Conquête de nouveaux territoires : comment les identifier et les développer ?
Sur fonds d’un environnement toujours plus compétitif, les cabinets d’avocats cherchent à s’organiser pour fidéliser leurs clients, mieux les accompagner et rencontrer de nouveaux prospects. Mais quelles voies privilégier pour être efficace ? Entretien croisé avec Sébastien Robineau, managing partner de RBO Consulting, et Géraldine Huon, avocat counsel en charge du business development de Moncey Avocats.
Quels sont les territoires de conquête des cabinets ?
Sébastien Robineau : Les territoires de conquêtes sont multiples. La loi Macron de 2015 et son décret d’application de 2016 ont ouvert les pratiques de l’avocat à des activités commerciales, tant qu’elles restent accessoires. Il peut ainsi agir comme avocat mandataire sportif, mandataire d’artiste, syndic de copropriété, intermédiaire en assurances… Ce sont des territoires à conquérir, qui relèvent de la stratégie de son cabinet et donc de la décision de ses associés, sous la gouverne du managing partner. Cinq ans après la mise en œuvre de ces dispositions, le rapport Perben de 2020 a fait un état assez mesuré du recours à ces nouvelles activités, qui ne présupposent pourtant qu’une simple déclaration à l’Ordre. C’est donc un territoire à conquérir pour les avocats.
Les legatech sont une autre voie développement. Certains cabinets ont développé des plateformes pour répondre aux besoins spécifiques de leurs clients. Je pense à un en particulier qui a créé, en partenariat avec une legaltech, une application de gestion du RGPD. L’avocat associe ainsi ses connaissances techniques à celles de l’informaticien.
En dehors de ces nouveaux territoires, l’avocat doit chercher ses développements dans son cœur de métier, c’est à dire auprès de ses clients et de ses prospects.
Géraldine Huon : Les territoires de conquête des cabinets passent en effet par une connaissance fine des secteurs d’activité des clients et de leur écosystème, de façon à anticiper leurs besoins et ainsi conquérir de nouveaux dossiers. Une parfaite connaissance du client permet d’apporter une réponse circonstanciée à ses attentes, notamment par le biais d’une offre transversale portée par différents associés du cabinet.
Quelle méthodologie mettre en place pour les identifier et les développer ?
S. R. : Il est indispensable de mettre en œuvre une stratégie de cross-selling efficace. Si l’on raisonne par cercles concentriques, le premier cercle est celui de notre client que l’on connait et à qui l’on propose un service. Le deuxième est notre domaine de compétences que l’on vend aux clients de nos associés. Il implique de les connaître, d’avoir déjà été en contact avec eux. Le troisième cercle est de vendre nos compétences à un prospect qui ne nous connaît pas. Et le quatrième est de vendre les compétences de nos associés à un prospect. Ce dernier exercice est très compliqué.
Bien connaître ses clients et ceux de son cabinet, raisonner en firme, en structure, permet de chasser la clientèle en équipe. Et l’on est bien plus forts à plusieurs. Le cross-selling implique de bien se connaître au sein de l’équipe, mais aussi de bien connaître les clients de nos associés. Il est inutile d’aller en réunion clientèle sans apporter de valeur ajoutée technique. Le client pensera immédiatement que l’avocat est présent uniquement pour facturer, ce qui est dévastateur.
G. H. : Le partage des informations sur les clients passe par une centralisation, une mutualisation de l’ensemble des contacts sur une plateforme, un logiciel CRM. Il participe de la volonté des associés de fluidifier les informations et d’optimiser la connaissance client. Cette base de données commune témoigne de la considération de l’intérêt collectif du cabinet qui prime sur les intérêts individuels.
S. R. : Ce partage présuppose aussi que la plateforme soit totalement sécurisée. Personne ne doit pouvoir partir avec le fichier. Il ne faut donc pas collecter les données via les outlook, car n’importe qui peut en faire un copier-coller avant de quitter le cabinet. Passer par Excel est également à proscrire car, indépendamment de la problématique RGPD, je rappelle qu’avec un simple virus ou un Cheval de Troie, toutes les données sont perdues.
Les éditeurs ont fait de grands progrès au niveau des logiciels. Par exemple, un associé qui part du cabinet ne peut pas récupérer ses dossiers sans qu’une manipulation soit réalisée. L’outil CRM doit être configuré de la même manière. Si l’on accepte de donner ses contacts, il faut être certain qu’on ne puisse pas en être dépecé au premier départ d’un associé. On doit pouvoir savoir qui à accès et à quoi.
G. H. : J’ajoute qu’un CRM ne sera utilisé par les associés spontanément que dans la mesure où son accès est facile et qu’ils ont conscience de gagner du temps en le manipulant. Le logiciel doit donc être adapté à la volumétrie des contacts du cabinet, avec une volonté manifeste des associés d’utiliser cet outil de partage.
Quelle position du BD pour s’assurer de la performance de l’outil ?
G. H. : Pour rentrer ces données, il faut une discipline et une vraie stratégie. Le BD est le point d’entrée de cette base de données. Pour tirer profit de toutes les informations, il faut correctement les qualifier en amont, ce qui implique de poser des questions pertinentes aux associés sur chaque contact, et ensuite de la mettre à jour régulièrement. Le taux d’obsolescence de la donnée est de l’ordre de 30 % par an. C’est donc le nerf de la guerre que d’avoir une information actualisée.
Que doit-on y mettre comme informations ?
G. H. : Toutes les informations qui sont pertinentes pour attirer l’attention de notre client sur notre offre de services, dans le respect du RGPD. L’objectif est de créer de la dynamique dans la communication et le management de la relation avec le client, mais aussi d’informer l’associé et mettre en lumière des points lui permettant d’alimenter la conversation, ou d’attirer l’attention du client.
S. R. : On peut insérer dans l’outil CRM des données personnelles, conformes bien sûr au RGPD, parmi lesquelles la date et le lieu de naissance du client, l’adresse de résidence, etc. Pour entretenir une très bonne relation client, il faut en être proche. On peut penser à lui envoyer un mot personnalisé pour son anniversaire, voire un petit présent adapté à la circonstance. C’est cette proximité qui permet de développer une valeur ajoutée. Le client a le réflexe de confier son dossier à l’avocat qui, dans toutes circonstances, pense à lui.
Les cabinets américains sont très bien équipés en matière de CRM. Comment les Français peuvent-ils innover ?
S. R. : Les cabinets sont très bien équipés en matière de CRM, mais tous les associés des bureaux ne les utilisent pas pleinement. Les cabinets français ne doivent pas avoir de complexes, car même s’ils sont un peu en retard, ils sont accompagnés par les éditeurs de logiciels qui proposent aujourd’hui tous l’accès au CRM. Mais attention car la formation de base proposée ne vise que l’outil métier, c’est une formation spécifique qu’il faut suivre pour savoir faire fonctionner la partie CRM.
Il est indispensable d’installer un outil ergonomique pour que les associés se l’approprient. Beaucoup de cabinets ont choisi des outils inadaptés au métier de l’avocat et aux contraintes qu’il implique. Ce sont de véritables usines à gaz à mettre en œuvre et, pour finir, les associés les rejettent.
De quels autres métiers de conseils peuvent-ils s’inspirer ?
G. H. : Avant de revenir en cabinet d’avocats, j’étais directrice du développement commercial de différentes banques privées sur le segment gestion de fortune. Dans cet univers feutré, l’utilisation d’un CRM relève du réflexe et ce, afin de consolider et d’actualiser données professionnelles et personnelles dans le respect du RGPD. Ces acquis m’ont permis de mettre facilement en place les bons process au sein de Moncey Avocats.
S. R. : De manière générale, tous les professionnels du BD exerçant dans des structures de conseil peuvent être utiles aux cabinets d’avocats car ils n’ont pas les freins naturels qu’ont les cabinets sur l’utilisation de ces données clients. Ils doivent s’entourer de responsables du BD issus de l’extérieur de l’univers juridique pour bousculer les lignes, apporter une vision transversale des dossiers et une connaissance fine des clients et pas uniquement professionnelle.