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Petit à petit, l’IT fait son nid

Par Charles Ansabère

Plus fréquents qu’à l’accoutumée, les recrutements d’associés en IT préfigurent-ils un renouveau de cette matière ? Le fait est que la tech prend ses aises, tant au sein des enseignes déjà richement dotées en compétences qu’auprès des ultra-spécialistes ou des plus petits cabinets.

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n point haut. Avec plus de 400 mouvements d’associés tracés l’an passé par PwC Legal Business Solutions, comme en 2023, la dynamique des cabinets ne faiblit pas. Portée par le corporate, cette trajectoire inclut une composante plus inhabituelle, à savoir un certain intérêt pour les experts en IT. Et même si celle-ci ne correspond qu’à 8 % des annonces, il faut probablement y voir le signe d’une mutation dans la façon dont les cabinets d’avocats s’approprient la matière.

Peu à peu, la profession opère une mue. D’ailleurs, l’appellation « IP/IT » ne colle plus vraiment à la réalité. Trop protéiforme. Trop marquée par une technicité croissante qui différencie chacune de ses matières. Et terriblement malmenée par une fièvre réglementaire qui incite à l’hyperspécialisation des experts. Après le RGPD, qui s’est immiscé en mai 2018, ou encore la Juridiction unifiée des brevets, dont le 1er juin marquera le deuxième anniversaire, la série de textes initiés par l’Union européenne (DSA, DMA, Data Act, AI Act, NIS 2, DORA…) est venue alourdir le millefeuille législatif encadrant les technologies innovantes. Au point de le rendre indigeste pour quiconque s’y attèlerait d’un seul tenant.

L’IT devient plus rentable

L’inflation des textes n’est pourtant qu’un facteur structurant parmi d’autres. « En étant portés par un phénomène d’expansion intrinsèque, la technologie et le numérique élargissent régulièrement le besoin d’accompagnement juridique des clients, analyse Stéphane Lemarchand, associé de DLA Piper. La discipline juridique en ce domaine n’est plus une « niche » mais est au cœur du droit des affaires, et suppose d’une part d’adopter une approche multidisciplinaire, et d’autre part de comprendre ce secteur devenant très réglementé ». Et c’est justement ce champ des possibles qui favorise l’essor des pratiques IT dans les cabinets d’envergure, d’autant qu’elles génèrent davantage de rentrées financières. Les associés en IT, en devenant plus rentables, ne sauraient être cantonnés au rang des fonctions support. Pour les cabinets les plus en avance, recruter permettra donc d’étoffer la palette d’expertises afin de demeurer une référence du marché ; pour ceux de taille intermédiaire qui n’auraient pas emboîté le pas aussi tôt, c’est un axe potentiel de croissance à considérer. Sans nul doute.

Pour autant, la recherche d’associés en IT ne bat pas son plein. Chez les recruteurs, c’est plutôt un non-sujet, à vrai dire. « Certains cabinets n’ont peut-être pas encore saisi l’importance d’ajuster leurs équipes pour répondre aux besoins des clients, dont l’intérêt pour les sujets technologiques a notamment été ravivé par la montée en puissance de l’IA, estime Patrice Navarro, arrivé en octobre chez Clifford Chance en tant qu’associé. Ces besoins, en constante augmentation, appellent une approche plus globale et cohérente, plutôt qu’un traitement fragmenté entre différentes expertises, notamment à mesure que les enjeux en IA et cybersécurité se multiplient ». « Même si l’inflation réglementaire suscite un retour de balancier depuis quelques mois, à l’instar de la directive Omnibus ou de la dérégulation financière amorcée par le Royaume-Uni, celle-ci a créé un environnement dont la complexité impose d’en confier le suivi à des spécialistes. Dans les opérations, les discussions ayant trait au risque conformité ont pris le pas sur les négociations contractuelles classiques dont on se satisfaisait par le passé », détaille Benjamin May, associé de Jeantet arrivé avec son équipe en début d’année.

Pas encore dans les priorités

Pour les cabinets, plus que jamais, la place accordée aux associés en IT est donc affaire de conviction stratégique. « Dans le M&A, le volet tech a pris de plus en plus d’importance. Un renforcement des équipes présente donc l’intérêt de maintenir le niveau d’exigence et de qualité que les clients sont en droit d’attendre de leur cabinet d’avocats », considère Alan Walter, associé de Walter Billet Avocats. Et l’on pourrait tenir un raisonnement similaire pour bon nombre de spécialités juridiques, comme la fiscalité, le droit public… Voilà pour le côté positif. En revanche, « depuis l’élection de Donald Trump, nombre d’entreprises ont réduit leurs budgets par prudence. Elles temporisent avant de se pencher sur les nouvelles dispositions réglementaires, leurs besoins en IT se heurtant parfois à la réalité économique. Il n’empêche : l’omniprésence de la tech doit toujours amener les cabinets à réfléchir à de nouvelles offres pour aligner leurs pratiques avec les textes les plus récents », observe Claude-Etienne Armingaud, associé de K&L Gates.

De toute façon, l’IT prendra encore plus sa mesure dans les cabinets lorsque verront le jour des contentieux d’envergure liés aux usages de l’IA. Une nouvelle consécration d’une technicité nécessaire, en quelque sorte. En attendant, mieux vaut avoir correctement structuré les contrats en amont pour éviter d’en arriver à cet extrême, comme toujours. Quitte à étoffer ses équipes.