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Préparer son assemblée générale d’actionnaires

Par Anne Portmann

Alors que la saison 2023 des assemblées générales se prépare, les organisateurs sont à pied d’oeuvre pour que, lors de ce moment important de la vie de l’entreprise, tout se déroule bien. Sur fond de crise énergétique et sociale, comment faire en sorte d’anticiper les interrogations des actionnaires et de garantir l’équilibre des débats ?

Selon un sondage réalisé en novembre 2022 par Scalens avec Avanty Avocats, 44 % des sociétés prévoient, en 2023, d’augmenter la rémunération de leurs dirigeants. Les sujets de say on pay et de say on climate domineront sans doute une saison d’assemblées générales qui s’annoncent animées. Dans ce contexte, les échanges avec les actionnaires doivent être soigneusement préparés et circonscrits.

SUR LE FOND : DES SUJETS BRÛLANTS

L’enchaînement des crises, qu’elles soient sanitaires, économiques ou sociales, questionne de plus en plus les investisseurs, qui expriment leurs interrogations à l’occasion des assemblées générales. Les organisateurs de ces évènements s’accordent à considérer que la stratégie de l’entreprise continuera à être challengée sur trois sujets principaux que sont la rémunération des dirigeants, la gouvernance et le climat. D’abord, et au-delà des spécificités liées à l’activité particulière de chaque société, le sujet classique et récurrent de la rémunération des dirigeants (say on pay) est évidemment un point d’attention, comme à chaque assemblée générale, mais avec davantage d’acuité. Audrey Ménassé est directrice gouvernance et droit des sociétés au sein du groupe Danone et a vu, sur ce point, évoluer l’attitude des actionnaires. Elle observe que les résolutions sur les rémunérations des dirigeants et sur la gouvernance ont tendance à se multiplier. Chez Danone, cette année, pas moins de six résolutions sur la rémunération des dirigeants seront inscrites à l’ordre du jour de l’AG 2023. La question, plus large, de la gouvernance, est aussi un enjeu de taille, comme vécu lors de la récente recomposition de son conseil d’administration, qui a eu lieu à la suite de la grave crise de la gouvernance que le groupe a connu en 2021. Un important travail a été réalisé auprès des actionnaires.

« Nous avons tenu à expliquer pourquoi ces administrateurs étaient sélectionnés et quel a été le processus de sélection, indique Audrey Ménassé. Aujourd’hui, le dialogue actionnarial s’est renforcé notamment dans le cadre du développement des sujets de gouvernance. » Antoine Brocas partage ce constat au sein du groupe Pernod-Ricard, dont il est le secrétaire du conseil et le chief compliance officer, et estime que ce dialogue constructif avec la communauté des investisseurs a eu un effet bénéfique en permettant d’appuyer la montée en gamme des compétences du conseil d’administration, qui compte désormais des personnalités telles que Patricia Barbizet, Kory Sorenson, Namita Shah, Anne Lange, Virginie Fauvel ou encore Philippe Petitcolin.

« Nous n’avons pas intégré ces administrateurs pour satisfaire les critères d’une check-list d’investisseurs, mais nous sommes ravis de constater que ces administrateurs, ultra-compétents et aux profils variés, ont été bien accueillis par nos actionnaires », se réjouit Antoine Brocas. Les questions autour du climat seront, comme l’année dernière, également soulevées durant les AG 2023 même si leur prise en compte semble plus problématique. Sur ce point, une récente révision du code Afep-Medef préconise une présentation aux actionnaires seulement une fois tous les trois ans de la stratégie environnementale du groupe, tandis que le récent rapport du HCJP sur le sujet est plutôt mitigé. Les organisateurs d’assemblée générale s’engouffrent donc dans cette approximation et considèrent la stratégie définie par le groupe comme étant souveraine en l’absence de règles bien définies. La stratégie dépend également du secteur d’activité dans lequel est positionnée l’entreprise. « Bien sûr que les sujets de RSE sont essentiels chez Danone, comme dans d’autres sociétés cotées, notamment au regard de notre statut de société à mission, constate Audrey Ménassé. Certaines entreprises sont sans doute mûres pour débattre avec les actionnaires sur ces questions, mais chez Danone, la récente crise de la gouvernance, qui a entraîné le changement des administrateurs est un sujet prégnant », dit-elle. Danone, première société cotée à devenir à mission en France, communique d’ailleurs beaucoup, par exemple sur son programme de réduction de ses émissions de méthane et son parcours de décarbonation, ou encore sur la diminution du taux de sucre dans ses produits pour les enfants. « Tout cela s’insère dans une stratégie d’entreprise cohérente, avec présentation des KPIs correspondants », explique la directrice de la gouvernance. Et si le dialogue existe, il n’est peut-être pas encore temps de passer à un véritable débat. À ce propos, Antoine Brocas se demande d’ailleurs si l’actionnaire ne sort pas de son rôle en se prononçant sur ce pan de stratégie de l’entreprise. « Il y a certes une pression sociétale importante, parfaitement compréhensible, mais la stratégie n’est-elle pas du ressort du conseil d’administration et du management ? Veut-on réellement confier aux actionnaires un « say on strategy » chaque année en assemblée générale ? ». Et quelles seraient les conséquences en cas de vote négatif d’une telle résolution ? En l’absence de clarté réglementaire en la matière, cette hypothèse engendrerait sans aucun doute une déstabilisation de l’entreprise.

DIALOGUE, TRANSPARENCE ET PÉDAGOGIE

Pour Audrey Ménassé, la clé d’une AG réussie est, à n’en pas douter, le dialogue actionnarial. À l’instar de beaucoup de groupes du CAC 40, elle participe à la préparation de ce moment grâce aux road shows visant à aller à la rencontre des plus gros actionnaires et comprendre leurs attentes et en élaborant soigneusement le document d’enregistrement universel (URD), qui remplace, depuis 2019, le document de référence. Il synthétise l’activité de la société et les éléments financiers et extra-financiers à prendre en compte. « Dans le nôtre, nous détaillons les actions accomplies durant l’année, notamment en matière de gouvernance. Nous présentons les critères de performance de nos actions gratuites sous conditions de performance comme le retour sur les capitaux investis (le ROIC) que nous avons, cette année, ajouté à nos autres critères financiers, souligne-t-elle. Par ailleurs, nous avons abandonné le critère lié à la notation CDP (Carbone disclosure project), considéré par nos actionnaires comme trop éloigné de notre stratégie ». Chez Pernod- Ricard, en exercice décalé, les AG se tiennent à l’automne, contrairement à la majorité des grands groupes du CAC 40. « Comme chaque année, nous allons observer de près ce que vont faire nos pairs au printemps », lance Antoine Brocas. Il souligne lui aussi que le dialogue avec les actionnaires est devenu permanent : road shows pour les institutionnels, club d’actionnaires pour ceux qui détiennent plus de 24 actions et, comme une illustration de la valeur de convivialité qui figure dans la raison d’être du groupe, des visites des nouveaux locaux à la suite du déménagement du groupe, et des sites de production en France, ont même été organisées. « Nous échangeons en permanence avec les actionnaires sur leurs préoccupations, notre trajectoire de croissance et nos résultats », assure Antoine Brocas. Pour Audrey Ménassé, les sociétés doivent aussi faire preuve de pédagogie auprès de leurs investisseurs et être à leur écoute pour comprendre leurs attentes et y répondre. Les relations avec les investisseurs se sont d’ailleurs élargies et il n’est pas rare que l’administrateur référent, le secrétaire général, ainsi que les représentants des équipes juridiques, des ressources humaines et d’autres services encore participent au dialogue. Le rôle de l’administrateur référent s’est d’ailleurs étoffé. Il nécessite des personnalités capables d’expliquer les choix qui sont faits et de convaincre les investisseurs. « Chez Danone, cette pédagogie est d’autant plus nécessaire que nous véhiculons des valeurs fortes différentes », estime Audrey Ménassé. Danone, a en effet été la première société cotée à devenir société à mission en France et a en conséquence beaucoup expliqué sa démarche innovante. Les entreprises ont également recours à des outils numériques pour améliorer ce processus de dialogue actionnarial et s’efforcent de rendre la tâche la plus aisée possible aux actionnaires pour permettre leur participation éclairée aux assemblées et, ainsi, éviter les débordements. Nombreux sont les groupes à encourager les actionnaires à adresser, en avance, leurs questions au board. Si, selon Antoine Brocas, les documents fournis aux investisseurs en vue de l’AG n’ont pas tellement évolué, les présentations en assemblée générale sont pour leur part un peu plus fournies. « Nous sommes aussi un peu plus diserts sur la feuille de route RSE », reconnaît-il. Le temps de dialogue avec les actionnaires prévu lors de l’évènement n’a pas été rallongé, les échanges ayant majoritairement lieu en amont de l’AG et l’exercice étant relativement contraint dans les grands groupes cotés.

« UNE CÉRÉMONIE DE MARIAGE »

Néanmoins, notent tous les organisateurs, le souci de fournir aux actionnaires une information transparente est désormais bien présent. Antoine Brocas se demande toutefois à quel point les actionnaires doivent intervenir dans la stratégie définie par les dirigeants. « Le vote consultatif des actionnaires est-il vraiment une bonne idée ? Il me semble qu’il peut brouiller les lignes entre les rôles de l’assemblée générale, du conseil d’administration, et des autres organes de direction ».

En d’autres termes, si les groupes sont d’accord pour dialoguer et expliquer leur stratégie aux investisseurs, ils ne veulent pas franchir la ligne rouge de l’ingérence. Et, face à l’implication croissante de certains actionnaires, parfois virulents, les débats sont ouverts sur l’opportunité de faire redescendre le seuil de détention d’actions pour faire inscrire une résolution à l’ordre du jour. Les aspects organisationnels peuvent être très lourds, pas seulement en ce qui concerne l’aspect juridique proprement dit, mais également en termes de logistique. « C’est comme si nous organisions un mariage chaque année, sourit Audrey Ménassé. Entre la location du lieu, l’animation de la salle, nous mobilisons beaucoup de monde ». Ce moment de convivialité, temps fort de la vie de la société, demande en effet beaucoup d’organisation et de préparation afin de régler tous les détails qui pourraient venir « gâcher la fête ». Chez Danone, l’organisation minutieuse de l’assemblée générale, qui aura lieu en présentiel, est d’autant plus nécessaire après deux années de Covid et d’assemblées générales à huis clos. « L’année dernière, nous avons assisté à une importante chute du taux de participation » confie Audrey Ménassé. Alors qu’il y a une dizaine d’années, environ 1200 actionnaires répondaient à la convocation, ils n’étaient plus que 600 en 2022. Un problème d’importance perdure néanmoins pour les groupes cotés : il n’existe pas encore de solution technique pour permettre une participation à distance totalement sécurisée. « Nous ne pouvons pas encore nous assurer que la personne qui vote est bien l’actionnaire », explique-t-on. L’AG de Danone sera tout de même diffusée, en direct et en différé.

Chez Pernod-Ricard aussi, les AG font toujours l’objet d’une diffusion en direct, car de nombreux collaborateurs les regardent, ainsi que les actionnaires qui ne peuvent se rendre sur place. Mais au sein du groupe de spiritueux, aucun actionnaire n’avait demandé, à l’automne dernier, à ce que l’assemblée se tienne au format hybride. « La question du vote à distance en direct est toujours le point bloquant d’un point de vue technique, mais je suis curieux de voir ce que donnerait une assemblée qui se tiendrait au format vraiment hybride en France, avec séances de Q&A et de vote à distance », se demande Antoine Brocas. Des innovations numériques seraient en cours de développement. Car pour les sociétés non cotées, des solutions de vote à distance existent, comme celle opérée par l’outil Easy Quorum. Nicolas Sarraquinne et Maxime Loiselle, responsables du développement de cette solution chez Wolters Kluwer Legal Software, expliquent que de plus en plus d’entreprises, y compris des filiales de grands groupes cotés, ont fait appel à eux pour la tenue des AG au format hybride ou virtuel. Ils observent que le recours à l’outil numérique a un effet non négligeable sur la participation aux assemblées générales et favoriserait également la transparence. « Il semble que ces outils vont dans le sens de l’actionnariat », notent-ils, indiquant qu’ils travaillent à un outil à destination des sociétés cotées. Mais participer à distance permet-il réellement de favoriser le débat ?