devenir une solution incontournable pour toutes les opérations juridiques en Europe et dans le monde. Nous sommes dans une logique de tremplin. Nous nous sommes lancés il y a trois ans et sommes déjà présents dans six pays en Europe. Notre croissance est donc très rapide. L’outil que nous avons construit est déjà largement utilisé sur le marché français et nous souhaitons accélérer son développement et notre présence à l’international. Il simplifie les processus sur les opérations juridiques et il est donc très propice à un développement international. Nous ne sommes donc pas cantonnés au droit français et pouvons facilement le proposer dans de nombreux pays. Sur ce plan, LexisNexis, acteur mondial majeur de l’information et de la technologie pour les professionnels du droit, est bien sûr très attractif pour une entreprise comme la nôtre. Sa présence dans 160 pays nous donne la possibilité de nous implanter dans de nouveaux marchés bien plus rapidement que ce que nous aurions pu faire en restant seuls.

Quels changements a connu la plateforme Closd depuis que vous avez créé sa nouvelle version ?

GRÉGOIRE DEBIT : Nous travaillons sur cette nouvelle version de la plateforme depuis un bon moment. Elle est d’ailleurs concomitante avec le rapprochement avec LexisNexis. Nous voulons accélérer la réalisation de notre roadmap produit. Nous la construisons grâce à la contribution de nos clients et utilisateurs, avec lesquels nous avons une grande proximité. Nos effectifs ont par ailleurs été renforcés, en particulier notre équipe technique, pour avancer sur nos nombreux projets. Deux axes principaux ont été définis : d’une part, automatiser davantage chacune des étapes des opérations juridiques grâce à de nouvelles fonctionnalités sur tous les modules proposés et, d’autre part, fournir du contenu pertinent à nos utilisateurs pour ce type d’opérations, comme des modèles de processus, projet pour lequel nous allons pouvoir nous appuyer sur l’expertise éditoriale de LexisNexis. C’est une logique de simplification et d’automatisation des processus sur les opérations juridiques. Nous donnons donc une grande importance à l’expérience utilisateur et travaillons en permanence dessus : il faut que ce soit fluide et simple, le but est d’accélérer les opérations, la façon dont elles sont gérées et réalisées. Nous avons pour challenge de créer un produit qui soit le plus simple possible à utiliser.

Comment créer de nouvelles synergies entre vos produits ?

MATHIEU BALZARINI : La solution Closd est très agnostique en termes de pratiques métier et nous sommes également attachés au fait qu’elle ne dépende pas d’un système juridique en particulier. De ce fait, il existe un certain nombre de synergies naturelles relatives à nos produits et nos contenus. Par exemple, nous développons des technologies permettant d’analyser automatiquement des documents juridiques. Dans le cadre d’une data room, nous pourrions proposer des modules qui aideraient les utilisateurs de Closd à appréhender le contenu et la nature des informations juridiques présentes dans leurs documents. Par ailleurs, nous voulons mettre à disposition de Closd notre expertise éditoriale, ce qui peut se traduire par deux cas d’usage : le premier serait d’apporter de l’information juridique pertinente à une étape donnée d’un processus ; le second consisterait à proposer des checklists préétablies en fonction du type de projet que l’on est amené à gérer. Notre objectif est de travailler avec nos clients et utilisateurs, pour identifier et prioriser ces cas d’usage.

GRÉGOIRE DEBIT : Dans les années à venir, l’enjeu principal dans le secteur des legaltech sera l’interopérabilité entre les produits. Aujourd’hui, nous assistons à un phénomène d’empilement des solutions et les professionnels du droit en utilisent souvent plusieurs. Nous voulons donc aller vers une communication entre les produits de Closd et LexisNexis. Le développement technologique et l’intelligence artificielle sont également au coeur de nos priorités, tout comme la revue et la production automatisées de documents.

Pourquoi avoir opté pour une acquisition plutôt qu’un partenariat ?

MATHIEU BALZARINI : Nous avons un parfait alignement avec Closd, c’est-à-dire une complémentarité des produits et des cas d’usage que l’on veut adresser. L’acquisition de Closd s’inscrit dans notre stratégie de croissance externe et complète parfaitement notre portefeuille produit. Nous partageons des moyens financiers et humains, des méthodes, des process. La solution Closd est très appréciée de ses clients, qui la recommandent. Enfin, ils ont une équipe engagée de grande qualité. Ces critères nous ont donc convaincus d’aller vers une acquisition plutôt qu’un partenariat.

GRÉGOIRE DEBIT : Le principal critère pour une acquisition est d’avoir une vision commune. Au cours de nos échanges, nous nous sommes rendu compte de l’alignement de nos visions stratégiques. L’acquisition permet d’être beaucoup plus efficace. J’ajoute que c’était le bon moment pour accélérer : les professionnels du droit qui gèrent des opérations juridiques ont pris conscience de la nécessité de digitaliser leurs processus, pour les accélérer et les optimiser. Les clients des professionnels du droit sont eux aussi de plus en plus en demande de ce type d’outils. Un simple partenariat ne nous aurait pas apporté la traction que nous souhaitions.

La transformation numérique du droit a connu une accélération depuis plusieurs années avec le développement des legaltech. Que pensez-vous de l’évolution de ce marché ?

GRÉGOIRE DEBIT : Au sein de l’Europe, la France est en avance en termes de développement technologique pour les professionnels du droit. De nombreuses legaltech ont été créées en France, par d’anciens praticiens le plus souvent. Notre écosystème est très dynamique et ce mouvement des start-up du droit s’est accéléré avec la crise du Covid-19. Plus de 200 legaltech ont été créées en France ces cinq dernières années et parmi celles-ci, certaines sont aujourd’hui largement utilisées et nouent des partenariats avec des acteurs historiques du secteur. Toutefois, il ne faut pas oublier que le marché du droit n’a pas attendu ce mouvement pour se digitaliser : des acteurs comme LexisNexis ont été précurseurs il y a déjà des années.

MATHIEU BALZARINI : Les legaltech ont su tirer profit des progrès technologiques et de leur accessibilité pour contribuer, avec des acteurs plus traditionnels, à la digitalisation de la profession. Après une phase d’extension rapide, ce marché est désormais en cours de consolidation. Il se structure progressivement et l’objectif est que cela se fasse au bénéfice des clients, de leurs problématiques, et à un rythme qui leur permette d’absorber cette transformation.

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