Connexion

Rejoindre un réseau international

Par Anne Portmann

Tout en vantant leur indépendance, les cabinets français se targuent souvent
de faire partie d’un véritable réseau international, plus structuré qu’un système informel de best friends. Pourquoi les rejoignent-ils ? Est-ce un véritable atout pour travailler à l’international ? Quels bénéfices pour le cabinet sont attendus ? Et les clients sont-ils convaincus ? La LJA a enquêté.

C’est avec fierté que le cabinet Veil Jourde a annoncé, à la fin du mois de mai 2024, qu’il rejoignait le réseau SCG Legal. L’adhésion à ce réseau s’inscrivait dans la dynamique de développement du cabinet qui avait jusqu’ici surtout fonctionné à l’international avec des cabinets et des avocats best friends, avec lesquels la relation s’était nouée au gré des dossiers. Pierre Deval et Maxime Seno, associés de Veil Jourde en charge du développement international, évoquent des relations très informelles et peu structurées. Le réseau SCG Legal, très développé, permet en cas de besoin de trouver un cabinet correspondant n’importe où dans le monde. « C’est comme un petit IBA entre cabinets comparables », estime Pierre Deval. Historiquement, le réseau est issu d’un groupe de lobbyistes américains, né dans les États confédérés, qui a depuis étendu son influence à travers le monde.

Faire le bon choix

Évidemment, faire le choix d’un réseau parmi ceux qui pullulent est délicat, et les cabinets doivent attentivement examiner quel type d’avocats ou de professionnels cette organisation rassemble : en fonction de l’activité, du secteur géographique, de la taille, etc. Il s’agit de trouver celui qui correspond à ses valeurs. Mais il ne suffit pas de demander son adhésion et de payer sa cotisation. La plupart des réseaux souhaitent en effet offrir à leurs membres des garanties de sérieux de leurs correspondants et posent des conditions plus ou moins strictes qui font l’objet de vérifications. Ainsi le cabinet Veil Jourde a été présenté par un cabinet néerlandais au réseau SCG Legal, qui figure parmi les premiers réseaux dans le classement Chambers venait de se séparer de son partenaire français et n’avait donc plus de représentant dans l’Hexagone. La place était donc à prendre, s’agissant d’un réseau qui affirme privilégier la constitution d’un maillage territorial de qualité au nombre d’adhérents. Pour intégrer SCG Legal, Veil Jourde a donc d’abord réalisé une courte vidéo de présentation du cabinet, et une présentation écrite. Une fois le cabinet présélectionné par les membres du board, une vidéo plus longue, présentant les différents départements a été réalisée. « Le processus a duré plusieurs mois, il a fallu examiner la comparabilité des structures, les services que nous proposions aux clients, etc. », explique Pierre Deval. Le réseau a également demandé des informations sur les honoraires et les méthodes de facturation, mais davantage pour se renseigner, avec beaucoup de bienveillance. La candidature, déposée en janvier 2024, a fait l’objet d’un vote définitif à la mi-avril, et le cabinet a été invité à la réunion annuelle du réseau le 15 mai suivant.
Pierre-Yves Rossignol, associé au sein du cabinet Herald, anciennement Granrut, a toujours travaillé à l’international. Lorsqu’il arrive chez Granrut, à la faveur de la fusion, en 1997 avec le cabinet en procédure commerciale auprès duquel il exerçait, le cabinet n’est pas préoccupé par cette question. « À cette époque, il y avait un petit réseau maison, avec un certain nombre de cabinets, sélectionnés par les associés », se rappelle-t-il. Parmi eux, les Anglais de Biddle qui fusionnera ensuite avec Pinsent Masons, et les Allemands du cabinet Luther. « Nous avions, dans les années 2000, le projet de nous allier de manière plus structurée pour constituer une alliance au niveau européen, dans un premier temps, pour nous diriger ensuite vers une fusion », raconte Pierre-Yves Rossignol. Les échanges de dossiers et de collaborateurs entre les trois cabinets sont alors fournis. Mais l’affaire tourne court après que Pinsent Masons décide de s’implanter à Paris. Les Allemands jettent l’éponge, tandis que le cabinet français cherche alors à rejoindre un réseau. Il opte finalement pour GGI (Geneva Group international), qui l’a approché. Fondé en Suisse, ce réseau a la particularité de réunir à la fois des avocats et des experts-comptables, chaque profession pour moitié environ. « Il rassemble des cabinets de taille significative et compte aujourd’hui 648 membres, dans 900 bureaux répartis dans 126 pays », précise l’avocat. À la recherche de cabinets qui jouissent d’une bonne réputation, les responsables du réseau viennent rencontrer les associés français dans leurs locaux.

Comme pour le réseau SCG Legal, les responsables de GGI prennent en compte un critère géographique afin d’assurer un maillage territorial efficace, cherchent à savoir qui sont leurs membres, et quelles disciplines sont exercées, privilégiant une expérience internationale véritable. Les réseaux cherchent en général à éviter les cabinets de niches, très peu internationalisés, mais tout dépend de la spécialité. Pour intégrer GGI, par exemple, il faut pouvoir travailler en anglais, ce qui n’est pas toujours si évident dans l’Hexagone (v. notre article dans la LJA du 8 nov. 2018).

S’agissant d’un seuil de chiffre d’affaires, l’équipe de Veil Jourde souligne que le réseau SCG n’a jamais exigé d’objectifs chiffrés pour l’accueillir dans ses rangs. « Dans ce réseau, le chiffre d’affaires n’est pas un critère de choix car ce qui compte c’est la capacité à offrir un service intégré multi-juridictionnel à nos clients et à ceux des autres membres du réseau », font savoir les associés. Il faut en effet pouvoir répondre présent lorsqu’il s’agit, sous l’égide d’un adhérent, de monter une équipe internationale, aussi vite qu’au sein d’une grande firme. Une fluidité qui intéresse également le cabinet français, désormais capable d’offrir ce service à ses propres clients si le dossier le nécessite. « C’est bien plus important, à nos yeux, que le business que nous sommes susceptibles de recevoir », estime Pierre Deval, qui indique cependant que des dossiers ont déjà été confiés au cabinet via le réseau. « Cela peut conduire une partie de la clientèle à nous faire confiance pour les accompagner sur des deals cross-borders plutôt que de se tourner vers des cabinets internationaux », affirme-t-il. Un investissement sur le long terme donc qui permettrait aussi de sécuriser la clientèle dans un environnement extrêmement compétitif entre firmes internationales et structures françaises.

Olivier Vibert, associé au sein du cabinet Kbestan, est à la tête du réseau Eurojuris International depuis cinq années et s’apprête à passer la main lors du prochain congrès annuel, en octobre 2024. Le réseau, qui existe depuis octobre 1992, regroupe 500 à 600 cabinets membres dans 41 pays. Il a la particularité de rassembler, dans chaque pays des associations nationales, comme en France, Eurojuris France. S’il n’y a pas d’association nationale, le réseau accepte cependant des membres individuels. Là non plus, pas d’exclusivité et pas de volonté de recruter des membres à tout crin. « Nous aspirons à accueillir des cabinets qui souhaitent rester le plus possible dans le réseau et s’investir de temps en temps dans nos travaux », explique Olivier Vibert. De son point de vue, la force du réseau, par rapport à une firme internationale, reste les interactions entre les membres et le sentiment d’appartenir à un même cercle de confiance.

Contraintes et bénéfices

Le cabinet Veil Jourde participe désormais aux grandes rencontres annuelles ou de mid-year de SCG Legal qui ont lieu en présentiel. « Pour créer du lien, il n’y a rien de tel, et c’est une obligation implicite d’être présent », estime Pierre Deval. Ces réunions régulières offrent l’opportunité d’échanger avec des confrères de partout sur de grandes questions qui occupent tous les cabinets, comme celle du secret. Maxime Seno, associé de Veil Jourde, estime que si le cabinet avait, jusque-là, très bien vécu sans être dans un réseau, son intégration au sein de SCG lui a conféré, aux yeux des clients, une aura qui n’existait pas avant. « Les clients sont heureux de nous trouver au sein du réseau, dès lors, il aurait été dommage de ne pas utiliser cet attrait. Nous n’en avions pas conscience jusqu’ici ». C’est un vrai plus, selon Pierre Deval, qui rappelle que « Veil Jourde est déjà un cabinet de place mais faire partie d’un réseau international rassemblant plus de 12 000 avocats a sans conteste contribué à élargir nos horizons ». Il précise en outre que « SCG Legal n’est pas un réseau exclusif, nous pouvons donc continuer à travailler avec les cabinets étrangers avec lesquels nous avions noué une relation privilégiée mais également ne pas retenir le correspondant SCG dans la juridiction considérée s’il ne répond pas aux besoins du dossier, notamment en termes de coûts ou d’expertise ».
Chez Herald, dans les dossiers obtenus grâce au réseau, entre 500 et 600 k€ ont été facturés l’an passé. Classiquement, les membres du réseau se rencontrent lors de rendez-vous annuels régionaux et mondiaux et de conventions. Chaque membre doit préparer des conférences sur certains sujets. Herald s’est positionné sur le corporate, la propriété intellectuelle, le M&A et l’immobilier. « Nous avons de bonnes expériences, nous avons travaillé avec des cabinets de qualité, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Philippines, souligne Pierre-Yves Rossignol. Et le réseau permet de recommander des cabinets de qualité dans des places atypiques ». Il souligne que les grandes firmes internationales anglaises et américaines, si étendues qu’elles soient, ne couvrent en général que 25 à 30 pays et qu’il est donc intéressant d’avoir recours à un réseau de ce point de vue.

« Au sein des firmes internationales, il arrive très souvent que des associés qui opèrent dans des pays différents ne se connaissent pas », confirme Olivier Vibert, se félicitant de ce que le réseau Eurojuris international n’offre pas seulement à ses membres la possibilité de recevoir des dossiers de l’étranger, mais aussi l’opportunité d’avoir à disposition des correspondants avec lesquels ils partagent des valeurs et des objectifs. « Pas question pour nous d’être un simple site annuaire », indique le président d’Eurojuris. Les membres se réunissent au moins deux fois par an, en octobre et en mai, planchent au sein de commissions sur certains sujets communs ou spécifiques à tel ou tel pays et développent des partenariats avec d’autres réseaux professionnels comme European entrepreneurs ou des organismes internationaux comme l’EUIPO - l’Office de l’Union Européenne pour la propriété intellectuelle. Eurojuris a également créé, à destination des avocats de moins de 40 ans, le programme Jurismus qui permet des échanges de collaborateurs au sein des cabinets membres. De quoi leur donner des perspectives à l’international, en plus de rencontres professionnelles stimulantes.