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Groupe L’Occitane : un retrait de la cote inédit

Par Arnaud Lefebvre

Première société européenne à s’être introduite sur la Bourse de Hong Kong, en 2010, le groupe L’Occitane vient d’en sortir au terme d’un processus aussi complexe qu’inédit. Décryptage par son directeur juridique et COO Groupe, Ingo Dauer, et ses conseils Arash Attar-Rezvani et Nicola Di Giovanni, associés chez Skadden.

Le 15 octobre dernier, le groupe de cosmétiques L’Occitane finalisait sa sortie du Hong Kong Stock Exchange (HKSE), quatorze ans après son introduction sur ce marché boursier. Pour quelles raisons avez-vous engagé cette opération de retrait ?

Ingo Dauer : Pour l’expliquer, il faut revenir sur les motivations qui avaient amené le groupe, en 2010, à vouloir se coter sur la Bourse hong-kongaise – l’une des premières pour une entreprise européenne. À l’époque, la société était mono-marque et affichait, déjà, de fortes ambitions en matière de croissance, notamment sur le front des acquisitions. L’Asie représentait alors non seulement notre principal marché, contribuant à légèrement plus de la moitié de notre chiffre d’affaires. Dans ce cadre, une cotation sur une place financière régionale était apparue judicieuse dans l’optique de financer la croissance du groupe auprès d’investisseurs locaux, et Hong Kong s’imposait comme une place idéale. Quatorze années plus tard, le bilan de cette aventure boursière est toutefois contrasté. Tandis que L’Occitane s’est profondément transformé sur la période, en étoffant considérablement son portefeuille de marques (Melvita, Elemis, Erborian, LimeLife, Sol De Janeiro, Dr. Vranjes Firenze…) et en quintuplant quasiment son chiffre d’affaires, le marché n’a jamais valorisé ce développement. Compte tenu des bénéfices générés par la cotation somme toute limités, nous avons dès lors décidé d’initier, à l’issue d’une longue réflexion stratégique, le processus de retrait de la cote au cours du deuxième trimestre 2024.

Arash Attar-Rezvani : Ce constat relatif au manque d’attrait de la Bourse hong-kongaise pour des entreprises étrangères n’est, du reste, pas propre à L’Occitane. À la suite de son IPO, quelques groupes non-asiatiques se sont à leur tour cotés sur le HKSE, parmi lesquels Samsonite et Prada, avec, là aussi, un ­succès contrasté. Chez Skadden, nous avons mené pour le compte de plusieurs clients des études en vue d’une possible cotation en Asie, et plus spécifiquement à Hong Kong. Mais ces projets n’ont pas abouti. Car indépendamment du contexte politique qui a sensiblement changé, il s’avère que les investisseurs locaux tendent à se positionner en très large proportion sur des émetteurs domestiques, au détriment des autres.

Quels défis ce retrait de la cote a-t-il posé ?

Arash Attar-Rezvani : Inspirée du droit anglo-saxon, la réglementation hong-kongaise prévoit un régime dit de « scheme of arrangement ». Se rapprochant d’une opération de fusion, celui-ci permet la combinaison de deux entités sous réserve que le projet ait été adopté par au moins 75 % des actionnaires d’une part, et entériné par un juge d’autre part. Le problème, c’est que L’Occitane International SA, qui est la maison mère du groupe de cosmétiques, est immatriculée au Luxembourg. Or la réglementation de ce pays ne reconnaît pas le « scheme of arrangement » hong-kongais et, dans le même temps, ne permet pas le retrait obligatoire d’une société dont les titres sont cotés sur un marché situé en dehors de l’espace économique européen. Il a donc fallu trouver une autre voie, inédite, pour que L’Occitane puisse se retirer de la cote hong-kongaise.

Comment y êtes-vous parvenus ?

Arash Attar-Rezvani : En faisant reposer l’OPA suivie du retrait obligatoire sur les statuts juridiques de la société, ce qui, à ma connaissance, constitue une première mondiale.

C’est-à-dire ?

Ingo Dauer : À l’occasion de notre IPO sur le HKSE, nous avions préalablement intégré une clause dans nos statuts, prévoyant une procédure de retrait de la cote selon une procédure respectant les conditions prévues par la réglementation boursière hong-kongaise. L’opération s’est dès lors appuyée sur cette base juridique, qui présentait l’avantage d’être reconnue à la fois par les autorités du Luxembourg et par celles de Hong Kong.

À partir de là, comment s’est déroulé le processus de retrait ?

Nicola Di Giovanni : Dans la mesure où un tel modus operandi n’avait jamais été utilisé jusqu’alors, un important travail de pédagogie a d’abord dû être opéré auprès des autorités de contrôle des deux pays, en particulier de la Securities & Futures Commission de Hong Kong. Les échanges avec leurs équipes se sont ensuite longuement poursuivis afin de connaître leurs ­exigences, de s’y conformer et d’obtenir leur validation. Parallèlement, il a fallu s’atteler à construire une offre publique de rachat permettant d’un côté à l’entreprise de maîtriser le prix global de l’opération, d’un autre côté de convaincre une proportion très significative d’actionnaires minoritaires d’apporter leurs titres pour que l’offre réussisse.

Sur ce plan, quelles étaient les conditions
pour que l’offre de retrait devienne obligatoire ?

Arash Attar-Rezvani : Conformément à la réglementation hong-kongaise, au moins 90 % des actionnaires minoritaires (excluant donc l’initiateur, L’Occitane Groupe) doivent apporter leurs titres à l’offre. Je précise que ce seuil plancher porte sur le nombre d’investisseurs minoritaires et non pas, comme en France par exemple, sur le pourcentage total du capital et des droits de vote de la cible. Dans le cas de L’Occitane, dont le flottant s’établissait à 28 % environ, il était donc nécessaire d’obtenir l’accord de plus de 97 % des actionnaires minoritaires, soit la quasi-totalité des porteurs concernés.

Nicola Di Giovanni : Pour y parvenir, le groupe L’Occitane a finalement privilégié une offre mixte, combinant une offre en numéraire (au prix de 34 dollars hong-kongais par action, soit une prime de près de 60,83 % par rapport au cours moyen du titre observé sur les soixante jours pré-rumeurs) avec une offre en titres plafonnée à 5 %. Sur ce second aspect réside d’ailleurs une autre innovation majeure de cette opération puisque les porteurs avaient la faculté de devenir actionnaires d’une des sociétés holdings du groupe une fois opérée la sortie de la cote. Une telle configuration, qui n’est par exemple pas possible en France – dans le cadre d’une offre mixte, les titres échangés doivent impérativement être cotés – est extrêmement rare.

De quelle manière la transaction, d’un montant avoisinant 1,7 md€, a-t-elle été financée ?

Ingo Dauer : Les fonds ont été levés sous la forme d’une dette senior, fournie par Crédit Agricole CIB, complétée par un financement en capital (PIK) de plus d’1md€ consenti par des fonds gérés par Blackstone Inc. et ses affiliés ainsi que par Goldman Sachs Asset Management International ou ses affiliés ce qui est public.

Nicola Di Giovanni : Le financement de l’offre publique initiée par L’Occitane sur ses titres devant être sécurisé au lancement de cette dernière, les négociations avec les prêteurs ont dû se tenir dans un calendrier très restreint, ajoutant ainsi un surcroît de complexité à ce dossier. Une complexité d’autant plus grande que plus d’une soixantaine d’avocats, répartis entre l’Europe et l’Asie, étaient impliqués dans l’opération !

Quelles ont été les clés du succès de cette dernière ?

Arash Attar-Rezvani : Au-delà de sa créativité sur un plan juridique et de l’attractivité du prix offert, la connaissance intime de notre client et la relation de confiance nouée avec ses équipes depuis près d’une décennie ont été déterminantes pour nous permettre de coordonner cet effort collectif.

Ingo Dauer : Face à la lourdeur absolue du processus de retrait et aux nombreuses difficultés qui l’ont émaillé, je confirme que cette proximité avec nos conseils et leur capacité à intervenir sur des problématiques transfrontalières complexes ont été décisives dans la réussite de l’opération.