Acquisition de SGEF par le Groupe BPCE : « Une des rares opportunités de consolidation bancaire en Europe »
Avec son projet d’acquisition de Société Générale Equipment Finance, le Groupe BPCE s’apprête à boucler la plus importante opération de croissance externe de son histoire et à devenir, surtout, le leader du leasing de biens d’équipements en Europe. Céline Haye-Kiousis, directrice juridique du groupe bancaire, et son conseil Hugues Mathez, associé corporate M&A chez White & Case, reviennent sur le process particulièrement complexe et exigeant de cette transaction d’envergure.
En avril dernier, le Groupe BPCE annonçait la signature d’un protocole d’accord avec Société Générale en vue d’acquérir les activités de Société Générale Equipment Finance (SGEF). D’un montant de 1,1 md€, cette opération de croissance externe est l’une des principales enregistrées en 2024 en France, et la plus importante réalisée depuis la création du groupe, en 2009. Pour quelles raisons BPCE a-t-il choisi de se positionner sur cet actif ?
Céline Haye-Kiousis : Fort d’un encours avoisinant 15 mds€, SGEF est aujourd’hui l’un des leaders européens du financement locatif d’équipements industriels, et compte une présence dans 25 pays. Son rachat s’inscrit pleinement dans le projet stratégique actuel de BPCE, VISION 2030, dont l’une des ambitions repose justement sur le renforcement de nos positions à l’international, en particulier en Europe. En outre, l’intégration de SGEF, prévue début 2025, va nous permettre de devenir le n° 1 européen des solutions de financement de biens d’équipements (crédit-bail…), une ligne de métiers dans laquelle BPCE dispose déjà de solides parts de marché à travers sa filiale BPCE Lease. Pour autant, les modèles d’affaires des deux entités sont très complémentaires, dans la mesure où SGEF a fortement développé l’approche commerciale dite « indirecte », c’est-à-dire qu’il a noué de nombreux accords avec des partenaires (« vendors »), qui vont ensuite proposer à leurs propres clients ses services de financements spécialisés. Moins déployée à ce jour chez BPCE Lease, cette approche est déterminante en matière de business puisqu’elle compte pour 40 % environ du marché du leasing européen.
Quand le process d’acquisition de SGEF a-t-il débuté ?
Hugues Mathez : Les premières discussions ont été initiées dans le courant du second semestre 2023 dans le cadre d’un process de gré à gré. Compte tenu de la nature régulée des activités de SGEF d’une part, et de la taille de l’opération d’autre part, il est sans doute apparu au vendeur judicieux de se tourner directement vers un acteur déjà régulé et disposant d’une grande surface financière.
Comment se sont déroulés les travaux de due diligence ?
Hugues Mathez : De façon classique pour des transactions de cette taille, même si les dimensions multi-métiers et multi-pays de SGEF les ont rendus particulièrement denses, requérant la mobilisation de nos équipes en France et dans de nombreuses juridictions.
Céline Haye-Kiousis : Ce d’autant plus que SGEF était intégrée sur divers aspects à Société Générale, en particulier sur le plan informatique. Durant les due diligences, il a donc fallu anticiper la transition sur ces enjeux critiques, tout en identifiant les autorisations requises pour réaliser l’opération.
Hugues Mathez : L’organisation des travaux de due diligence et de préparation de l’intégration de SGEF devait prendre en compte les contraintes du droit de la concurrence, alors que les deux groupes concernés, BPCE et Société Générale, sont tous les deux présents sur le marché du leasing de biens d’équipement. Afin de sécuriser la procédure, tout en permettant à BPCE de préparer cette transition, des « clean teams » ont été mises en place, de sorte à ségréguer les informations transmises. Une autre spécificité des due diligences était liée à la revue des aspects prudentiels. En effet, la transaction intervient à un moment où les acteurs bancaires sont en train de basculer dans un nouveau cadre réglementaire, à savoir Bâle IV. Cette réglementation va notamment contraindre les banques à faire évoluer leurs modèles internes servant à calculer le niveau de fonds propres prudentiels à provisionner pour chaque activité et chaque financement octroyé. La due diligence a donc intégré la revue des possibles impacts des changements de modèles internes pour les besoins des nouvelles règles prudentielles.
Quelles ont été les étapes suivantes ?
Hugues Mathez : À la suite de l’annonce du projet d’acquisition, le 11 avril dernier, celui-ci a d’abord été soumis aux instances représentatives du personnel de BPCE et de Société Générale. À l’issue de cette consultation, le contrat d’acquisition a été signé en juillet. Dès lors, le process de constitutions et dépôts de dossiers en vue d’obtenir l’accord des autorités compétentes s’est accéléré. L’opération requiert l’autorisation des autorités européennes à un double titre : au titre du droit du contrôle des concentrations mais aussi au titre du nouveau règlement relatif aux subventions étrangères (Foreign Subsidies Regulation, FSR).
En quoi FSR a-t-il affecté la procédure d’instruction
de la Commission européenne ?
Hugues Mathez : Le dispositif FSR fait l’objet d’une procédure spécifique indépendante de celle prévue au titre du droit des concentrations. Cherchant à garantir des conditions de marché « équitables et non faussées » au sein du marché unique, l’Union européenne s’est dotée de ce texte afin de s’assurer qu’une entreprise ne bénéficie pas de subventions accordées par des États en dehors de l’Europe – un tel contrôle existe déjà pour les aides accordées par les États membres de l’UE. Ainsi, en matière bancaire, dès lors que l’entreprise cible réalise un chiffre d’affaires d’au moins 500 m€, la transaction doit être notifiée à la Commission avec un descriptif de tous les flux entre l’acquéreur (ici tout le groupe BPCE) et des États étrangers ou des entités affiliées à des États étrangers, de manière à s’assurer qu’il ne s’agit pas de subventions fournies par un État non-européen.
Céline Haye-Kiousis : Or, à l’aune de nos activités, c’est une quantité colossale de données que nous avons dû collecter et transmettre. Ce travail a été titanesque.
Qu’en a-t-il été du côté des autorités de régulation bancaire ?
Céline Haye-Kiousis : Là aussi, la charge de travail a été substantielle car nous avons dû solliciter des autorisations de la part des autorités bancaires dans de nombreux pays, dont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou encore le Brésil. Dans la plupart de ces pays, nous avons notamment dû fournir au régulateur dans le cadre de la demande d’autorisation un business plan exhaustif, comprenant avec une présentation détaillée de nos projections commerciales dans le pays concerné. A noter que, en Europe, l’Allemagne est un cas à part car SGEF y dispose d’une entité avec une licence bancaire – Gefa Bank. De ce fait, cette entité est sous la supervision de la Banque centrale européenne et notre dossier a été instruit directement par le Mécanisme de surveillance unique.
Hugues Mathez : Le mode d’organisation de l’activité de SGEF dans certains pays a pu entraîner un surcroît de complexité. Dans certains états, SGEF opérait en effet sous la licence de l’entité bancaire locale du groupe Société Générale. Il a donc fallu au cas par cas, en liaison avec les régulateurs locaux, apporter des solutions pour permettre à SGEF de poursuivre ses activités dans les pays concernés post-réalisation de l’opération.
Céline Haye-Kiousis : C’est pourquoi l’accompagnement par un conseil capable de coordonner les compétences sur une échelle multi-juridictionnelle a grandement simplifié les choses.
La transaction devrait être finalisée durant le premier trimestre 2025. Comment le groupe BPCE se prépare-t-il
à l’intégration des activités de SGEF ?
Céline Haye-Kiousis : Afin de préparer l’arrimage de ces dernières, nous avons déployé une organisation, visant à nous permettre d’anticiper les actions que nous mettrons en œuvre le jour-J, que ce soit sur les plans IT, opérationnels ou humains.