La traduction en arbitrage international : un enjeu crucial
Essentiel, l’exercice de traduction en arbitrage international ne doit pas être pris à la légère, au risque de compromettre la sentence. Interview croisée d’Aboubekeur Zineddine, traducteur assermenté et fondateur du cabinet Trad’Zine, spécialisé dans la traduction juridique, et de Samantha Nataf, associée du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés.
À quel moment un traducteur est-il sollicité en arbitrage international ?
SAMANTHA NATAF : La langue de l’arbitrage est déterminée soit dans le contrat qui contient la clause d’arbitrage, soit en début de procédure par le tribunal arbitral ou l’institution d’arbitrage, à défaut d’accord des parties. En général, une audience préliminaire de procédure est organisée durant laquelle les parties s’accordent, entre autres, sur les règles en matière de production, de traduction et d’interprétation des documents. En principe, les parties sont tenues de traduire l’ensemble des pièces produites dans la langue de l’arbitrage (y compris les témoignages et les rapports d’expert). Cependant, il est courant de prévoir des assouplissements, notamment pour contenir les coûts de l’arbitrage. Les parties pourront, par exemple, convenir de ne pas traduire les documents dont la langue originale est l’anglais dans la mesure où cette langue serait maîtrisée par le tribunal arbitral, les conseils et les parties. Les parties pourraient également s’accorder pour ne traduire que les parties pertinentes des pièces qu’elles entendent produire. Bien que cela soit rare, il peut arriver que les parties et/ou le tribunal arbitral conviennent de mener un arbitrage dans deux langues. Cependant, un tel choix est déconseillé, puisqu’il entraîne une augmentation importante des coûts et des délais de la procédure. Enfin, il est important de préciser que si le tribunal arbitral ne respecte pas le choix des parties ou sa propre décision quant à la langue de l’arbitrage, la sentence pourra encourir l’annulation.
ABOUBEKEUR ZINEDDINE : L’anglais paraît le plus souvent comme lingua Franca dans le monde des affaires et permet à un grand nombre de praticiens - plus de 75 % des arbitrages de la CCI sont concernés - de conduire les arbitrages. Cependant, le recours aux services de traduction juridique se fait de plus en plus avec une nécessité de faire appel à des professionnels de traduction juridique, capables d’assurer que les subtilités et les sous-entendus ne sont pas perdus entre les langues et ce, tant à l’écrit pour les traductions écrites, qu’à l’oral pour les interprètes lors du déroulement des expertises ainsi que l’audition des témoignages et les audiences.
S. N. : Le traducteur peut être sollicité à tout moment de la procédure. Lors des échanges écrits pour la traduction des écritures, des pièces, des témoignages écrits et/ou des rapports d’experts dans la langue de l’arbitrage. Au moment de l’audience, concernant les interrogatoires de témoins et experts, voire les présentations des conseils des parties, auquel cas il s’agira plutôt d’interprétariat. Une fois la sentence rendue, celle-ci devra être présentée au juge étatique afin d’obtenir sa reconnaissance et son exécution (l’exequatur). Elle devra alors être accompagnée d’une traduction si elle n’est pas rédigée dans une langue officielle du pays où la sentence est invoquée. Il en est de même de la convention d’arbitrage.
A. Z. : Soulignons que les traductions certifiées sont obligatoires lorsqu’il s’agit de signifier les sentences arbitrales ou les éventuels appels interjetés contre les sentences, mais également lorsqu’une sentence étrangère doit faire l’objet d’un exequatur en France.
Que traduit-on ?
S. N. : Tout ce qui est produit durant la procédure (écritures, pièces, rapports d’experts, témoignages écrits) et dit durant les audiences (plaidoiries, témoignages factuels et d’experts techniques) a vocation à être traduit ou interprété, dès lors qu’ils ne sont pas dans la langue de l’arbitrage, à moins d’un accord contraire des parties et/ou d’une décision du tribunal arbitral. S’agissant des preuves documentaires, on peut souligner, qu’en règle générale, il est admis de ne traduire que la partie pertinente de la pièce à condition que les parties soient d’accord. S’agissant des audiences, le principe est le même, à savoir qu’elles sont menées dans la langue de l’arbitrage. Cependant, des aménagements sont là encore admis. L’usage d’un interprète est courant pour les témoins et pour les experts. Les témoins ont toujours le droit de s’exprimer (par oral comme d’ailleurs par écrit) dans leur langue maternelle.
A. Z. : Les traducteurs peuvent intervenir à l’étape des preuves documentaires, afin d’aider les conseils et les parties à avoir accès à des pièces en langues étrangères (l’arabe, le turc, etc.), à comprendre leurs contenus grâce à la traduction-à-vue (traduction orale instantanée réalisée par le traducteur), afin de déterminer la priorité, voire la nécessité, de traduction de certaines pièces.
La traduction est-elle normée ?
S. N. : Il n’existe pas de lexique juridique homologué ou autres normes pour rendre recevable une traduction soumise dans le cadre d’un arbitrage international. Le recours à traducteurs assermentés intervient lorsqu’une contestation survient sur la traduction de pièces importantes. Dans l’hypothèse du recours à un traducteur, il peut toujours être envisagé de s’accorder avec celui-ci sur la traduction de certains termes.
A. Z. : Les traducteurs juridiques ont l’habitude de travailler avec leurs propres glossaires et il est courant d’établir des lexiques spécifiques pour chaque affaire et de le valider en amont avec les conseils et/ou les parties.
Qui supporte les coûts de la traduction ?
S. N. : Les coûts de traduction ou d’interprétariat sont généralement pris en charge par chaque partie pendant le déroulement de la procédure d’arbitrage. Il est possible d’en solliciter le remboursement par la partie adverse auprès du tribunal arbitral, au titre des frais de l’arbitrage, à l’issue de la procédure. L’usage veut en principe que la partie défaillante supporte tout ou partie des frais de l’arbitrage, ce qui peut éventuellement inclure les frais de traduction.
A. Z. : Il y a également la possibilité de recourir au financement de l’arbitrage par un tiers financeur, un fonds d’investissement, qui peut prendre en charge les honoraires des conseils et ceux du tribunal arbitral. Le financeur prend un risque en cas de perte et se rémunère lors d’une victoire, sans dépasser les 30 % sur les gains.
Comment sélectionner un traducteur ?
S. N. : Le traducteur est sélectionné eu égard à ses compétences, bien évidemment linguistiques, mais également à ses connaissances du lexique juridique. En effet, la traduction juridique implique d’être capable de traduire non seulement des mots, mais surtout des concepts juridiques d’une langue à l’autre. Nous attachons également de l’importance à la réactivité et à la disponibilité du traducteur. En outre, le traducteur ou l’interprète (ce dernier intervenant pendant les audiences) devra nécessairement être impartial et objectif dans ses traductions. Le tribunal arbitral peut d’ailleurs prévoir que les parties devront communiquer à l’avance les noms et les CV des interprètes à tous les participants de l’audience.
A. Z. : Effectivement, à l’instar du juge, l’expert ou le traducteur assermenté doit être impartial. Les juges et experts judiciaires, y compris les traducteurs assermentés, ont d’ailleurs les mêmes déontologie et devoir d’impartialité. Relevons, par ailleurs, qu’en plus des compétences linguistiques, des connaissances juridiques et la maîtrise du droit comparé, les traducteurs doivent disposer de connaissances extralinguistiques et techniques du domaine de spécialité (énergies, assurances, construction, sciences, etc.). Pour une traduction certifiée, ou pour répondre à une question précise ou une problématique complexe, le traducteur assermenté peut faire appel à un sapiteur. L’article 278 du code de procédure civile dispose qu’un expert peut prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne.
Quelles sont les langues privilégiées pour la traduction ?
S. N. : La langue la plus couramment utilisée en arbitrage international demeure l’anglais. L’arbitrage international étant le mode privilégié du règlement des litiges internationaux, les procédures impliquent des parties de différentes nationalités, ce qui peut potentiellement impliquer des traductions de langues les plus diverses. De plus en plus d’arbitrages impliquent des parties sinophones, arabophones, lusophones ou hispanophones et le recours à des traducteurs ou interprètes maîtrisant ces langues est courant.
A. Z. : Chez Trad’Zine, les demandes de traduction dans les langues allemande et turque sont de plus en plus nombreuses depuis quelques années. Il en est de même, en raison du contexte géopolitique, des traductions en langue ukrainienne et russe depuis le mois de février.
Une traduction peut-elle être contestée ?
A. Z. : Les traductions dans une procédure arbitrale sont généralement réalisées de manière libre, c’est-à-dire, non certifiée. Cette règle peut changer selon les pays ou les tribunaux. Le tribunal arbitral peut toutefois ordonner des traductions certifiées ou relever des irrégularités de traductions libres. Dans ces cas-là, un tribunal arbitral peut exiger une traduction certifiée ou prendre une décision défavorable par rapport aux extraits dont la traduction peut être jugée non conforme.
S. N. : Les parties demeurent libres de contester une traduction ou une interprétation, en particulier lorsque le sens d’un mot ou d’une phrase prête à confusion alors qu’il est déterminant pour la résolution du litige. Il est généralement fait recours, dans cette hypothèse à un traducteur assermenté, de la propre initiative des parties ou à la demande du tribunal arbitral. Le tribunal peut également tirer des conclusions défavorables (adverse inferences) de traductions qu’il estimerait être de mauvaise qualité. La traduction d’une sentence arbitrale peut aussi être contestée dans le cadre de la procédure d’exequatur devant le juge étatique. L’article 1515 al.2 du code de procédure civile permet notamment au juge français de refuser une traduction jugée de qualité insuffisante en invitant la partie à produire une traduction assermentée.