Les RH, une nouvelle casquette pour les juristes ?
Certaines entreprises font le choix de confier leur DRH (direction des ressources humaines) à des directeurs juridiques ou des avocats en droit social. Parfois même les juristes cumulent le management de la direction juridique et de la DRH. Décryptage de ce phénomène.
Les lecteurs assidus des nominations publiées dans la LJA auront peut-être constaté qu’une poignée de directeurs juridiques investissent la sphère des ressources humaines. En ce début d’année, deux promotions en particulier attirent l’attention. En janvier, c’est la directrice juridique de Tereos, Sarah Leroy, qui a également pris les responsabilités de DRH. Puis, en février, Frans Bonhomme a officialisé l’attribution des RH à son directeur juridique, Nicolas Marty.
DU JURIDIQUE AUX RH, UN PARCOURS ATYPIQUE
« Des professionnels du droit qui gèrent les RH ou qui switchent vers les RH ne sont pas des tendances que nous avions particulièrement identifiées, mais cela ne constitue pas une surprise pour autant, indique Christine Caldeira, secrétaire générale de l’ANDRH, association qui fédère quelque 5 600 professionnels des ressources humaines. Cette évolution fait partie des parcours possibles. Il arrive régulièrement que des avocats en droit social, en quête de qualité de vie au travail et de stabilité, intègrent les entreprises. » Pour les juristes, bifurquer vers les RH, en conservant ou non le juridique dans leur scope, est somme toute assez rare. « Il est plus fréq uent de voir les directeurs juridiques accéder à des postes de secrétaire général ou assimilés, qui englobent le juridique mais aussi la gouvernance, la compliance, la gouvernance ou encore la RSE, observe Catherine Maguire- Vielle, consultante chez Spencer Stuart, cabinet international d’Executive Search, qui a aussi été avocate, directrice juridique… et DRH. Dans certains cas, le secrétaire général fédère une bonne partie des fonctions support de l’entreprise, dont la finance ou les RH. Dans la mesure où ces postes sont à géométrie variable, la double casquette juridique et RH pourrait tout à fait être considérée comme un poste de secrétaire général, voire un tremplin vers cette fonction. »
ACCESSION PAR PROMOTION INTERNE
La chasseuse de têtes constate que « de plus en plus de CEO cherchent des DRH qui ont eu une vie avant. Une forte expérience en relations sociales peut représenter un atout pour mener un plan social ou gérer du contentieux. Un profil juridique aura plus de sens pour une promotion en interne. Obtenir un poste de DRH par recrutement externe, sans aucune expérience dans le domaine, me semble extrêmement difficile. DRH est un poste clé, les entreprises ne prendront pas le risque de sélectionner un profil trop atypique. Un avocat en droit social pourrait en revanche plus facilement être recruté, surtout s’il accompagne déjà l’entreprise. » C’est effectivement bien souvent à la faveur d’une promotion interne que les directeurs juridiques accèdent aux RH. Un terreau propice est alors nécessaire, a fortiori si les deux fonctions sont réunies. L’organisation de l’entreprise et son contexte doivent s’y prêter. Néanmoins, si elle n’est pas la plus naturelle, cette passerelle interne n’est pas pour autant illégitime. Les directeurs juridiques connaissent très bien l’entreprise, ses rouages, son activité et les problématiques des collaborateurs et travaillent bien souvent en étroite collaboration avec la DRH.
DRH, UN PRATICIEN DU DROIT SOCIAL
Mais surtout, ils disposent d’un atout maître dans leur manche : leur expertise et leur appétence pour appréhender les textes. En effet, « le juridique est très présent dans le quotidien des RH », souligne Christine Caldeira. Des relations avec les instances représentatives du personnel (IRP) à la gestion du contentieux, en passant par la santé au travail, les fusions et acquisitions, le RGPD, la propriété intellectuelle ou encore les délégations de pouvoir… C’est bien le droit qui définit et encadre la relation de travail, tout au long du parcours du collaborateur. « Le DRH est un couteau suisse dont le champ de compétence juridique est très large, complète Christine Caldeira. Il est dans l’anticipation des risques et litiges juridiques. La connaissance de la législation et la vision des enjeux, notamment pénaux, sont forcément des atouts pour occuper le poste de DRH. » « La gestion des risques sociaux nécessite une bonne maîtrise de la législation et des réglementations, confirme Nicolas Marty, directeur juridique, assurances, immobilier et relations sociales et DRH de Frans Bonhomme, spécialiste de la distribution de matériaux et de solutions dans le secteur du BTP. Les postes de directeur juridique et de DRH sont différents mais ils partagent une colonne vertébrale commune : le droit. L’application du droit n’est pas la même, il est évident que l’on ne gère pas un salarié comme un contrat ou un dossier. » Marie-Clotilde Vial, directrice juridique et des ressources humaines chez Siparex complète : « les sujets juridiques et réglementaires représentent la frontière, parfois mouvante, entre les fonctions RH et juridique. D’ailleurs, selon les entreprises, leur organisation et leur culture, les juristes en droit social peuvent se trouver indifféremment dans la direction juridique ou la DRH. Cette porosité et l’importance de la réglementation en matière sociale peuvent expliquer que la direction juridique couvre parfois la fonction RH. Néanmoins, cela ne me semble envisageable que dans des entreprises d’une certaine taille : une entreprise suffisamment grande pour être dotée des deux fonctions, mais pas trop grande non plus. Je vois mal un directeur juridique du CAC 40 endosser aussi la responsabilité opérationnelle des RH. À moins que la fonction consiste exclusivement à manager des services parfaitement autonomes. »
D’AUTRES ATOUTS DANS LEUR MANCHE
La maîtrise des aspects légaux n’est pas le seul atout des juristes pour embrasser une carrière dans les RH. « Leur capacité à gérer les conflits, leur appétence pour la résolution amiable des conflits ou encore leurs qualités de négociateur font des juristes d’excellents candidats pour des fonctions RH, considère Nicolas Marty. Les deux postes partagent beaucoup de similitudes. » « Les juristes ont un raisonnement très structuré et une forte capacité de synthèse et d’argumentation qui peuvent clairement leur servir, souligne Catherine Maguire-Vielle. Ils ont une vision factuelle des dossiers et savent présenter les situations difficiles de manière succincte et convaincante. » En définitive, les missions d’un responsable d’une fonction support se ressemblent fortement, quel que soit le domaine. Un bon manager juridique fera très certainement un bon manager RH. « Le DRH, comme le directeur juridique, doit être à même de structurer, de mettre en place des process, de développer une vision à court et plus long terme, d’impulser une dynamique, d’animer son service et de faire progresser ses collaborateurs, résume Marie-Clotilde Vial. Le socle de compétences pour manager un service est relativement similaire. »
N’EST PAS DRH QUI VEUT ?
Néanmoins, un certain nombre de différences existe et il ne faut pas les sous-estimer. À l’image de la dimension communication inhérente au DRH. « Les enjeux de communication ne sont clairement pas les mêmes, souligne Nicolas Marty. Le directeur juridique vulgarise et donne accès à l’information. Le DRH donne de la visibilité, porte la culture interne, diffuse les valeurs et les messages, annonce les bonnes et les mauvaises nouvelles… Pour être DRH, être un bon communicant est un prérequis. Cet aspect du poste peut ne pas intéresser ou convenir à certains directeurs juridiques. » Pour Catherine Maguire-Vielle, « les directeurs juridiques susceptibles de revêtir la casquette RH sont ceux qui aiment sortir de leur zone de confort. Avoir plusieurs carrières en une seule vie professionnelle est de plus en plus courant, mais cela demande néanmoins une ouverture d’esprit certaine, une bonne dose de flexibilité et une grande capacité d’adaptation. » Le directeur doit avoir démontré sa faculté à s’extraire de la technicité juridique, à développer une vision transversale et globale, à prendre de la hauteur, et à se saisir de nouvelles missions en dehors du scope juridique pur sont autant de preuves de sa capacité à gagner en épaisseur et à assumer d’autres responsabilités. C’est vrai pour les RH, mais aussi d’autres domaines (RSE, DSI, etc.). « DRH n’est pas un poste qui sied à tous les directeurs juridiques », estime Catherine Maguire-Vielle. Chapeauter les RH, ce n’est pas uniquement une question de management et d’expertise juridique. « C’est avant tout une question de personnalité, affirme Christine Caldeira. Car, aujourd’hui, les compétences techniques et la maîtrise des outils peuvent s’acquérir. En outre, le DRH peut s’appuyer sur l’expertise de son équipe et de ses conseils. En revanche, le poste requiert des soft skills et des appétences spécifiques. » Empathie, écoute, bonne gestion des émotions, excellent relationnel, leadership, curiosité ou encore courage sont autant de qualités humaines et personnelles essentielles au DRH. « Il me semble indispensable d’aimer être sur le terrain », complète Nicolas Marty. Catherine Maguire-Vielle ajoute : « Le DRH est parfois confronté à des situations humainement difficiles. Il doit avoir le courage de prendre les décisions et de les porter auprès de la direction. Il faut pouvoir lui dire des choses qu’elle n’a pas envie d’entendre. Le plus important, c’est l’intelligence émotionnelle. La situation n’est jamais blanche ou noire ; il faut accepter de travailler dans cette zone grise. Ce n’est pas forcément évident pour un juriste. » « Il ne faut pas hésiter à se faire accompagner, à se documenter par soimême et à se faire confiance, complète Nicolas Marty. Écoute et humilité permettent de gagner la confiance des équipes RH et d’asseoir sa légitimité lors de la prise de poste. »
UN FAUTEUIL POUR DEUX, AVANTAGES ET LIMITES
« En cas de double casquette, la difficulté consiste à ne privilégier un département plus qu’un autre, tout en s’assurant que les équipes restent indépendantes, via une organisation claire et bien structurée, recommande Marie-Clotilde Vial qui alerte sur la charge de travail d’un tel poste. Le juridique et les RH sont ces deux piliers fondamentaux de l’entreprise et nécessitent une disponibilité et une implication sans faille. » Néanmoins, réunir direction juridique et DRH présente des avantages pour l’entreprise. « Ces deux fonctions sont plus naturellement dissociées mais leur association peut apporter de la souplesse dans l’organisation », estime Marie- Clotilde Vial. « De plus en plus d’entreprises perçoivent les complémentarités et les synergies dégagées par les deux fonctions, juge Nicolas Marty. Que ce soit par opportunité et/ou pour des raisons d’efficience, elles peuvent faire le choix de rassembler le juridique et les RH sous une même bannière. Ce schéma me semble avoir de l’avenir, plus que le modèle du secrétariat général. Il y a plus de points communs entre le juridique et le RH que la finance et le juridique, qui sont pourtant réunis dans certains secrétariats généraux. Cumuler ces deux casquettes permet de mieux cerner et répondre aux enjeux stratégiques et humains mais aussi de prendre le pouls de la société. » Et Catherine Maguire-Viell de conclure : « Le juridique et les RH ont du sens à être réunis dans les entreprises. Même s’il est rare, ce rapprochement sous la tutelle du directeur juridique traduit un changement de perception du droit. Les directions juridiques sont de plus en plus identifiées comme des fonctions stratégiques. Quoi qu’il en soit, qu’ils soient réunis ou non au sein d’une même direction, les professionnels du droit et des RH doivent travailler étroitement ensemble car ce sont les gardiens de l’éthique dans l’entreprise, les protecteurs de l’entreprise et de ses salariés. »