Business développeur : un partenaire au service du collectif
Le contexte sanitaire et économique actuel exacerbe la concurrence entre les cabinets. Leur objectif : fidéliser les clients, identifier ses besoins pour mieux y répondre, mais également pour en approcher de nouveaux. Si la relation-clients était auparavant l’apanage de l’avocat associé, les cabinets les plus performants démontrent depuis quelques années l’intérêt d’avoir professionnalisé la fonction. C’est l’avènement de la fonction de business développeur.
Analyse croisée par Sébastien Robineau, associé fondateur de RBO Consulting, et Mireya Berteau, directrice marketing communication et BD France, client development EMEA du cabinet Hogan Lovells.
Les cabinets ont tendance à mêler la fonction de business développement (BD) à celle de responsable marketing et de communication. Est-ce une erreur ?
Mireya Berteau : Il ne faut pas confondre les deux fonctions qui sont deux piliers d’un cabinet pour permettre son développement, mais qui ne partagent pas les mêmes objectifs. Le marketing cherche à promouvoir le cabinet, à faire de la communication sur la marque, sur son activité. Le BD poursuit une stratégie d’opportunités, d’identification de nouveaux marchés, de relations commerciales.
Sébastien Robineau : Le BD s’appuie sur le marketing pour construire sa stratégie. Mais il va plus loin. Le business développeur doit d’abord connaître les chiffres et savoir analyser les performances de l’équipe pour travailler sur ses leviers et ainsi développer le business, dans un souci de performance à l’égard du client.
M.B. : C’est par cette analyse des chiffres que l’on parvient à positionner le cabinet à sa juste place en fonction de son organisation, de ses capacités, de son environnement concurrentiel. Le BD identifie les points forts en interne pour attirer de nouveaux clients, de nouveaux dossiers. Après l’analyse préalable indispensable de ces données concrètes, le responsable BD travaille avec les équipes marketing qui ont, elles, vocation à réfléchir à l’image de marque de la structure, à faire passer les messages dans la presse.
Il s’agit donc d’un travail sur-mesure qui ne peut être répliqué d’un cabinet à l’autre…
S.R. : Absolument. Le travail du BD est adapté au cabinet, à son positionnement, sa clientèle, ses objectifs de déploiement. Notons que toutes les structures ne sont pas au même stade de maturité par rapport à cette fonction. Dans une majorité de cabinets français, il existe une confusion entre BD et marketing. Parfois la fonction est même confiée à l’office manager ou au secrétaire général. Mais rappelons que ces derniers ont pour mission d’organiser l’interne, pas de rechercher ce qu’il se passe à l’extérieur ! Au contraire, certaines firmes internationales sont dotées d’une équipe étoffée, capable de mettre en place une réelle stratégie de BD efficace et qui fait ses preuves. Le responsable BD est alors considéré comme un partenaire de l’associé pour lui permettre de fidéliser ses clients et en attirer de nouveaux.
Comment avez-vous vu évoluer la fonction au sein des cabinets ?
M.B. : Elle était auparavant considérée comme du back-office. Elle est désormais en première ligne face aux clients. L’équipe BD leur parle, les rencontre, cherche comprendre leur écosystème pour pouvoir toujours mieux innover et répondre à leurs attentes. La fonction a également évolué dans son rapport avec les associés du cabinet. Il a fallu développer cette relation de confiance indispensable à une pratique efficiente. Dans les firmes internationales, le BD manager accompagne l’associé dans les premières réunions avec le client. Il est plus efficace d’être épaulé par un business developpeur que par un collaborateur junior pour pouvoir ensuite mieux servir le client.
S.R. : Les freins psychologiques des associés quant à la présence du BD devant le client doivent tomber. L’avocat est assurément l’expert juridique. Mais il n’a jamais été formé au commercial et a même, parfois, une certaine pudeur à parler honoraires. Le client n’attend pas que son avocat soit multicarte. Il cherche avant tout la technicité juridique. Il est toujours plus facile pour lui de discuter de la prestation réalisée, de la relation, et du prix avec un professionnel de la relation client.
Et demain, quelle sera sa place ?
S.R. : RBO Consulting est un cabinet de conseil en BD, ce qui nous conduit fréquemment à avoir des missions de recrutement. Mon expérience d’ancien avocat managing partner me porte à penser que la fonction de BD va connaître la même évolution que celle qu’ont connu les offices managers et secrétaires généraux. Rappelons qu’à l’époque, la gestion du cabinet était confiée à un associé, avec l’aide d’une ou de deux assistantes. Désormais, elle relève de l’office manager qui a une réelle légitimité au sein de la structure. À tel point qu’une association de professionnels s’est créée leur conférant un vrai statut sur la place. Il en ira de même pour les responsables BD. Demain, ils feront sans doute partie du Comex du cabinet et n’auront plus aucune barrière pour prendre contact directement avec les clients. À l’image de ce qu’il se passe dans un fonds d’investissement ou un cabinet d’audit.
M.B. : Avec une spécificité néanmoins qui est liée à la matière juridique. L’équipe BD d’un cabinet d’avocats doit connaître les différents métiers du droit : le fiscal, l’arbitrage, l’IP-IT, etc. Car on ne parle pas à un directeur fiscal, comme à un directeur général ou à un directeur juridique. Dans un dossier de private equity, on parle cash, fees, pricing. Dans un arbitrage, on parle plus de l’international et des informations que l’on peut transmettre sur chaque zone géographique. Dans un dossier de fiscal, on se limite au national et on propose des outils de documentation. La connaissance de la matière juridique est un préalable nécessaire pour pouvoir s’adapter efficacement aux attentes du client.
Comment être innovant en matière de BD ?
M.B. : Les outils utilisés ne sont pas particulièrement complexes. C’est surtout l’analyse qui est essentielle. S’agissant de l’approche client, nous avons mis en place un programme de ‘client listening’consistant à prendre contact avec lui, après le closing, pour discuter de la façon dont s’est déroulé le dossier. Il est alors plus facile de lui proposer de nouvelles offres complémentaires, des outils d’intelligence artificielle comme de la formation à distance, ou une plateforme d’informations sur l’évolution de la réglementation sur son secteur. Autant de technologies pour nous permettre de nous positionner auprès du client comme un partenaire, pour lui faciliter sa vie au quotidien.
S.R. : Le recours à ces agrégateurs d’information est essentiel pour un client. Car comment communiquer efficacement auprès de lui et lui permettre d’être alerté de tout ce qui le concerne, sans saturer sa boîte d’e-mails quotidiens ? En lui envoyant, un jour sur deux, une alerte, un webinar, une information législative ou réglementaire, il va vite être submergé. Et au final, il ne lira plus rien. Trop d’informations tue l’information. Il est nécessaire de cibler les attentes de chaque personne et de leur proposer d’avoir accès à une plateforme sécurisée rassemblant toutes les informations. L’objectif est avant tout de rassurer le client et de l’installer dans un écosystème confortable.