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Qui sont les general counsels du CAC 40 ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Il y a quatre ans, le cabinet de recrutement Spencer Stuart publiait, en exclusivité dans la LJA, une grande étude sur les general counsels (GC) des principaux indices boursiers européens. Le cabinet vient de la mettre à jour en ce qui concerne l’indice français du CAC 40. La LJA analyse les principales lignes.

Depuis l’étude de 2020, pas moins de treize nominations de general counsels sont intervenues au sein des directions juridiques des groupes du CAC 40. La vitalité du marché s’explique bien sûr en partie par le changement de l’indice, qui a évolué à hauteur de quasiment 30 % au cours des quatre dernières années. Mais elle témoigne aussi d’un certain renouveau dans les profils des directeurs juridiques des plus grandes entreprises françaises.

On notera que ces nominations sont toutes intervenues après la crise sanitaire, à l’exception d’une seule, celle de Sapan Gupta, nommé GC d’ArcelorMittal en juillet 2021. Les autres ont été nommés après la pandémie qui a sans doute été un révélateur dans la perception du positionnement stratégique de la fonction. Didier Casas a été coopté chez Bouygues, Jeanne Maclatchy chez Danone, Philippe Relland-Bernard chez Edenred, Michael Riha chez Hermès, Alexandre Menais chez L’Oréal, Jérôme Sibille chez LVMH, Anne-Marie Poliquin chez Pernod Ricard, Quitterie de Pelleport chez Renault, Roy Papatheodorou chez Sanofi, Giorgio Fossati chez Stellantis, Teri O’Brien chez Téléperformance et Nolwenn Delaunay chez TotalEnergies. On observe pour autant que deux des sociétés du CAC 40 n’ont pas de GC, l’une pour des raisons conjoncturelles et l’autre parce que la fonction n’y existe pas. « Cela n’est pas propre au CAC 40, observe François Reyntens, du cabinet Spencer et Stuart, la crise a provoqué un déficit de compétences, et des changements de CEO, ce qui a entraîné une vague de changements. » Cela explique aussi la forte mobilité pendant cette période. Le consultant donne comme exemple Anne-Marie Poliquin, GC de JDE, partie chez Pernod Ricard.

L’âGE ET LE GENRE

Alors qu’en 2020, l’étude mettait en évidence que les femmes recrutées pendant la période 2018-2020 étaient plus jeunes (44 ans en moyenne contre 47,5 ans chez ces messieurs), il apparaît désormais que cette tendance s'est résorbée. En effet, depuis 2020 et l’étude l’observe chez les deux sexes, la moyenne d’âge à laquelle les GC sont recrutés atteint désormais 51,5 ans. Le niveau de séniorité exigé des femmes est devenu plus important que pour les hommes puisque, depuis quatre ans, la moyenne d’âge est de 53,7 ans chez elles, contre 49,3 ans chez les hommes. Selon François Reyntens, le besoin de séniorité va de pair avec le risque croissant d’atteinte à la réputation, que ce soit via des infractions à la conformité ou la RSE, car les GC jouent souvent un rôle très compliqué et très exposé. « On est passé d’une personne qui disait ce qui était correct ou non, à une personne qui doit dire ce qui est moralement et éthiquement acceptable, qui doit se soucier du risque réputationnel, ce qui exige de al’expérience et de la séniorité », explique-t-il.

Globalement, si les hommes restent les plus nombreux à accéder à ces postes, les femmes sont cependant toujours plus nombreuses, puisque désormais un tiers d’entre elles occupe le poste de GC alors que ce nombre n’était que d’un quart en 2020. On constate donc une accélération de la tendance à la féminisation au poste de GC. Alors qu’entre 2018 et 2020, 38 % des GC nommés étaient des femmes, ce pourcentage a bondi à 54 % depuis 2020.

TOUJOURS PLUS DE GC DANS LES COMEX

Cette exposition croissante des GC va de pair avec le renforcement de leur place au sein des instances dirigeantes. « Les questions de conformité et de RSE sont de plus en plus discutées au sein des conseils d’administration, c’est une réelle préoccupation », commente François Reyntens. Sur les 38 GC du CAC 40, la moitié siègent au comex, et depuis 2020, parmi les 13 nouvellement nommés, 7 y sont présents. François Reyntens observe que parmi ces 7 GC, les étrangers sont surreprésentés puisqu’il y a 2 Français pour 5 étrangers. « Cela prouve que les entreprises du CAC 40 françaises sont vraiment des groupes internationaux, qui ont besoin de GC de haut niveau, ayant une réelle compréhension des enjeux globaux de ces groupes, leur permettant de contribuer activement au sein des comex ».

Pour Emeric Lepoutre, du cabinet de consultant éponyme, cette tendance n’est pas surprenante, les comex ayant désormais à traiter des sujets tels que la cartographie des risques, le piratage, l’implémentation de l’IA, le RGPD et la CSRD. Il augure de surcroît que la loi Rixain, qui impose un quota de 30 % de femmes au sein des instances dirigeantes, confortera par essence davantage la position de celles-ci au comex. Olivier Chaduteau, de PwC Legal Business Solutions n’est pas étonné non plus par cette accélération de la féminisation des comex, imposée par la loi. « Et l’un des axes de féminisation c’est de faire entrer au comex des GC femmes », observe-t-il, car les fonctions de DRH et de directeur juridique sont, en règle générale les plus féminisées. « Il est encore malheureusement trop rare de voir des DAF femmes », relève-t-il. Il constate également l’émergence, en France, du titre de « chief legal officer », parfois donné dans les entreprises, comme chez Renault à Quitterie de Pelleport, qui est au-dessus de general counsel et légitime la présence du directeur juridique au comex aux côtés des autres « chief officers » de l’entreprise. François Reyntens précise néanmoins que ce titre recouvre, en général, la même fonction de GC.

PLUS DE PROFILS INTERNATIONAUX

Pour siéger parmi les instances dirigeantes, une expérience internationale est sans doute la bienvenue, et l’étude démontre que parmi tous les directeurs juridiques du CAC 40 nouvellement nommés, 62 % sont des citoyens français contre 71 % au global. L’indice boursier compte donc toujours un tiers de GC étrangers en son sein qui démontre que les entreprises sont toujours attirées par des profils internationaux. Globalement ce sont 50 % des GC qui ont une expérience à l’étranger et parmi ceux récemment nommés, la proportion est légèrement plus forte puisqu’elle est de 54 %. Il faut dire que la plupart des entreprises du CAC 40 sont des entreprises globales qui font une grande partie de leur chiffre d’affaires à l’international.

Est-ce que cette propension à recruter des étrangers est liée au fait que les juristes français tardent à obtenir la confidentialité de leurs avis ? François Reyntens ne le pense pas. « Dans aucun des recrutements dont je me suis occupé, il n’a été question de recruter un étranger afin de bénéficier du legal privilege. En revanche, une bonne connaissance du droit américain, de ses règles de conformités et de son système judiciaire, absolument », confie-t-il.

Emeric Lepoutre modère néanmoins cette tendance en remarquant que lorsqu’un GC étranger est nommé, ce qui est malgré tout très rare selon lui, il est en général parfaitement francophone et connaît très bien le pays et le droit français. Olivier Chaduteau estime, pour sa part, que l’internationalisation des GC est un axe très important dans le marché ces dernières années. Amorcée en 2018-2020, elle s’est même accentuée depuis la pandémie. « Il était, il y a 10 ans, extrêmement rare de voir des GC étrangers. Total faisait figure d’exception, avec son GC néerlandais, avant la nomination d’Aurélien Hamelle [remplacé depuis par Nolwenn Delaunay, NDLR], ainsi qu’Axa avec Helen Brown. » Il explique que la globalisation des échanges est un important facteur d’internationalisation. « Les entreprises ont désormais besoin de comprendre l’international pour élaborer leur stratégie économique », indique-t-il. D’ailleurs, la majorité des entreprises françaises du CAC 40 réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires en dehors de la France et les sujets internationaux, comme le respect des lois relatives à la concurrence, ou les règles de contrôle des exportations, sont légion. Il faut donc être capable d’avoir une vision internationale et de comprendre les enjeux sociétaux, économiques et géopolitiques et la latéralisation des échanges. Et il n’est plus simplement question pour le GC d’avoir fait un LLM en Angleterre pour se targuer d’une expérience internationale. Il faut avoir pratiqué le contentieux à l’étranger, s’être concrètement frotté à la réglementation d’un autre pays.

L’extraterritorialité, qu’appliquent désormais toutes les grandes puissances économiques, est un autre facteur d’internationalisation. « Le GC qui siège au comex doit désormais avoir une compréhension et un apport sur la stratégie presque toujours internationale du groupe », insiste Olivier Chaduteau, qui constate que l’approche par les risques, les sujets de multi réglementation doivent être appréhendés. « Et si le GC n’a pas cette dimension internationale, il doit s’entourer, au codir, de collaborateurs capables de comprendre ces dimensions », pense-t-il, rappelant par exemple qu’aujourd’hui, près de 2000 réglementations sur l’IA s’appliquent dans le monde. Le directeur juridique doit ainsi pouvoir faire le tri dans ce qu’il appelle, non sans ironie « le grand plat de spaghetti des réglementations » et être en mesure de jauger auxquelles il faut se conformer et celles qui présentent un risque moindre.

UN PÉRIMÈTRE QUI S’ÉLARGIT

Toutes ces nouvelles questions, ainsi que celle, cruciale, du risque réputationnel, finissent par atterrir sur le bureau du GC, qui doit se positionner sur des sujets toujours plus nombreux. D’aucuns observent que la conformité semble se détacher du juridique, notamment sous l’influence du secteur financier, souvent pionnier sur ces questions organisationnelles, du fait de sa régulation stricte, cette tendance serait suivie par les autres groupes du CAC 40. Mais François Reyntens explique que tout dépend de l’organisation de l’entreprise et de son secteur d’activité. « La conformité a tendance à prendre de l’ampleur et devient transverse, elle reste en général dans le giron du juridique sauf si la réglementation du secteur ne le permet pas. » L’étude démontre que dans la moitié des entreprises du CAC 40, la conformité relève du GC, soit qu’il l’aie directement dans son scope, soit que le chef de la conformité – qui n’est d’ailleurs pas forcément juriste – lui reporte. « On a tendance, à l’international, à ajouter le risk management à la compliance », note encore François Reyntens qui anticipe cette évolution prochainement en France.

Il n’est pas toujours évident de connaître la réelle étendue du périmètre du GC, qui dépend beaucoup du secteur d’activité. « Dans une entreprise industrielle comme Arcelor-Mittal, les questions RSE sont très techniques et ne peuvent pas relever du juridique, du moins sur certains aspects. En revanche, dans une entreprise comme Vivendi, le GC a en charge toute la RSE », constate François Reyntens, qui dit que cette dernière configuration existe dans de nombreux secteurs : les médias, la pharmacie, les biens de consommation. « Dans beaucoup d’entreprises, la RSE est à part, mais elle tend désormais à devenir transverse. » De même, les GC sont de plus en plus souvent chargés des affaires publiques, qui regroupent souvent les aspects réglementaires, désormais cruciaux, compte tenu des évolutions géopolitiques et de la globalisation des échanges.

LE PASSAGE EN CABINET TOUJOURS INCONTOURNABLE MAIS INSUFFISANT

L’immense majorité des GC du CAC 40 (85 %) est passée par le barreau et par les cabinets d’affaires. Parmi ceux récemment recrutés, le taux grimpe légèrement à 88 %. On observe toutefois que parmi les 13 nouveaux GC, seulement deux (de nationalité étrangère) sont passés directement de fonctions en cabinet à GC. Au global, un peu moins de la moitié des GC ont eu une expérience préalable similaire avant d’être recrutés. Cette évolution et cette appétence pour l’expérience vont de pair avec l’exigence de séniorité, désormais nécessaire compte tenu de l’évolution de la fonction.

« Globalement, les tendances que l’on avait vues il y a quatre ans se confirment pour la France », conclut François Reyntens qui n’a pas achevé de rassembler les données pour les autres indices et n’a pour l’instant pas de point de comparaison avec les autres pays. Les GC sont plus féminins et plus internationaux qu’en 2020. Compte tenu de l’évolution de la fonction et de l’environnement, les profils sont plus séniors et expérimentés. Si leurs expériences passées sont moins diverses, l’on peut saluer le renforcement de leur présence au sein des comex.