Qui sont les GC des principaux indices boursiers européens ?
Le cabinet de recrutement Spencer Stuart vient de réaliser une étude d’ampleur sur l’évolution des profils des general counsels des entreprises des principaux indices boursiers européens depuis 10 ans. Un travail extrêmement détaillé et qui fournit des données inédites sur le parcours des professionnels du droit en entreprise. La LJA en publie, en avant-première, les principaux résultats.
L’enquête menée par Spencer Stuart a été arrêtée au début du mois de juin 2020 et porte sur des données publiques sur les general counsels européens1. Elle est d’une formidable précision. Le CAC 40 est ainsi comparé aux indices hollandais (AEX 25), belge (BEL 20), allemand (DAX 30), britannique (FTSE 100) et espagnol (IBEX 35). Ce travail permet de dresser un profil type du directeur juridique groupe d’aujourd’hui, mais aussi de comprendre son évolution depuis 10 ans.
Un marché renouvelé et rajeuni
Depuis une petite dizaine d’années, de grands changements ont été menés au sein des directions juridiques des groupes du CAC 40. Au premier rang desquels, le renouvellement du general counsel. L’enquête de Spencert Stuart dénombre 9 nominations depuis 2018 : Nicolas Martin chez Hermès International, Alexander Lunshof chez EssilorLuxotica, Besma Boumaza chez Accor, Thibault Delorme chez Air Liquide, Amanda Hamilton-Stanley chez Pernod Ricard (elle a quitté le groupe l’été dernier et a été remplacée, en interim, par Antoine Brocas), Jean-Benoît Devauges chez Renault, Emmanuelle Levine chez Legrand, Édouard de Chavagnac chez Carrefour et Angelo Piccirillo chez Sodexo. Un chiffre qui se situe dans la moyenne européenne. Le FTSE 100 en dénombre un peu plus comparativement au nombre de sociétés comprises dans son indice : 25 (dont 6 en 2020). L’indice espagnol, lui, en comptabilise un peu moins : 6 nominations depuis 2018, dont seulement 1 en 2020. On rappellera que la première vague du Covid a eu des conséquences dramatiques sur l’économie locale. Or, selon François Reyntens, chasseur de têtes entre Paris et Bruxelles pour Spencer Stuart et qui dirige cette enquête, « en période de crise, les entreprises ont tendance à stabiliser les équipes juridiques qui doivent traiter l’urgence. Les changements organisationnels portent d’abord sur les fonctions de directeur général, voire de PDG, qui reflètent une éventuelle modification de la stratégie du groupe pour appréhender les difficultés ».
En France, le Covid n’a pas eu d’impact sur les mouvements des directeurs juridiques du CAC. Certains sont même à leur poste depuis plus de 20 ans ! À l’image de Bernard Kuhn qui a été nommé en 1991 chez LVMH, de David Zeitoun appelé chez Unibail en 2002 (le groupe a changé d’ampleur depuis), ou encore de Yannick Chalmé directeur juridique groupe de L’Oréal depuis 2001. Mais force est de constater que la dernière décennie a vu diminuer l’âge moyen du general counsel. Depuis 3 ans, il est de 46 ans en France. Notons d’ailleurs qu’il est plus bas que la moyenne des indices européens qui est de 48 ans (FTSE 100 : 49 ans, BEL 20 : 48 ans).
Historiquement les femmes nommées comme directrices juridiques groupes avaient en moyenne 47 ans, tandis que les hommes étaient âgés en moyenne de 44 ans. « La tendance s’est inversée depuis trois ans, constate François Reyntens. Les femmes recrutées sont désormais plus jeunes. Elles ont en moyenne 44 ans, alors que les hommes sont âgés de 47 ans. Par ailleurs, avant, pour être nommée au sein du CAC 40, non seulement elles devaient avoir plus d’expérience mais elles devaient également, plus souvent que les hommes, avoir été directeur juridique dans un autre groupe. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Besma Boumaza a ainsi été nommée à 42 ans chez Accor, Emmanuelle Levine à 43 ans chez Legrand, tandis que Nicolas Martin, chez Hermès, ou Édouard de Chavagnac, chez Carrefour, ont été promus à 45 ans. Cette tendance se vérifie d’ailleurs dans les autres indices de cotation européens avec un âge moyen de 50 ans pour les hommes et de 47 ans pour les femmes. Au sein du Footsie, depuis trois ans, l’âge moyen de nomination d’un homme est de 52 ans et il est de 47 ans pour une femme. « Une différence non négligeable avec les chiffres hexagonaux, note avec surprise François Reyntens. La France fait donc plus confiance aux jeunes que les Britanniques. »
> François Reyntens
Les femmes plus jeunes et souvent d’origine étrangère
Les femmes nommées au rang de GC en France sont donc plus jeunes que les hommes. Elles sont également en majorité d’origine étrangère depuis ces trois dernières années. Dans 67 % des récentes nominations, l’étude révèle que la nationalité de la directrice juridique est différente de celle de la cotation. Citons par exemple Amanda Hamilton-Stanley chez Pernod Ricard. « Il se murmure qu’elle serait remplacée durant le premier semestre 2021 par une femme, également d’origine étrangère », révèle François Reyntens. La statistique n’est en revanche que de 20 % pour les hommes.
Ces données sont, elles aussi, surprenantes lorsqu’on les compare à celles des autres indices européens. Tous genres confondus, en France : 63 % ont la même nationalité que le siège. En Allemagne, la statistique est de 100 % En Grande Bretagne, elle est de 72 % et en Espagne, de 67 %. Ajoutons à ce constat l’expérience à l’international des GC qui, depuis trois ans, est de 63 % pour le CAC 40. Elle n’est en revanche que de 40 % pour les Anglais, de 20 % pour les Belges et inexistante pour les Espagnols. Le chiffre français reflète néanmoins une tendance très récente puisque, historiquement, l’étude révèle que seuls 28 % des GC français ont eu une expérience à l’international avant d’être nommé. Mais selon François Reyntens, « ces données sont le reflet de l’ouverture très internationale des groupes du CAC 40 ». Olivier Chaduteau, fondateur de Day One, est en accord avec cette analyse et ajoute qu’aujourd’hui « la majorité des groupes du CAC 40 font +50 % de leur chiffre d’affaires en dehors de l’hexagone ».
Ces statistiques sont en outre intéressantes à comparer à celles dont dispose Spencer Stuart sur les directeurs financiers. « La grande majorité des CFO des groupes du CAC 40 sont français, contrairement, par exemple, aux CFO de l’AEX, en grande majorité non-hollandais », assure François Reyntens. Mais Olivier Chaduteau n’est pas étonné. « Le DAF du CAC 40 est français mais a forcément une expérience internationale, tout simplement parce que la fonction financière permet facilement la mobilité. Au contraire, le juriste connaît le droit local donc, en dehors d’un éventuel MBA réalisé à l’étranger, il est resté concentré sur la France. Mais le GC, lui, n’est pas forcément français car on ne cherche pas en lui un technicien local. Il doit être avant tout un leader. » Et François Reyntens le rejoint : « Ce que les groupes du CAC 40 recherchent aujourd’hui dans leur GC c’est un profil de manager, une personne capable de gérer une équipe internationale, et de mettre en place une organisation efficace, en passant par de la digitalisation et de l’automatisation. »
Olivier Chaduteau avance également une seconde explication. « Certains groupes ont choisi de recruter un GC étranger pour pouvoir bénéficier du legal privilege sur ses écrits envoyés en dehors de la France. » Rappelons en effet que l’étranger, qui bénéficie du legal privilege dans son pays d’origine, le conserve pour l’ensemble de ses écrits, à l’exception de ceux destinés au marché français.
Un meilleur positionnement au sein de l’entreprise
Les groupes du CAC 40 passeraient-ils par la fonction de GC pour diversifier leur top management ? L’étude de Spencer Stuart laisse supposer que les entreprises utilisent cette fonction pour féminiser leur comité de direction. Car les chiffres ne trompent pas : depuis trois ans, 66 % des profils féminins nommés dans le CAC 40 sont membres du Comex (ou secrétaire du conseil d’administration). La statistique n’est que de 40 % pour les hommes. Là encore la tendance s’est inversée car historiquement un homme sur deux était membre du Comex, contre une femme sur trois.
Les fonctions des profils féminins sont également désormais plus larges : deux tiers des femmes DJ sont aussi secrétaires générales en France, alors que seulement 20 % des hommes cumulent les deux titres depuis trois ans. Dans les dernières nominations, elles sont 100 % à avoir la charge de la compliance, contre 0 % pour les hommes. La statistique française s’oppose à celles des pays voisins. 70 % des directeurs juridiques-hommes du FTSE 100 et 75 % de ceux du BEL 20 ont la charge de la pratique.
« Au cours de dernières années, lorsqu’une femme devient GC du CAC 40, ses fonctions sont plus larges que celles d’un homme. Et leur positionnement au sein de l’entreprise est meilleur. », résume finalement le chasseur de têtes. Olivier Chaduteau tempère néanmoins. Tout en reconnaissant la pertinence de ces données, il considère « une tendance manifeste des entreprises françaises à intégrer le directeur juridique — homme ou femme — dans le Comex ». Il ajoute par ailleurs : « Un mouvement de fond tend à rattacher la fonction juridique au CEO. » Selon une enquête menée par Day One en 2020, 54 % des directeurs juridiques groupes français seraient rattachées au CEO. Et d’après celle menée par l’ACC en 2019, 73,9 % des directeurs juridiques européens déclarent reporter directement à leur PDG.
Un passage désormais rapide en cabinet
Autre sujet d’intérêt de l’étude : l’expérience nécessaire pour devenir GC. Historiquement, il fallait 21,5 années entre le dernier diplôme et la nomination. 21 ans pour les hommes, 24 ans pour les femmes. Depuis trois ans, au sein du CAC 40, il faut globalement deux ans de plus, soit 23,3 ans. Cette augmentation concerne principalement les hommes qui doivent laisser passer 24 ans après leur dernière année d’étude pour se voir nommer GC. Pour les femmes, elles, le délai a diminué de deux ans. En Grande Bretagne, le délai d’attente est encore plus long, il est de 27 ans. Et la tendance à la faveur des femmes est encore plus marquée : 25 ans pour celles-ci et 29,5 ans pour les hommes.
Et durant toutes ces années, que font les futurs GC ? La formation en cabinet d’avocats est bien sûr un passage quasiment obligatoire. Historiquement, 74 % des GC du CAC 40 ont une expertise en cabinet de 5,9 ans en moyenne. C’est plus que la moyenne européenne qui est de 67 %, mais avec une durée plus longue : 7,2 ans. Depuis trois ans, en France, 88 % des GC nommés sont passés par un cabinet. Mais ils y sont restés moins longtemps qu’avant. Notamment les femmes. La totalité, soit 100 % d’entre elles sont d’anciennes avocates mais sont restées en cabinet en moyenne 4 ans. Quelque 80 % des hommes ont cette expérience mais d’une durée de 5 ans en moyenne. Une différence qui s’explique bien sûr par des contraintes familiales qui encouragent les femmes à rejoindre plus rapidement l’entreprise.
Au UK, 87 % des GC ont une expérience en cabinet, mais la durée est de 8,9 ans. « L’exercice en cabinet est plus long en Grande Bretagne car la durée des études est plus courte qu’en France. Les juristes cherchent donc une formation pratique en cabinet suffisamment étayée avant de bifurquer vers l’entreprise », avance François Reyntens.
Selon le chasseur de têtes « en France, le fait de quitter l’avocature rapidement n’empêche pas de devenir GC. Bien au contraire, les données montrent que statistiquement, devenir associé d’une firme ou d’un cabinet ne donne pas plus de chances de passer GC après. Sauf à bouger directement chez son client ». Les cas d’Aurélien Hamelle, ex-associé d’Allen & Overy devenu GC de Total, et d’Antoine Vignial, associé de Freshfields Bruckhaus Deringer nommé secrétaire général de Saint Gobain, sont assez rares. Spencer Stuart révèle d’ailleurs qu’ils ne sont que 18 % à avoir pris directement les fonctions de GC en sortant d’un cabinet (9 % aux UK, 8 % aux Pays-Bas et 14 % en Espagne). Un bémol est néanmoins à apporter : celui des secteurs très réglementés comme le bancaire. Olivier Chaduteau explique : « Il y a peu de candidats à ces postes dans les entreprises. Les recruteurs vont donc chercher en cabinets des associés qui ont une fine expertise du secteur et, surtout, des connexions avec les autorités de régulation. » À l’image de Georges Dirani, ancien managing partner d’Herbert Smith devenu directeur juridique groupe de BNP Paribas, ou encore de Pierre Minor, ancien associé du cabinet De Pardieu Brocas Maffei devenu directeur juridique et conformité de son client Crédit Agricole S.A. Il se murmure d’ailleurs qu’un recrutement serait lancé dans cette dernière banque. L’établissement ira-t-il jusqu’à suivre la tendance du moment : recruter une femme, quarantenaire, d’origine étrangère, avec une courte expérience en cabinet mais titulaire du legal privilege ?
1. Le CAC 40 a néanmoins été révisé depuis puisque les groupes Accor et Sodexo ne font plus partie de l’indice, remplacés par Alstom et Teleperformance.