Le droit pénal des affaires français tient ses promesses
Longtemps pointé du doigt à l’international en raison d’une lutte contre la fraude et la corruption jugée trop timorée, le droit pénal des affaires français, fort de nouveaux instruments tels la CJIP, devient enfin compétitif et permet ainsi de protéger les entreprises tricolores de l’interventionnisme étranger. L’AFA, en fixant un seuil d’exigences élevé lors de ses contrôles, confirme quant à elle cette volonté française de se conformer aux standards internationaux. Cependant, tout ne saurait être parfait, et le droit pénal souffre par exemple, dans son exécution, d’un manque de moyens qui nuit au débat contradictoire.
La stratégie judiciaire française est aux saisies. Doit-on souhaiter un encadrement de celles-ci ?
Dominique Penin : C’est certain. Les juges ne font qu’appliquer le droit pénal tel qu’il est, avec les contraintes budgétaires que nous connaissons. Nombreux sont les magistrats à souhaiter qu’il y ait davantage de juges d’instruction pour traiter les dossiers pénaux, ce qui permet d’assurer un encadrement complet des saisies et offre des garanties de droit élevées en faveur des justiciables.
J’ai tendance à penser que c’est d’abord cette contrainte budgétaire qui explique pourquoi les dossiers pénaux sont traités en enquête préliminaire.
Parallèlement, les parquets se sont vus confier ces dernières années des pouvoirs de plus en plus étendus, en particulier en matière de saisies, sans pour autant que l’enquête préliminaire profite de voies de recours analogues, aussi puissantes que celles disponibles en matière d’instruction. En bref, nous nous trouvons en plein déséquilibre. Le manque d’encadrement en matière de recours contre ces saisies pratiquées en enquête préliminaire est donc déplorable, d’autant que l’enquête préliminaire est secrète, sans mise en examen, par conséquent sans possibilité de consulter le dossier et de contester la saisie sur un terrain d’égalité. La personne saisie reste pourtant présumée innocente alors que ses biens se trouvent immobilisés et qu’elle est sans réel pouvoir pour recouvrer ses droits. Le débat contradictoire qui pourra naître au sujet du bien-fondé de cette saisie et de sa proportionnalité ne viendra que bien après, à retardement, ce que l’on ne peut que déplorer. Il est souhaitable de créer des voies de recours sérieuses propres à contester de telles saisies, afin d’assurer les conditions d’un débat loyal et contradictoire.
"La CJIP sera de plus en plus utilisée, d’autant que les entreprises souffrent de procédures pénales trop longues qui sont pour elles indigestes"
« La CJIP nous permet de rentrer dans la compétition internationale », explique Éliane Houlette, procureure du parquet national financier. Nos entreprises sont-elles aujourd’hui davantage protégées face à l’extraterritorialité du droit américain ?
Dominique Penin : L’un des objectifs de la loi Sapin 2, instrument français de soft power, consiste à ce que la France soit capable de transiger avec les entreprises sur certains types de délits plutôt que de laisser à d’autres juridictions étrangères le loisir de le faire. L’intérêt bien compris des entreprises françaises peut naturellement consister à faire en sorte que ces poursuites et une CJIP s’organisent en France, en amont, afin d’empêcher celles qui pourraient être imaginées à l’étranger. Cet objectif est louable, mais il n’est pas certain qu’il puisse s’accomplir dans tous les cas – ce qu’une affaire récente vient de démontrer en matière aéronautique.
Je suis convaincu que la CJIP sera de plus en plus utilisée, d’autant que les entreprises souffrent de procédures pénales trop longues qui sont pour elles indigestes, tant au niveau du personnel que pour leurs activités commerciales.
Du point de vue de l’entreprise, ces conventions peuvent être de véritables bouées de sauvetage. Lorsqu’elles sont mises en œuvre, elles peuvent permettre de court-circuiter des poursuites venant de l’étranger et, ainsi, résoudre des situations complexes.
Le champ d’application de la CIJP est encore restreint, mais il ne serait pas étonnant qu’à l’avenir son spectre s’élargisse.
Quelles leçons tirer des premiers contrôles de l’Agence française anti-corruption (AFA) ?
Gilles Kolifrath : Pour 2018, l’AFA avait annoncé 50 contrôles d’acteurs privés et 50 contrôles d’acteurs publics. En septembre, elle avait diligenté 47 contrôles, ce qui n’est pas anodin. Le programme de contrôle est ambitieux, et démontre que l’on attend que la loi Sapin 2 soit appliquée. Si le nombre d’agents – une soixantaine – est relativement restreint, l’AFA se donne les moyens de ses objectifs en lançant un appel d’offre afin d’utiliser des tiers, et notamment des avocats, pour les assister et procéder à ces contrôles. Néanmoins, la durée des contrôles, qui devait s’inscrire dans un calendrier assez serré, a pris du retard. En pratique, il y a effectivement quelques leçons à retenir. Les sociétés contrôlées ont eu des difficultés avec deux ou trois points sur les huit à mettre en œuvre, et plus particulièrement avec la cartographie des risques. Une majorité d’entre elles ne s’attendaient pas à ce que cette dernière soit une difficulté. Nous retenons donc que les entreprises doivent réserver une attention accrue à ce point. La cartographie doit être ainsi très détaillée et, pour des entités avec des points de contrôle, ces derniers doivent être plus nombreux. Ainsi, pour un acteur réglementé avec 200 points de contrôles, dont une quarantaine de points dits Sapin 2, l’AFA a estimé que le nombre de points sur la loi Sapin 2 n’était pas suffisant. Les entreprises font donc face à des difficultés de mise en œuvre, et elles n’avaient pas nécessairement anticipé le niveau d’exigence de l’AFA. Charles Duchaine, directeur de l’AFA, l’a dit, il veut essayer de sensibiliser très fortement les entreprises afin qu’elles soient au niveau, car l’esprit de la loi Sapin est de promouvoir la mise en place d’un dispositif en France, un pays dont on disait qu’il ne luttait pas suffisamment contre la corruption. Il s’agit d’une mise à niveau par rapport aux standards internationaux. Les entreprises ont parfois également été déstabilisées par les questionnaires et par le degré d’exhaustivité à apporter dans leurs réponses. Nous pensons qu’il faut être le plus exhaustif possible. Ces questionnaires demandent du temps et si l’entreprise n’a pas anticipé ce point, elle ne pourra pas répondre dans les délais lors du contrôle, car c’est matériellement impossible. Le cas échéant, elle pourra demander un report, mais ceci n’est pas nécessairement très bien perçu.
Nous sommes aujourd’hui davantage au stade des échanges, ce qui permet à l’AFA d’affiner ses contrôles et les différentes questions. Forte de son expérience, elle a dorénavant une meilleure visibilité. Je note également – en tout cas, c’est mon sentiment – que depuis cet été, l’AFA a une approche portée sur le conseil. Elle fait preuve de pédagogie, en expliquant le dispositif mais également les attentes. Ceci permettra aux entreprises de se mettre plus facilement au niveau.
L’AFA a édité sa charte d’appui aux acteurs économiques. Est-elle assez explicite ?
Gilles Kolifrath : Le premier document édité par l’AFA faisait état des recommandations de décembre 2017, à destination des personnes morales de droit public et de droit privé, pour prévenir et détecter les faits de corruption. La charte, en matière administrative, nous explique les devoirs et les pouvoirs des contrôleurs, mais aussi les droits du contrôlé (d’être informé au début du contrôle, de l’être aussi du résultat). Ces documents sont très clairs. De manière générale, les entités contrôlées se sont entourées de conseils. Le rôle de l’avocat doit permettre de sécuriser, d’aider et de mettre les moyens nécessaires à l’accompagnement, car lorsque une entreprise est contrôlée, elle doit par exemple transmettre plus de 500 documents. Il est ici question de manutention, de centraliser l’information, de la répertorier, mais aussi, grâce à l’avocat, de préserver la confidentialité des échanges.