Quels avantages à travailler dans un cabinet affilié à un Big ?
En ces temps de crise de la profession d’avocat et d’incertitudes concernant son avenir, travailler au sein d’un cabinet d’avocats adossé à un « Big » de l’audit peut avoir quelque chose de rassurant. La LJA a voulu savoir comment ces structures attiraient les talents. Enquête.
Les quatre Big de l’audit ont désormais tous leur cabinet d’avocat, depuis la création, l’an dernier, de KPMG Avocats. Et si les impétrants viennent avant tout y chercher de la stabilité, ils ont également bien d’autres aspirations dans des cabinets qui ont su modifier leurs modèles pour mieux attirer.
Il n’y a pas très longtemps, ces cabinets d’avocats étaient avant tout en charge de la partie fiscale des dossiers traités par leurs confrères du financier et de l’audit. Mais les temps ont changé. Mustapha Oussedrat, managing partner de la jeune structure, explique que la stratégie mondiale de KPMG est aujourd’hui axée sur le développement du juridique. Ce qui explique qu’en un an, le cabinet se soit développé à une vitesse fulgurante. Il compte aujourd’hui 470 personnes dont 250 avocats et 50 associés. Les candidatures continueraient d’affluer, lui permettant d’annoncer que le cabinet vise à atteindre les 550 professionnels d’ici trois ans. Même si le managing partner est conscient que, sur certains sujets, les avocats de KPMG Avocats ne seront pas assimilés aux cabinets d’affaires traditionnels, « il y a cependant tout un pan d’activité où nous avons une carte à jouer ». Le corporate/droit des affaires représente aujourd’hui la moitié de leurs investissements et de leurs effectifs au niveau national. Et la pratique sociale est en cours de construction.
Les autres cabinets sont moins en avance sur le juridique. Mais EY Société d’Avocats ne cache pas non plus ses perspectives dirigées vers le corporate M&A. « La ligne de services « Law » représente 35 % de l’activité, indique Lionel Benant, managing partner, et c’est un facteur clé de développement ». Chez PWC, le managing partner, Loïc Le Claire, constate que si désormais, le tax représente 2/3 de l’activité contre 1/3 pour le juridique, la répartition a tendance à évoluer. « Les entreprises interviennent dans un environnement de plus en plus complexe, explique-t-il. Elles sont soumises à un grand nombre d’obligations de conformité, de reporting sur tous les pans de leur activité justifiant le développement de notre activité juridique ». Les demandes des clients dépassent désormais la seule sphère fiscale et ces cinq dernières années, le cabinet a principalement recruté en corporate tax, tout en se diversifiant sur d’autres types de profil, notamment en propriété intellectuelle ou en IT. « Nous continuons à recruter évidemment des profils classiques, mais aussi d’autres plus hybrides, avec des compétences digitales ou en ingénierie », observe-t-il.
Investir dans l’avenir
Car l’un des principaux atouts des Big est bien leur capacité d’investissement. Notamment dans les outils technologiques. « Nous jouons dans la cour des grands », lance Franck Bernauer, responsable des activités juridiques au sein de KPMG Avocats. Il se dit conscient de la chance qu’a eue son cabinet de bénéficier tout de suite des outils qui existaient déjà dans le secteur de l’audit et du conseil.
Dans la plupart des cabinets traditionnels, le développement des technologies numériques est encore à ses débuts. À l’exception de quelques grands noms comme Allen & Overy, ou Hogan Lovells. Mais les Big ont pris plus vite conscience de l’intérêt de l’investissement. Force est de reconnaître qu’ils ont une grande avance sur les autres.
Loïc Le Claire révèle que chez PwC, une communauté de « digital accelerators » a été créée, rassemblant des collaborateurs volontaires qui accompagnent les équipes à faire bon usage des outils numériques mis à leur disposition pour faciliter leur travail. Un laboratoire d’innovation, l’Experience Center, a été implanté dans le 9e arrondissement de Paris. C’est un cadre unique qui, à l’aide du design thinking, inaugure une nouvelle façon d’accompagner les clients dans leur transformation, ou dans la création de services ou de produits innovants.
Deloitte a également mis en place une « Digital Factory » pour tous les métiers y compris pour le cabinet d’avocats, véritable incubateur intégré consacré aux collaborateurs qui veulent développer une initiative. Sophie Blégent-Delapille, la managing partner du cabinet d’avocats poursuit : « L’esprit d’entrepreneuriat est très fort. Nous avons par exemple créé une équipe pluridisciplinaire (juridique, fiscale et consulting) de jeunes collaborateurs, dédiée aux startups et en interface directe avec le marché. Cette équipe va à la rencontre des jeunes entrepreneurs et les accompagne dans leur road show avec notre soutien ». L’investissement va ici bien au-delà des seuls outils numériques. C’est une forme de culture commune tech qui est créée. Elle permet de donner une image de modernité au cabinet pour attirer les nouveaux collaborateurs, ceux qui sont finalement aujourd’hui assez difficiles à recruter et surtout à fidéliser.
Jouer le collectif
Mais ce mode d’exercice pluridisciplinaire fait-il véritablement la différence face aux cabinets traditionnels ? « Lorsque 10 à 20 personnes travaillent ensemble au quotidien, un esprit particulier et un dynamisme se créent. Nous nous efforçons d’ailleurs de maintenir cet état d’esprit en organisant des évènements, sportif ou festifs, confie-t-on chez KPMG Avocats. Nos collaborateurs sont en recherche de cette solidarité et de ce sens. Au-delà du graal de l’association, c’est à nous de trouver le bon équilibre, en appliquant un management respectueux et bienveillant, en expliquant ce que l’on fait et pourquoi on le fait ». Et au sein du jeune cabinet, la formule prend puisque les CV qui parviennent au service RH sont souvent transmis par les collaborateurs déjà en place. Mustapha Oussedrat attribue aussi la croissance rapide du cabinet à un autre facteur : la réactivité. « Nous sommes capables de recevoir un candidat et de prendre la décision de l’intégrer ou non dans la semaine ». Chez Deloitte | Taj, les mots d’ordre sont l’inclusion et la diversité. « Nous intégrons des profils très différents » observe Sophie Blégent-Delapille. Et d’ajouter avec une pointe de fierté : « 42 % de nos associés sont des femmes et la moitié des de nos responsables de département sont des femmes. Le Comex est paritaire ».
Plus d’autonomie
Mais les modèles des cabinets de Big ont changé, y compris dans les modes d’exercice. Les avocats de Big affirment bien sûr tous avoir gagné en autonomie et ne plus être dépendants de l’audit. KPMG Avocats, qui se revendique comme un « cabinet d’avocats entrepreneurs » n’embauche pas de collaborateurs salariés, proposant une collaboration libérale classique aux entrants - y compris à qui étaient auparavant salariés - et le statut de TNS (travailleur non-salarié) à ses senior managers, directeurs et partners. « C’est un gage d’investissement et d’engagement personnel », estime Mustapha Oussedrat. « La collaboration classique n’est pas un frein à la venue des nouveaux talents », ajoute à cet égard Franck Bernauer. Chez Deloitte | Taj, on propose, depuis plus d’un an et demi, aux avocats salariés de se convertir aux BNC. « C’est l’évolution naturelle du métier », observe la managing partner. Chez PwC, le programme d’upskilling « You’re tomorrow », a d’ailleurs vocation à faire monter les équipes en compétences pour permettre aussi aux collaborateurs de développer une clientèle personnelle.
Une carrière balisée
Au sein des Big, le parcours de promotion est fléché. « Les personnes qui entrent chez KPMG Avocats peuvent se dire qu’elles seront un jour associées », annonce Mustapha Oussedrat. Les nouveaux arrivants bénéficient de l’appui de la structure et de son organisation interne pour les faire progresser dans leur carrière. « Dans les cabinets anglo-saxons, il existe aussi une hiérarchie avec des grades, mais il n’y a pas vraiment de lisibilité claire sur la façon dont on passe d’un grade à un autre. Chez KPMG Avocats, nous avons mis en place un processus d’évaluation annuel, fondé sur la production de chacun, révèle Franck Bernauer. L’échelle a certes beaucoup de barreaux, mais on franchit un échelon chaque année ». On ne craint donc pas de pousser les talents et de les faire évoluer car, dans tous les cas, les têtes ne dépassent pas dans ces maisons. Pas de guerre de chapelles entre associés ou de rétention des clients, car au final c’est toujours la marque qui prime. « Dans un cabinet traditionnel, le jeune associé, même s’il développe ses compétences, restera sous la férule de l’ancien, à moins de développer une pratique différente. Dans un Big, l’associé senior n’a aucun problème à transmettre des clients au nouvel associé », constate Loïc Le Claire. Chez PwC, un système de formations croisées est d’ailleurs en place depuis de quelques années. Les plus jeunes aident, dans ce cadre, les collaborateurs plus expérimentés à appréhender de manière dynamique les outils numériques (reverse-mentoring).
Sophie Blégent-Delapille note toutefois qu’un changement est en train de s’opérer dans l’organisation interne des cabinets : « Aujourd’hui, pour beaucoup de collaborateurs, le parcours de carrière importe peu. Ce qu’ils recherchent, en réalité, c’est du sens, de l’intérêt, et des initiatives ». Elle se pose même la question de la subsistance du système de grades au sein des Big, mais espère que la lisibilité de la carrière, point fort, ne sera pas abandonné. « Le facteur transparence et clarté est très important dans le parcours de carrière », estime-t-elle.
Et pour ceux qui ont moins de « talents » ? Pas de réponse transparente, mais un constat : la sortie.
Donner du sens au travail
La demande de sens se fait bien plus prégnante chez les jeunes talents et c’est d’ailleurs devenu un facteur d’attractivité pour ces maisons bénéficiant de l’existant mis en place chez les auditeurs et les consultants. KPMG avocats, lors de sa création, a naturellement été intégré aux actions de la fondation KPMG, qui œuvre notamment en matière d’environnement et d’éducation. « J’ai été surpris par le nombre d’avocats qui se portent volontaires pour ce type d’actions, ils sont véritablement en demande », reconnaît Franck Bernauer. Deloitte a également créé une fondation à laquelle participe Taj qui, chaque semaine, propose des initiatives comme par exemple le projet « Capital filles », qui accompagne les jeunes filles scolarisées dans des banlieues défavorisées, notamment pour les aider à choisir leurs études dans « Parcours Sup ». La firme organise une fois par an, l’« Impact Day » qui propose à des volontaires, par exemple, de repeindre une aile d’un centre de rééducation pendant une journée. « L’appétence des jeunes pour ce genre d’initiatives se démontre d’années en années », dit Sophie Blégent-Delapille. Chez EY Société d’Avocats, outre un programme permettant de consacrer des heures à une mission humanitaire, un « Millenium Board » rassemble les collaborateurs ayant moins de cinq ans d’ancienneté pour qu’ils fassent part de leur vision de la firme.
L’ouverture régionale
La diversité des modes d’exercice au sein des Big offre également aux avocats la possibilité, s’ils le souhaitent, d’expérimenter d’autres milieux de travail. L’implantation et le maillage territorial inégalé des firmes de Big permet de proposer aux collaborateurs une mobilité, sans pour autant que la nature des dossiers qu’ils traitent en soient bouleversée. « Un avocat du bureau de Strasbourg pourra par exemple s’installer à Paris pour travailler au sein du réseau international. Et à l’inverse, des collaborateurs de Paris pourront rejoindre un bureau régional » explique Franck Bernauer. Ce développement en régions ouvre également d’autres perspectives de carrière aux avocats. « Cela permet d’accompagner, en région, les fondateurs d’entreprises et de les accompagner dans leurs transmissions ». Chez PwC, les parcours des avocats, comme des auditeurs, peuvent passer par les différentes lignes de services. « Les équipes acquièrent de nouvelles compétences par capillarité, et côtoyer des personnes qui évoluent dans un monde totalement différent. La mobilité, y compris à l’international est une promesse qui est tenue pour tous ceux qui nous rejoignent », assure Loïc Leclaire.
Deloitte | Taj, qui dispose déjà de 4 bureaux régionaux, à Marseille, Lille, Bordeaux et Lyon, va en ouvrir deux nouveaux, dans les prochaines semaines, à Toulouse et à Montpellier. Ces ouvertures vont renforcer la mobilité entre bureaux mais celle-ci n’est pas uniquement géographique. Car les avocats peuvent aussi choisir d’occuper des fonctions diverses, soit très techniques ou bien dans un rôle de conseil en transformation, plus proche des intérêts stratégiques globaux du client, par exemple comme conseiller le directeur juridique d’une entreprise sur ses investissements en outils digitaux et sur la mise en place de nouveaux process. Avec l’arrivée d’une nouvelle associée, Delphine Abellard, ancienne directrice juridique d’Eurezéo et de Cromology, le cabinet compte en effet développer une nouvelle offre, à l’échelle internationale, pour accompagner la transformation des directions juridiques. « C’est une offre à la frontière des fonctions d’ingénieur, de consultant et d’avocat », explique Sophie Blégent-Delapille.
Ce foisonnement, ne doit cependant pas faire oublier que dans de telles structures, l’écueil peut être le manque d’agilité. « Un Big est un paquebot, y naviguer est sympathique, mais il nécessite plus d’anticipation pour manœuvrer », tempère Lionel Benant.