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Enquête sur le mystérieux verein qui séduit les plus grands cabinets mondiaux

Par Olivia Dufour
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affairs n°61 - Juillet/Août 2019

Quelques cabinets internationaux sont organisés pour tout ou partie autour d’un verein, une association que l’on trouve en droit suisse et en droit allemand. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Enquête.

C’est la forme juridique fétiche des plus grandes firmes d’avocats au monde. Baker McKenzie a été la première à l’utiliser en 2004, suivi par Dentons, DLA Piper, Hogan & Lovells, King & Wood Mallesons, Norton Rose Fulbright, et Squire Patton Boggs. Pourtant le verein, fidèle sans doute à la légendaire discrétion suisse, fait peu parler de lui. Et ceux qui y recourent n’ont pas toujours envie de s’entendre sur le sujet car on touche au cœur de leur organisation.

Le sur-mesure suisse

En réalité, il n’y a pas vraiment lieu de faire tant de mystère. Le verein (prononcer « féraïne ») est une association de droit suisse, également connue en Allemagne. Qui dit suisse songe immédiatement avantages fiscaux. Un fantasme que Christophe Thévenet, associé de Librato Avocats s’empresse de déconstruire. « Un verein ne peut réaliser d’opérations commerciales, son objet est exclusivement civil et il est par ailleurs totalement transparent. Il n’y a donc aucun enjeu fiscal dans le choix d’une telle structure. » En réalité, ce qui intéresse dans le verein est de deux ordres. D’abord c’est une structure suisse, donc située en terrain neutre. Aussi et surtout c’est une forme d’association extrêmement souple. « En France, une association loi 1901 doit contenir dans ses statuts un certain nombre de dispositions obligatoires, par exemple un montant de cotisation annuelle. Par ailleurs, elle intéresse le fisc français. Avec un verein, les associés peuvent construire une association sur-mesure correspondant exactement au besoin qui est le leur », indique Christophe Thévenet. Il n’y a pas que les avocats qui recourent au verein. Deux géants mondiaux de l’audit ont fonctionné en verein, Deloitte jusqu’en 2003 et KPMG jusqu’en 2010. Ce n’est guère surprenant dans la mesure où cette association est particulièrement bien adaptée à l’organisation d’un réseau de taille mondiale constitué entre entités qui, pour une raison ou une autre, entendent conserver leur indépendance juridique et financière. À l’heure actuelle du côté de la profession comptable, il semble que seul le réseau Crowe (anciennement Crowe Horwath) fonctionne encore sur ce modèle. En revanche, celui-ci trouve de plus en plus d’adeptes chez les avocats internationaux.

Méthode douce

Deux principales utilités semblent se dégager. La première permet à un cabinet de constituer ou étendre un réseau international. La seconde vise le cas où deux cabinets décident de se rapprocher et, plutôt que de fusionner, optent pour une méthode douce. Dans les deux hypothèses, la problématique à laquelle répond le verein est la même : comment rapprocher des entités qui ont chacune une histoire et une culture singulière, rapidement et sans pour autant risquer l’échec par excès de précipitation et de brutalité ? Précisément en se regroupant au sein de cette fameuse association dont l’objet pourra consister, par exemple, à opérer un partage de résultat ou des compensations entre les différentes entités d’un réseau mondial. « C’est aux membres du verein de s’entendre pour décider ce qu’ils vont mettre en commun. Cela va du simple partage de best practices, à la répartition des charges et des bénéfices entre les différentes firmes, explique Christophe Thévenet. On peut ainsi décider au sein d’un verein comment répartir les résultats entre les différentes structures membres de l’association ou harmoniser la rémunération des associés des différentes structures dans le cadre d’une entente au niveau mondial. On sait gérer ce type de complexité au niveau européen, c’est au niveau monde que c’est difficile, d’où l’intérêt d’avoir un lieu de prise de décision. » La situation pourrait aussi être réglée par un contrat entre les parties prenantes, mais celui-ci serait souvent plus compliqué à mettre en œuvre que l’association suisse.

Une telle structure est souvent utilisée pour développer un réseau dans une nouvelle zone géographique. C’est le cas chez DLA Piper. « Notre cabinet a créé un verein, DLA Piper Africa, composée de 18 cabinets africains. Le verein est une sorte de statut intermédiaire entre le best friend relationship et la pleine intégration, c’est-à-dire financière », confie Alexander Brabant, co-country managing partner du bureau français. Les cabinets concernés conservent leur nom, souvent pour des raisons réglementaires locales, mais y ajoutent la mention DLA Piper dans le cadre d’un co-branding. « Ce cadre permet la mise en place d’un programme qui tend vers l’intégration par exemple détachements de collaborateurs, formations, partage de savoir-faire et qui favorise le développement en commun de clients. Au-delà des échanges de dossiers, c’est la création d’équipes transnationales pour servir des dossiers d’envergure internationale qui est recherchée », précise Alexander Brabant. Les cabinets qui composent le verein demeurent des structures indépendantes tant juridiquement que financièrement. Autrement dit, il n’y a ni partage de bénéfices, ni partage de risques comme dans une partnership classique. En revanche, leur fonctionnement avec le reste des cabinets qui composent le réseau international de DLA Piper est progressivement de plus en plus intégré.

Sous une même bannière

Le cas de Norton Rose Fulbright est différent. Pour ce cabinet en effet, le verein a permis de réaliser, sur une très courte période, de très importants rapprochements avec des cabinets situés dans le monde entier. Norton Rose est organisé en verein depuis 2010, année à partir de laquelle le cabinet fondé en 1794 à Londres s’est lancé dans une série d’opérations de rapprochement. En 2010, il se rapproche de Deacons Australia, l’année suivante, d’Ogilvy Renault présent au Canada et de Deneys Reitz en Afrique du Sud, en 2012 de Macleod Dixon et, enfin en 2013, du cabinet américain Fulbright & Jaworski. À l’issue de ces opérations, Norton Rose Fulbright est désormais présent sur tous les continents et compte environ 4 000 avocats. Mais impossible d’intégrer d’un seul coup des cabinets indépendants avec des parcours et des cultures différents. D’où l’idée d’inventer une gouvernance originale qui repose sur la constitution de Norton Rose Fulbright Verein, la structure qui chapeaute l’ensemble de la firme mondiale. Les cinq entités en sont membres : Norton Rose Fulbright LLP (Europe, Asie, Moyen-Orient), Norton Rose Fulbright Canada LLP, Norton Rose Fulbright Africa Inc, Norton Rose Fulbright Australia et Norton Rose Fulbright US LLP. « Le cabinet est totalement intégré. Nous partageons absolument tout : le nom, la stratégie, le management, la formation, les services, les standards de qualité, les actions caritatives et même les systèmes d’information, à l’exception des profits », résume George Paterson, managing partner du cabinet parisien. Pourquoi avoir choisi cette structure ? Simple : plutôt que de commencer par fusionner et d’imposer une culture commune par la force, le passage par cette forme associative permet de vivre ensemble et de façonner au jour le jour un destin commun de sorte qu’un jour l’intégration n’apparaisse plus que comme une simple formalité. D’ici là, le cabinet bénéficie de tous les avantages d’une structure globale. Il peut communiquer en ce sens, il est implanté dans le monde entier, toutes les entités qui le constituent agissent sous la même marque. « Notre démarche ressemble un peu à celle de l’Union européenne, on se rassemble sous une même bannière et, petit à petit, on harmonise nos pratiques et on construit un espace commun », analyse George Paterson. C’est aussi une manière de prendre le temps de gérer des problématiques de fusion particulièrement complexes dans la profession d’avocat, en particulier quand il s’agit de rapprocher anglais et américains. Comme chez DLA Piper, chaque associé contribue aux dépenses collectives. Et le verein est loin d’être une structure dormante qui ne servirait qu’une fois par an. Au contraire, les organes de gouvernance se réunissent une fois par mois et sont en contact téléphonique en permanence. « La structure a les défauts de ses qualités, analyse Maxence Bloch, aujourd’hui associé chez Goodwin Law mais qui a connu le verein lors du rapprochement entre SJ Berwin, chez qui il exerçait avec King & Wood Mallesons. Il ne crée par une complète communauté de destin. L’incitation à envoyer des dossiers à d’autres bureaux est donc limitée, tout comme celle d’aider un bureau qui va mal. Le challenge consiste à trouver les incitations pour le faire vivre. »

Une structure à recommander ? « Ce n’est qu’un outil pour parvenir au but de construire un cabinet mondial intégré, répond George Paterson. Mais en tout cas pour ce qui concerne notre cabinet, cela répond parfaitement à nos besoins. Nous n’aurions pas pu intégrer tous les cabinets dont nous nous sommes rapprochés entre 2010 et 2017, il fallait une structure pour gérer la transition. ».

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