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Vitesse de croisière pour les chambres commerciales internationales

Par Caroline Guicheteau

Dans un contexte de compétition intense entre les différentes places de droit à l’échelle internationale, la France a cherché à renforcer son attractivité économique et juridique en se dotant de deux juridictions : la chambre commerciale internationale du tribunal de commerce de Paris (CCIP-TC) et celle de la cour d’appel de Paris (CCIP-CA). La LJA dresse le bilan de cette innovation.

Positionner la France comme un centre de résolution des litiges commerciaux internationaux de premier plan, telle est l’une des ambitions des pouvoirs publics. L’enjeu est de taille à l’heure où le forum shopping est devenu une pratique courante dans le monde des affaires. C’est dans cet objectif qu’ont été créées la chambre commerciale internationale du tribunal de commerce de Paris (CCIP-TC), puis, plus de deux décennies plus tard, la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris (CCIP-CA).

« Contrairement à ce que l’on croit, la CCIP-TC est assez ancienne puisque sa création remonte à 1995, rappelle Isabelle Ockrent, présidente de la CCIP-TC. À l’époque, il existait deux chambres, une chambre internationale et une chambre de l’Union Européenne, qui ont fini par être fusionnées il y a plus d’une dizaine d’années. Mais, il est vrai qu’une impulsion nouvelle a été donnée avec la signature d’un protocole de procédure avec le barreau et la création d’une juridiction du second degré en 2018. Une véritable opportunité à l’heure où le Brexit rebattait les cartes ! Ce double degré de juridiction commerciale est une particularité et un atout de la place juridique de Paris ».

Une justice prévisible et rapide

« Les chambres commerciales internationales ont été créées avec la volonté d’offrir aux acteurs du commerce international un cadre procédural adapté à leurs attentes, indique Daniel Barlow, président de la CCIP-CA. Cette approche par les besoins a été nourrie par un rapport publié en mai 2017 par Paris Place de Droit. Parmi les besoins exprimés par les entreprises, la prévisibilité occupe une place centrale. Connaître la date à laquelle la décision va être rendue permet en effet d’anticiper et de mieux gérer les aspects financiers du litige. Mais, pour les entreprises, la prévisibilité passe aussi par une jurisprudence cohérente, gage de sécurité juridique. » En pratique, les parties bénéficient d’un calendrier de procédure détaillé et impératif, arrêté après discussion avec leurs avocats. « La prévisibilité repose également sur la qualité des décisions rendues, attestée par un taux d’appel de seulement 7,9 % et un taux d’infirmation de 2 % en 2023, se félicite Isabelle Ockrent. Ces statistiques s’entendent pour tous les contentieux, nationaux ou internationaux, car notre chambre, à l’instar de toutes celles du tribunal de commerce, est généraliste avec une spécialisation et nous n’établissons donc que des statistiques globales ».

La rapidité de traitement des affaires est également essentielle pour les entreprises pour mieux s’aligner sur le rythme du business. À titre indicatif, devant la CCIP-CA, la durée moyenne est de 12 mois au 30 juin 2024, contre 18 mois pour la même période en 2022. Plus précisément, elle est de 14 mois pour les recours en annulation des sentences arbitrales et de 10 mois pour les autres contentieux au fond. « Les affaires liées à l’arbitrage sont généralement caractérisées par des procédures plus longues parce que les parties souhaitent prendre le temps de conclure ; il n’est pas rare d’avoir plusieurs jeux de conclusions successifs pour que chacun puisse s’exprimer pleinement », détaille Daniel Barlow. La CCIP-TC affiche elle aussi un délai moyen de traitement de 12 mois, entre l’assignation et la décision finale, tous contentieux confondus.

Une activité stable

Aujourd’hui, le niveau d’activité de ces juridictions se stabilise. En 2023, la CCI-TC a traité très exactement 404 affaires, dont la moitié peut être qualifiée d’internationale. « Les principaux secteurs et domaines représentés sont le transport, le droit de la concurrence, la rupture brutale des relations commerciales, et le droit des sociétés, détaille Isabelle Ockrent. Suite à la signature du protocole de procédure, le niveau d’activité a connu une forte hausse avant de se stabiliser ces dernières années ».
Quant à la CCIP-CA, elle traite plus d’une centaine d’affaires par an. Comme l’an passé, son activité est majoritairement constituée d’affaires dans le domaine de l’arbitrage international, avec l’examen des recours en annulation de sentences arbitrales internationales et des appels en matière d'exequatur. L’autre moitié de l’activité concerne le commerce international au sens large et les questions relatives à la compétence. « La répartition des affaires reste sensiblement constante d’une année sur l’autre, constate Daniel Barlow. La prédominance des affaires liées à l’arbitrage s’explique par le fait que la Paris est une grande place d’arbitrage, du fait de la présence de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) et grâce à un cadre juridique français particulièrement favorable, marqué par l’affirmation d’un principe d’autonomie de l’arbitrage ». Elle devrait même être renforcée avec l’entrée en vigueur de la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France. Son article 25 confère en effet une compétence exclusive à la CCIP-CA pour statuer sur les recours en matière d’arbitrage international. Mécaniquement, le fléchage de tous ces contentieux vers la cour d’appel de Paris devrait légèrement augmenter son activité.

Un rayonnement majoritairement européen

Les CCIP jouissent d’une grande influence au-delà des frontières hexagonales, et même de l’Europe. Les parties sont originaires de plusieurs dizaines de pays différents. Selon les statistiques de la CCIP-CA en date du 31 décembre 2023, 53 % proviennent d’Europe, 19 % du continent asiatique, 18 % du continent africain et 10 % du continent américain. « Là encore, la répartition reste relativement stable au cours des dernières années, observe Daniel Barlow. Cette diversité des acteurs est le reflet de la richesse et du dynamisme de l’activité la Cour internationale d’arbitrage de la CCI et plus largement de notre pays ». Même constat de la part d’Isabelle Ockrent : « La plupart des parties sont européennes, issues de pays voisins tels que l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg ou encore les Pays-Bas. Cependant, nous accueillons également des parties de contrées plus lointaines, comme les États-Unis, Hong Kong ou Singapour ».

« Après six ans d’existence, le bilan me semble très positif, juge Daniel Barlow. La CCIP-CA a pleinement trouvé sa place dans le dispositif proposé par la place juridique de Paris et contribue, aux côtés de ses autres acteurs, à en renforcer l’attractivité. La reconnaissance de son existence par la loi n° 2024-537 constitue une étape importante qui contribuera à rassurer les parties sur la formulation de leurs clauses attributives de juridiction. J’y vois un nouveau facteur d’attractivité. Mais, l’attractivité d’une place juridique se fait aussi par la diffusion du droit et de la jurisprudence. Nous y prenons notre part en publiant les abstracts de nos décisions en anglais ».

Isabelle Ockrent conclut : « Les clauses attributives de compétence en faveur des CCIP sont encore peu fréquentes dans les contrats. Cependant, je suis convaincue que leur utilisation va progressivement se généraliser. L’attractivité de la place juridique de Paris se renforce d’année en année grâce à ses nombreux atouts. Les acteurs économiques ont en effet accès à un système efficace, souple et financièrement avantageux. La place juridique de Paris constitue une alternative sérieuse et compétitive aux juridictions internationales, notamment britanniques. N’oublions pas que, contrairement au Royaume-Uni, nos décisions bénéficient de l’applicabilité sans nécessité d’un jugement d’exécution au sein de l’Union européenne. Une justice accessible financièrement n’exclut pas la qualité, il est essentiel de le faire savoir ! » T