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Droit pénal de l’environnement : un arsenal législatif renforcé

Par Aurélia Granel

Le droit pénal de l’environnement a souffert, pendant de nombreuses années, d’une dépénalisation de fait. Deux récentes réformes ont tenté de remédier aux limites de l’application devant les tribunaux de la matière. Explications de Jean Tamalet et Joëlle Herschtel, associés du cabinet King & Spalding.

De quelle manière l’arsenal législatif en droit pénal de l’environnement a-t-il été renforcé ces deux dernières années ?

JOËLLE HERSCHTEL : L’édifice législatif du droit pénal de l’environnement s’est durci, ces deux dernières années, après un constat unanime des professionnels déplorant le manque de répression des infractions touchant à la matière par rapport à l’arsenal global des peines prononcées annuellement, ainsi qu’une prise de conscience de l’opinion publique quant aux dégradations environnementales. La population avait notamment à l’esprit les atteintes à la faune et à la flore, mais aussi les nombreux articles relatifs à l’écocide publiés ces dernières années. Face à ce constat, l’édifice répressif a été renforcé dans les moyens mis en oeuvre et dans les peines pouvant être prononcées. La loi du 24 décembre 2020, relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, s’est concentrée sur les moyens, via l’instauration de la spécialisation des juridictions. En dehors de la naissance du Parquet européen ayant une attribution de compétences en matière de droit pénal de l’environnement, cette loi prévoit notamment la création, dans le ressort de chaque cour d’appel, d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement attaché à un tribunal judiciaire. Les magistrats relevant de ces pôles spécialisés recevront une formation spécifique sur les problématiques environnementales. La loi climat et résilience du 22 août 2021 a, pour sa part, renforcé les infractions et les peines encourues.

JEAN TAMALET : Cette évolution législative s’inscrit dans un mouvement global de durcissement du droit pénal de l’environnement, qui n’a émergé que récemment en France et ne va pas aussi loin que certains pays, comme notamment les Pays-Bas ou encore la Belgique, qui militent auprès de la Cour pénale internationale en faveur de la reconnaissance du crime international d’écocide, aux côtés du génocide, ou encore du crime contre l’humanité.

JOËLLE HERSCHTEL : Soulignons toutefois que bien avant l’entrée en vigueur de la loi climat et résilience, qui a renforcé les peines encourues, les praticiens constataient déjà un durcissement de celles prononcées en particulier à l’encontre des personnes physiques. Les juridictions n’hésitent plus à prononcer des peines de prison avec sursis, lorsqu’elles considèrent que ces personnes physiques ont gravement manqué à leurs obligations.

JEAN TAMALET : Je fais le même constat lorsque nous accompagnons, à titre pro bono, des organisations non gouvernementales de défense de l’environnement, comme Sea Shepherd, sur certains sujets spécifiques, essentiellement marins. Nous avons constaté, ces dernières années, une aggravation des peines prononcées contre les auteurs d’atteintes à la biodiversité marine. Si durant longtemps l’on ne rencontrait quasiment que des classements sans suite, se sont enchaînées les enquêtes, les transmissions devant des tribunaux, avec d’abord des peines relativement légères. Désormais, des peines de prison sont parfois prononcées à l’encontre des contrevenants.

Au regard des enjeux écologiques, le droit pénal environnemental devrait-il être durci ?

JOËLLE HERSCHTEL : Nous n’avons pas encore assez de recul sur l’application des dispositions législatives récentes. Il convient d’abord de mesurer les effets de cette nouvelle structure législative avant d’envisager d’aller plus loin.

JEAN TAMALET : Comment mesurer l’impact de cette évolution législative allant dans le sens d’un durcissement, si les parquets continuent à avoir des moyens relativement faibles ? Pour comprendre ces infractions, qui sont très techniques et complexes, et appliquer correctement les textes qui les sanctionnent, les magistrats doivent être mieux formés et s’entourer de plus de spécialistes. Les moyens humains devraient idéalement être plus conséquents que ceux qui existent actuellement, dans l’intérêt de tous, y compris du justiciable.

Quelles sont limites de l’application du droit pénal de l’environnement devant les tribunaux ?

JOËLLE HERSCHTEL : Les limites de l’application du droit pénal de l’environnement devant les tribunaux, décriés depuis longtemps, proviennent essentiellement d’un manque de moyens financiers et de l’engorgement des juridictions, qui ne sont pas propres à la matière. Les inspecteurs de l’environnement se plaignent encore régulièrement du fait que leurs procès-verbaux, qui sont transmis au parquet, soient souvent classés sans suite, essentiellement par manque de moyens. La grande difficulté consiste, pour un avocat, à faire comprendre, à un tribunal non spécialisé, des dossiers souvent très techniques et, pour les magistrats, d’entrer dans un domaine pointu sur lequel ils n’ont traité que peu de dossiers similaires jusqu’à présent. Un certain nombre d’entre eux, par intérêt personnel ou conviction, se sont spécialisés sur les questions environnementales, mais ils sont encore une minorité. L’an dernier, une association de magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale a d’ailleurs été créée qui, dès son démarrage, a réuni une centaine d’adhérents, avec la proportion d’un tiers de magistrats du siège et deux tiers de magistrats du parquet.1 Désormais, les juridictions vont se spécialiser et les magistrats seront donc formés. Ces réformes récentes vont dans le bon sens, à la fois pour les prévenus et la prise en compte de l’environnement par le droit pénal.

JEAN TAMALET : Il relève de l’intérêt commun de donner les moyens, aux différents acteurs dont l’activité peut avoir un impact sur l’environnement, de s’adapter à cette évolution législative et il est nécessaire de les accompagner dans cette adaptation. Face à la technicité de la matière, l’avocat a non seulement ce rôle d’appui vers la mise en conformité, mais également un rôle pédagogique important à jouer, notamment de facilitateur de l’appréhension des faits par les magistrats. Il doit traduire en langage judiciaire intelligible des situations industrielles complexes et des concepts juridiques très techniques.

Quelles sont vos propositions pour permettre le désengorgement des tribunaux ?

JEAN TAMALET : Les dossiers relatifs au droit pénal de l’environnement demandent un investissement humain important, ainsi que des connaissances techniques pointues. Pour mieux appréhender ces sujets, la solution idéale serait, pour le parquet, de s’entourer et de travailler en équipes avec des spécialistes de la matière, détachés comme auditeurs de justice, comme c’est déjà le cas dans d’autres domaines. Par exemple, le parquet national financier travaille régulièrement, sur des dossiers de droit fiscal, avec des fonctionnaires de Bercy, qui sont détachés pour l’occasion. Toutefois, d’un point de vue pragmatique, attendre de la justice qu’elle augmente très largement les moyens alloués au contentieux pénal de l’environnement est un peu idéaliste, en raison de la situation économique actuelle. Ce ne sera certainement pas l’une des priorités budgétaires du futur gouvernement. La solution est d’accentuer davantage le recours à la justice transactionnelle, aux modes alternatifs de règlement des conflits. Malheureusement, culturellement, nous n’avons pas du tout la même approche qu’aux États-Unis, où la justice négociée demeure la règle, et non l’exception, même dans les dossiers complexes et quelle que soit la matière.

JOËLLE HERSCHTEL : Pour remédier à l’engorgement des tribunaux, il convient d’utiliser toutes les procédures alternatives à notre disposition, qui permettent de sanctionner les infractions plus rapidement. De nombreux outils sont adaptés, à l’instar de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui vient d’être introduite en droit pénal de l’environnement. Elle permet de sanctionner lourdement les entreprises – le montant de l’amende peut monter jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires de l’année – et beaucoup plus rapidement qu’en cas de procès. Certains dossiers peuvent mériter de recourir à cet outil, qui entraîne un grain de temps à la fois pour le parquet et l’industriel concerné. La CJIP permet d’indemniser les associations, les victimes.

JEAN TAMALET : L’entreprise échappera au feuilleton médiatique de l’audience publique, susceptible de lui faire bien plus de mal que l’homologation d’une CJIP, qui a toute la solennité, le symbole et la force d’une décision de justice. Je suis un fervent défenseur – comme d’ailleurs de nombreux magistrats – de l’ouverture de la CJIP aux personnes physiques, notamment en droit pénal de l’environnement. N’y ayant pas accès dans notre système judiciaire, les dirigeants se retrouvent parfois pris en otage de la négociation d’une CJIP par l’entreprise. Leur seule alternative est, soit de continuer à être poursuivi par le parquet (en espérant un classement sans suite), soit de consentir une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), donc de reconnaître une culpabilité là où la société elle-même n’a pas eu besoin de le faire. Une évolution est souhaitable.

JOËLLE HERSCHTEL : Les infractions de droit pénal de l’environnement commises par les entreprises industrielles sont souvent liées à des investissements différés au regard d’autres priorités – y compris environnementales –, malgré une forte demande du directeur d’usine ou du responsable environnement auprès de sa hiérarchie. Or, ce sont eux qui seront pénalement poursuivis aux côtés de la personne morale. La personne physique qui n’est pas associée à la CJIP négociée par son entreprise peut se retrouver dans une situation très inconfortable. Cela pose la question du traitement des personnes physiques lorsque la personne morale est également poursuivie. C’est un problème récurrent que les praticiens ont rencontré pendant des années et qui risque de se développer en raison de la situation économique qui s’annonce difficile pour de nombreuses entreprises.