L’avocat doit-il gérer la réputation de son client ?
La publication récente d’un film de propagande sur le site de l’activiste Muddy Waters interroge sur le rôle que doit tenir l’avocat dans la stratégie de communication de son client. Doit-il y participer ? Si oui, à quel moment doit-il prendre la parole ? Et surtout, comment ?
Le 30 septembre dernier, la publication par l’activiste Muddy Waters d’une vidéo sur Casino a marqué les esprits. Douze minutes durant lesquelles celui qui se présente comme un « cabinet de recherche » explique pourquoi il a toujours eu raison sur la mauvaise santé financière du groupe de Jean-Charles Naouri. Pas autre chose qu’un film de propagande, alors que même des procédures sont en cours devant l’Autorité des marchés financiers. Mais cette méthode, très américaine, avait déjà été utilisée par le fonds pour montrer du doigt d’autres entreprises. Sauf que cette fois-ci, au milieu du film, l’avocate Sophie Vermeille est longuement interrogée évoquant des « choses étranges » – comprenez des pressions – qu’elle aurait eues à subir dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. On rappellera qu’après avoir été l’avocate de short-sellers dans leur campagne contre le groupe, elle représente depuis neuf mois Carson Block, PDG de Muddy Waters. En se présentant comme une victime, son témoignage personnel vient ici renforcer la thèse de son client. Mais est-elle dans son rôle ? N’y a-t-il pas confusion des genres ?
Virginie Jubault, associé de l’agence de communication Avocom, le dit sans détour : « Ce film est anxiogène. L’avocate n’est pas dans son rôle de représentant, elle fait du lobbying, voire participe à la propagande de son client. Elle ne prend pas la parole pour parler de droit, elle cherche à créer une ambiance pesante, à agiter l’opinion collective qui n’a pas toutes les pièces pour juger. » Elle insiste également sur le fait que cette vidéo a été publiée alors que l’enquête AMF n’était pas encore terminée. « N’est-on pas en train d’entraver le travail du régulateur ? » s’interroge-t-elle. Ce film laisse également songeur Mathieu Bonnefond, directeur associé chez Havas Paris : « Du point de vue de la stratégie de communication, une telle vidéo, dépourvue de contradictoire et dans laquelle le dirigeant se présente en justicier du bien contre le mal, manque clairement son objectif. » De son côté, Christophe Reille, associé du cabinet de communication stratégique Footprint reconnaît que « le film reprend une construction story-telling quasiment académique avec l’interview du dirigeant puis de ses adjuvants qui se contentent d’aller dans son sens. De fait, l’avocate n’y joue pas un rôle très valorisant ». Il s’interroge également sur les destinataires finaux de la vidéo. « Si c’est pour redorer le travail des activistes auprès du grand public, il semble paradoxal que Carson Block se présente lui-même comme une sorte de journaliste d’investigation sans donner la parole à un représentant de Casino. » Le mot « vérité » est même utilisé une dizaine de fois en douze minutes. Quasiment de l’endoctrinement… Et de poursuivre : « S’il cherche à convaincre l’AMF, il fait une lourde erreur. Les outils de communication ne sont pas faits pour s’adresser aux autorités de jugement qui doivent demeurer les interlocuteurs des avocats. »
Chacun doit rester à sa place
Plus globalement, quels sont les rapports qu’entretiennent avocats et agences de communication pour la défense des entreprises et de leurs dirigeants ? Une chose est sûre, chacun doit assurément rester à sa place. Bien sûr l’avocat est en droit d’épouser la cause de son client. Le fameux pénaliste Éric Dupond-Moretti en a d’ailleurs fait une marque de fabrique. Mais représenter ne signifie pas devenir acteur du dossier car sinon l’avocat perd son indépendance. Et dans ce cas précis, la réputation de son client vient entacher la sienne. « Il me semble que l’avocat ne doit pas être dans une posture de complice du client, il doit demeurer à une distance mesurée », prévient Virginie Jubault. Faire preuve d’empathie, mais pas de sympathie, sans s’exposer personnellement. La frontière est parfois difficile à trouver.
En matière pénale, les avocats sont les porte-parole médiatiques des entreprises poursuivies durant le procès. On se souvient par exemple des sorties télévisées de Jean Veil sur le dossier Kerviel. Mais ces interventions sont toujours soigneusement préparées en amont, parfois avec l’aide de communicants. Il est d’ailleurs amusant de constater que le pénaliste répond rarement aux questions des journalistes à la sortie des audiences. Il énonce une ou deux phrases, lues ou récitées, et ferme la porte aux commentaires supplémentaires. La mise en scène est strictement respectée, sobre et donc relativement sécurisée. Bien sûr lorsque le client intervient en même temps que l’avocat, la prise de parole peut devenir plus compliquée, brouillon, voire tragicomique si le client est le maire de Levallois-Perret. « Certains plaideurs de l’ancienne génération refusent encore le soutien des communicants, explique Christophe Reille. Au contraire, les jeunes avocats, souvent formés dans des firmes anglo-saxonnes, comprennent l’opportunité d’un travail en commun. »
Une indispensable alliance de compétences
Le cabinet August Debouzy a par exemple choisi de s’associer, en début d’année, avec l’agence Havas Paris pour défendre la réputation des entreprises et de leurs dirigeants, principalement sur les réseaux sociaux. Car Internet est un terrain très propice aux risques réputationnels1. Un Français sur trois considère qu’il a le droit de dire publiquement ce qu’il veut au sujet d’une marque, d’une entreprise ou d’un dirigeant sur les réseaux sociaux et que la liberté d’expression y est sans limite. Or sur Internet, l’opinion publique se forge rapidement et elle peut constituer une forme de pression sur le parquet. Afin de circonscrire le dommage réputationnel dès la diffusion des contenus litigieux, les avocats sont chargés de qualifier juridiquement les faits pour éventuellement ensuite demander réparation. Les communicants, eux, après avoir mené un audit communicationnel, mettent en œuvre les actions pour limiter le risque de réputation.
Un partage de savoir-faire pour sortir une entreprise ou une personne physique d’une crise, qui se révèle particulièrement efficace en amont du terrain judiciaire. Dans certains cas, l’action en justice peut même se révéler contre-productive pour la réputation de l’entreprise, il s’agira alors de privilégier l’alliance des compétences sur des droits de réponse ou sur une forme de lobbying auprès des médias. Stratégie durant laquelle le communicant est en première ligne aux côtés du porte-parole de l’entreprise. L’avocat devant, lui, demeurer en retrait des regards. « La judiciarisation d’un dossier fait nécessairement monter le ton d’un cran, c’est pourquoi il est toujours important d’évaluer l’opportunité et l’impact d’une action en justice en matière de communication », reconnaît Mathieu Bonnefond. Mais à partir du moment où la voie judiciaire est ouverte, l’affichage se renverse : le communicant se cantonne officiellement à un rôle d’attaché de presse classique et l’avocat prend la main sur la communication stratégique. « Au moment de l’instruction, lui seul a accès au dossier et il doit donc défendre son client, dans le respect du secret de l’instruction, et ainsi rétablir l’égalité des armes avec le parquet qui est le seul à pouvoir s’exprimer officiellement sur les faits », explique Christophe Reille. Une savante alliance de compétences, où chacun trouve aisément sa place pour qui veut bien reconnaître le savoir-faire des autres.
Notes :
(1) Sondage Ifop pour Havas Paris et August Debouzy.