Négocier à l’international : comment éviter les impairs
Pour éviter à son client de faire échouer le deal en commettant des impairs lors des négociations internationales, l’une des missions de l’avocat est de dépasser son rôle de conseil strictement juridique en l’informant des spécificités locales. Mais, dans le monde des affaires, s’approprier les différences culturelles n’est pas un long fleuve tranquille. Anecdotes et retours d’expériences.
Exploiter le droit à son avantage
Car les différences culturelles sont susceptibles de constituer un véritable frein à la conclusion d’une opération. Elles ne doivent pas être sous estimées. Par exemple, les Américains sont connus pour savoir exploiter le droit à leur avantage, en insérant toutes les garanties possibles dans les contrats. Une aversion au risque qui complique souvent leurs relations avec leurs partenaires chinois qui ne considèrent pas le contrat comme un engagement ferme et définitif. Les Chinois ont généralement des difficultés à se projeter et ne souhaitent pas anticiper l’avenir, ni s’engager sur la durée. Par exemple, il est extrêmement rare de trouver des contrats de concessions de longue durée ou des baux commerciaux engageant les parties plus de deux ou trois ans. Ces contrats ne sont d’ailleurs jamais rédigés de manière précise, étant appelés à évoluer en fonction des circonstances. « Ayant un grand appétit pour l’opportunité, les Chinois tirent de l’essor de l’économie, celle d’aménager l’exécution des contrats commerciaux ou des joint-ventures sino-étrangères, indique Anne Severin, associée de DS Avocats. Il est fondamental pour la partie occidentale de se placer en situation de force pour avoir la capacité de faire exécuter le contrat et d’éviter les clauses d’exclusivité, de manière à conserver la capacité contractuelle d’agir seul. » Tout ce qui n’est pas écrit n’existe pas en Chine. « La solution est de toujours faire signer des comptes rendus à l’issue des réunions, sinon les parties sont susceptibles de rediscuter des mêmes sujets », poursuit l’associée.
Dans les négociations avec les Japonais, l’incompréhension est également parfois au rendez-vous. Au pays du Soleil Levant, les contrats sont souples et peu bavards, car le maître mot est la confiance. Les Japonais, eux, bâtissent une relation sur le long terme. « Il n’est pas rare de voir des contrats de consortium entre les sociétés japonaises comptant à peine cinq lignes, souligne Lionel Vincent, associé de LPA-CGR Avocats. Parfois, il n’y a pas de contrat écrit, ce qui n’exclut pas, néanmoins, l’existence d’une relation d’affaires bien établie. Certains de nos clients travaillent avec des partenaires étrangers sur la base de simples bons de commande depuis plus de trente ans. » En cas de difficultés, le consensus est de mise. Mais, dans le cadre d’un contrat international, la rédaction est fortement recommandée et doit être précise. « Lorsque la négociation bute sur une clause, il arrive souvent que le partenaire japonais propose de l’écarter au nom de la confiance entre partenaires, ou bien, de revenir sur le sujet un peu plus tard, par acte séparé. Il est essentiel d’insister, poursuit l’associé. Pour contourner l’argument de confiance ou le report à plus tard de ce qui doit être néanmoins acté sans délai, je conseille de répondre en s’appuyant sur des éléments objectifs qui dépassent le cadre de la discussion entre les parties, telle que la référence à des règles internationales du groupe, qui imposent ladite clause dans le contrat. » Il doit néanmoins être noté et accepté que les Japonais sont réfractaires à certaines stipulations contractuelles, notamment les clauses d’engagement de volume. Quant au processus de décision, il est collectif au Japon. Tous les services d’une société peuvent être impliqués dans le processus de décision. « Il arrive que les représentants de la société posent plusieurs fois la même question à chaque réunion, ce qui peut être surprenant, estime Lionel Vincent. C’est parce qu’ils relaient les questions venant de différents services de la société. Les réponses sont ensuite rapportées et traitées en interne dans le processus de validation. »
Prendre en compte l’environnement
L’environnement a également un impact sur l’issue de la transaction. Tout commence par la rencontre. Par exemple, à Abu Dhabi, il est impensable de serrer la main des femmes. Au Japon, les parties doivent échanger les cartes de visites avec les deux mains, en penchant le buste en avant et en déclinant leur identité. Sans ce précieux sésame, et sans le rituel de présentation, il n’y a pas d’affaire. « Je me souviens d’une rencontre où un potentiel acquéreur s’était présenté au président japonais d’un groupe international sans carte de visite, se souvient Lionel Vincent, qui représentait la banque d’affaires. Alors que la rencontre avait pour objectif de déboucher sur une lettre d’intention, la négociation a immédiatement pris fin. »
Par ailleurs, lorsqu’un risque politique ou une crise financière survient durant les négociations, le conseil doit être capable de s’adapter à l’environnement et de guider son client vers la meilleure issue, sans le déstabiliser. « La situation économique de l’Argentine se dégrade à nouveau ces derniers mois, rappelle Yves Lepage. Il existe des techniques juridiques pour protéger les investisseurs étrangers, mais celles-ci ne sont pas toujours suffisantes. » De la même manière, les questions d’immixtion de certains États dans des transactions relevant du droit privé, notamment en Afrique, doivent être anticipées. Et le client prévenu. « Les particularismes locaux, notamment en Afrique et Amérique latine, se ressentent dans certaines négociations », reconnaît Yves Lepage. Appréhender les codes culturels locaux, en particulier les relations entre les différentes populations du pays est, sans aucun doute, l’une des conditions de réussite d’un deal.
Créer une relation de confiance
L’importance accordée à l’intuitu personae diffère selon les pays. Si, en France, on travaille d’abord ensemble, pour ensuite apprendre à se connaître, en Chine, c’est le contraire. Prendre le temps de créer une relation de confiance est un préalable fondamental. Les Chinois apprennent à connaître leurs futurs partenaires commerciaux, lors des repas d’affaires. Ces derniers doivent être honorés, au risque de provoquer de graves vexations. « Un jour, un client a décliné la proposition d’un cocontractant chinois à l’issue d’une réunion, se remémore Anne Severin. Il a cru que c’était une simple invitation de politesse. La déconvenue a été effroyable et la joint-venture n’a jamais vu le jour. » C’est, sans aucun doute, lors de ces moments, en Asie, que l’on prend connaissance des vrais enjeux et points de sensibilité de ses interlocuteurs par rapport au projet discuté.
En Afrique, les pratiques relationnelles sont assez comparables. La partie française doit montrer son intérêt pour le pays et la culture, effectuer des visites et même parfois rencontrer des membres de la famille. Mais, attention à ne pas revêtir une tenue ethnique, exclusivement réservée aux locaux. Le costume cravate est donc de mise. On notera d’ailleurs que, dans les milieux d’affaires, tant dans l’Hexagone, qu’aux États-Unis, ou en Amérique latine, cette dernière tend à disparaître.
La communication non verbale (gestuelle, regard, silence) ne doit pas non plus être prise à la légère. Et certaines formes d’humour sont à éviter. « Dans le monde arabe, les sujets de discussion inconvenants sont ceux qui portent sur l’alcool, la viande de porc ou même les femmes », prévient Nigel Hartridge, associé de LPA-CGR Avocats. La présence d’un traducteur est souvent nécessaire pour éviter les incompréhensions, notamment avec les parties qui ne parlent pas toujours parfaitement anglais. Attention néanmoins à ne pas se laisser piéger par le jeu de la négociation, certains n’hésitant pas à surjouer les codes culturels. Nigel Hartridge se remémore : « Au début de ma carrière, dans le cadre d’une négociation de contrat où je représentais une entité européenne, le senior partner d’un cabinet d’affaires égyptien, qui conseillait le dirigeant d’une entreprise locale, a feint d’être offusqué par mes propos pendant une réunion pour me déstabiliser. Je n’ai compris que plus tard que c’était le jeu de la négociation. »
Chacun son horizon temporel
Autre différence : l’appréciation de la notion du temps. Aux États-Unis, le maître mot est « efficacité ». La négociation est business oriented, plus dure et moins conviviale que sur les autres continents. Les hommes d’affaires américains aiment optimiser leur temps de travail en évitant toute discussion d’affaires superflue. Les Africains n’hésitent pas à faire patienter leurs futurs partenaires en salle d’attente. Certains ont même attendus trois heures avant de débuter la réunion. Avec la Chine, il est préférable de montrer que l’on est venu négocier sans billet de retour et que l’on a donc tout le temps requis pour signer le contrat. Conscients que le temps est un allié pour eux, alors qu’il est l’ennemi du monde occidental, les Chinois tenteront de tirer parti de cet avantage lors des négociations. Lorsqu’une réunion doit prendre fin à 17 heures à cause d’un impératif, il est certain qu’ils aborderont un point crucial à 16 h 45. Il est préférable de rester calme et de reprogrammer une réunion pour aborder ce point, même si elle n’a lieu qu’un mois plus tard. Dans la culture asiatique, se montrer impatient, agressif ou énervé est un signe de faiblesse. « Contrairement aux pratiques occidentales, où les échanges de notes se succèdent, au Japon, les négociations sont souvent ponctuées de rencontres physiques pour dépasser l’écrit, explique Lionel Vincent. Il ne faut pas s’impatienter, la mesure du temps de la négociation et sa perception n’est pas la même que dans notre pays. » Car, comme l’indiquait La Fontaine dans une de ses célèbres fables : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».