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Partir (ou pas) à la retraite, mode d’emploi

Par Anne Portmann

Si la réforme des retraites n’a pas remis en cause le caractère autonome de la Caisse nationale des barreaux français, qui gère la retraite de base et la retraite complémentaire des avocats, elle aura toutefois quelques conséquences sur la fin de leur carrière, notamment lorsque ces derniers ne veulent pas stopper brutalement leur exercice professionnel. Quelles questions doit-on anticiper lorsque l’on arrive en fin de parcours ?

«Lorsque l’on est habitué à travailler avec la pression des clients, il est peu envisageable d’arrêter son activité tout d’un coup », confie un avocat, qui pendant plus de deux décennies a été l’associé d’une grande firme parisienne. Les statuts du cabinet, dans son cas, imposaient de partir l’année de ses 65 ans. Une règle connue et acceptée. « Il y a eu quelques exceptions, mais c’est assez rare », ajoute-t-il en précisant qu’il n’envisageait pas d’arrêter son activité pour autant. Expert dans son domaine, il s’est posé la question de la suite de son activité.

Liquider sa retraite

Le régime de retraite de base des avocats a ceci de particulier qu’il est totalement solidaire. Autrement dit, la pension est la même pour tous, quel que soit le niveau de revenus et le montant des cotisations versées. C’est d’ailleurs cette particularité, à laquelle tenaient les avocats, qui avaient motivé les grèves du début de l’année 2020. L’avocat parisien Xavier Autain avait alors, lors d’une émission consacrée au sujet, lancé un tonitruant « Foutez-nous la paix! », resté dans les mémoires. « Même les cabinets anglo-saxons sont ravis de ce principe de solidarité, qui s’inscrit dans l’esprit de la RSE », constate-t-il. S’il estime que la profession a aujourd’hui sauvé sa tête, il craint cependant que ce ne soit qu’un sursis. « Nous serons tôt ou tard avalés par le régime général », pense-t-il. En l’état, la pension de base des avocats dépend uniquement de la durée d’affiliation au régime. Ainsi, pour une carrière complète, un avocat perçoit 18 299 € par an, soit 1 524,91 € par mois. À cette retraite de base s’ajoute une retraite complémentaire obligatoire à points, laquelle est variable selon l’option choisie par l’assuré, en fonction de ses revenus. Le régime de base est, lui, financé pour partie par les droits de plaidoirie, par une cotisation forfaitaire annuelle identique pour tous (sauf dégrèvement prévu pour les cinq premières années de barreau), ainsi que par un pourcentage du revenu de chacun, fixé par les textes. Le relèvement, par la réforme, de l’âge de la retraite à 64 ans n’aura que peu de conséquences pour les avocats qui, en moyenne, liquident leurs droits à 65 ans et deux mois. « Cependant, en ce qui concerne les jeunes générations, le relèvement du seuil, combiné avec l’allongement de la durée de cotisations entraînera certainement des conséquences, au regard de la démographie de la profession. L’allongement de la durée des cotisations a d’ores et déjà un impact que nous allons calculer, puisque les confrères vont devoir cotiser plus longtemps pour faire valoir leurs droits à la retraite. Mais il faut y réfléchir car nous devons tenir compte de notre démographie, en particulier de la durée des études et de l’âge de prestation de serment », indique Bruno Zillig, président de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) .

Pour pouvoir percevoir l’intégralité des droits à la retraite, les avocats doivent actuellement cotiser pendant 172 trimestres, soit 43 ans. Mais l’âge moyen d’entrée dans la profession, compte-tenu de l’allongement de la durée des études, est actuellement de 30,4 ans. Théoriquement, les avocats devraient donc, en moyenne, travailler jusqu’à plus de 73 ans. Heureusement, les personnes qui partent à la retraite à 67 ans bénéficient toujours automatiquement d’une retraite à taux plein, même si elles n’ont pas travaillé 43 ans.

Une étude de l’Observatoire des avocats, qui date de 2019, fait toutefois état d’une durée moyenne d’exercice de la profession en constante baisse. Alors qu’on exerçait 34 ans en 2000, le délai est passé à 30 ans en 2009, puis à 29 ans en 2017.

Attention aux mauvaises surprises

L’avocate parisienne Valence Borgia, qui est encore loin de sa fin de carrière, s’est récemment penchée sur ses futurs droits. Elle a découvert que si les mères de famille pouvaient prétendre à huit trimestres supplémentaires par enfant (éventuellement à partager avec le père), le régime des avocats ne prévoyait pas d’autres correctifs en cas de maternité. « La majoration des pensions de 10 % , qui bénéficie depuis de nombreuses années aux assurées mères de famille, a enfin été accordée aux avocates. Elle n’est cependant pas payée par la CNBF, mais par la CAF », observe-t-elle, constatant que cet avantage est loin de compenser l’écart entre les retraites servies aux avocates et celles de leurs confrères masculins, en moyenne plus élevées de 30 %.

Un autre élément est également crucial, selon elle. « Si avant d’avoir été avocat, vous avez cotisé à un autre régime, notamment parce que vous avez fait des petits boulots pendant vos études, les trimestres cotisés sont, certes, pris en compte pour la durée de cotisation, mais ne donnent pas de droit à pension de retraite ». En d’autres termes, la somme perçue au titre de la retraite de base sera diminuée du prorata de ces trimestres cotisés ailleurs qu’à la CNBF. « Une conseillère de la CNBF m’a indiqué que la plupart des avocats découvraient ce piège au moment de faire liquider leurs droits », rapporte-t-elle, qualifiant le mécanisme « d’aberrant », d’autant que le simulateur de droits, sur le site de la CNBF, n’intègre pas ce paramètre des cotisations « qui ne comptent pas ». Valence Borgia souhaiterait que le système de retraite des avocats atténue davantage les inégalités de revenus entre avocats et avocates, déjà criantes tout au long de la carrière professionnelle. « La pyramide des âges montre qu’actuellement, ce sont des jeunes femmes qui cotisent pour des hommes vieux », observe-t-elle.

Poursuivre son activité

« La plupart des avocats parisiens continuent leur activité après l’âge requis pour faire valoir leurs droits à la retraite car ils sont en forme, physiquement et psychologiquement. Dans la plupart des cas la question de l’âge ne se pose d’ailleurs même pas. Lorsqu’une règle de limite d’âge existe, dans la structure, c’est l’occasion d’une nouvelle aventure tout en essayant de tirer le meilleur de l’expérience acquise. En outre, les émoluments de la retraite n’apportent pas les mêmes conditions matérielles que celles auxquelles on a pu s’habituer », confie un avocat d’affaires qui souhaite conserver l’anonymat. Peut-on pour autant anticiper ? Pas vraiment. « On sait que cela va arriver, on essaye de s’y préparer, mais il y a une série de facteurs non-maîtrisables qui ne se dénouent que quelques mois avant le départ », poursuit un autre avocat qui avait d’abord dans l’idée de rejoindre une petite structure familiale dans laquelle il avait des attaches, avant d’opter pour un exercice seul pendant environ un an. « Puis, je me suis rendu compte que cette route menait très vraisemblablement au rétrécissement de l’activité », dit-il. Estimant avoir encore beaucoup à transmettre, il a donc fait le choix de rejoindre un autre cabinet de la place, doté d’une expertise dans son domaine qui ne prévoit pas de limite d’âge pour les associés. « Le cumul emploi retraite me permet de continuer mon activité dans de bonnes conditions », se réjouit-il, même s’il déplore que la CNBF ne lui ait pas indiqué clairement qu’une fois sa retraite liquidée, cette deuxième carrière pour laquelle il continuait à cotiser ne lui ouvrirait pas de droits supplémentaires.

Sur ce point, les choses ont changé avec la réforme, comme l’explique Bruno Zillig. « Jusqu’ici, le retraité actif continuait à cotiser au régime de base – il n’y avait que peu d’intérêt à poursuivre la cotisation au régime complémentaire – mais cela ne générait pas de nouveaux droits. La réforme prévoit désormais que celui qui fait liquider sa retraite pour avoir une retraite active démarre, en quelque sorte, une seconde carrière. À l’issue de celle-ci, il faudra alors recalculer sa nouvelle pension de retraite ». La CNBF devra donc servir une pension de base plus importante à ceux qui poursuivent leur carrière, ce qui génèrera pour la caisse des charges supplémentaires qu’elle n’avait pas jusqu’à présent.

La situation est aussi devenue incertaine en ce qui concerne la mise à la retraite progressive, que certains cabinets proposent. Le nouveau mécanisme prévu par la réforme pour les indépendants semble être la reprise de ce qui était déjà prévu pour les salariés. « à l’heure actuelle, le cumul des revenus d’une activité et d’un début de retraite partielle est limité à un demi-plafond défini par la sécurité sociale qui est d’environ 20 000 €. L’avocat qui serait en retraite progressive travaillerait, dans ce schéma, pour rien. Sauf à ce qu’une adaptation des plafonds actuellement définis intervienne, ce qui dépendra des textes d’application, très peu d’avocats seront intéressés par la retraite progressive », observe Bruno Zillig.

Complément de retraite

La CNBF a un autre projet, porté par Bruno Zillig : « Je souhaiterais réintroduire une proposition de régime complémentaire supplémentaire par capitalisation. Il a existé pendant 20 ans au sein de la CNBF et avait donné de bons résultats. Notre gestion permet de dégager des résultats satisfaisants pour nos réserves, notamment parce que nous ne prenons ni pourcentage, ni commission ou rémunération. Nous pourrions dans cette mesure proposer des solutions de retraite par capitalisation intéressantes pour nos confrères ». En attendant, les avocats qui le souhaitent peuvent, bien entendu, souscrire aux offres de marché pour se constituer un complément de retraite par capitalisation. Certains cabinets, notamment anglosaxons, offrent également aux anciens associés des sommes qui sont perçues une fois qu’ils cessent leur activité, consacrant parfois un pourcentage de leurs bénéfices à cette « cagnotte », partagée entre tous les anciens associés. C’est également un argument pour attirer les associés.

La vie d’après

Certains contrats d’association prévoient, pour les avocats qui partent en retraite, l’obligation de présenter leurs clients à un associé du cabinet « La notion de propriété de la clientèle n’existe plus, c’est le client qui choisit », estime un acteur du secteur. En pratique, selon lui, certains directeurs juridiques d’entreprises sont davantage attachés à la personne de leur conseil qu’à la firme mais ce paramètre n’est pas quantifiable et dépend d’abord de l’histoire avec le client. Et cette deuxième vie professionnelle peut même permettre parfois d’aborder les tâches autrement. Pour autant, la pression des clients ne diminue pas. « La carrière étant désormais faite, on peut cependant prendre davantage de recul et avoir une vision moins compétitive du métier », reconnaît-il, soulignant que le critère essentiel est celui de la santé.