Création de cabinets : les clés d’un développement pérenne
Grâce à une enquête minutieuse, la LJA a recensé 294 créations de cabinets d’avocats entre les mois de janvier 2019 et décembre 2023. Comment préparer son lancement en amont, le réussir, puis survivre en dépitde la conjoncture ? Des experts du secteur apportent leur éclairage.
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onder un cabinet d’avocats impose d’anticiper son installation, en menant une réflexion stratégique sur son futur positionnement commercial. Ambitionne-t-on de créer une boutique de niche dédiée à une matière, où chaque associé possède la même spécialité malgré quelques nuances, ou un cabinet d’affaires full services et multi secteurs ? Doit-on préférer établir une structure avec des associés ayant des pratiques différentes, mais une approche sectorielle commune ?
Pour répondre à cette interrogation, les avocats doivent prendre le temps de faire leur introspection. D’abord en se demandant quelles sont les prestations pouvant être proposées au regard de leurs compétences et expérience. Il s’agit également de définir leur sectorisation, c’est-à-dire leur typologie de clients (sociétés cotées, PME-TPE ou ETI ?), ainsi que le type de marché qu’ils adressent. Par exemple, si c’est celui de l’immobilier, a-t-on envie d’accompagner ses clients dans le domaine de l’hôtellerie ou plutôt de l’asset management ?
Selon Marine Cahn, fondatrice de White Peacock, cabinet de conseil en stratégie dédié aux avocats et directrice générale de la plateforme Swim Legal consacrée à la sous-traitance et la co-traitance entre confrères, l’analyse de positionnement peut être guidée par trois catégories de professionnels, aux expertises complémentaires sur ces questions déterminantes. Les cabinets de conseil apporteront leur vision technique et stratégique aux avocats quant à leur positionnement, leur donnant une feuille de route opérationnelle pour réussir l’installation, tandis que les coachs les aideront à affiner leur projet personnel, en poussant leur réflexion sur leurs véritables envies, forces et faiblesses, les décisions à prendre et outils à mettre en place, dans le cadre d’un programme adapté à chacun, avec des objectifs de développement de clientèle par exemple. « Le but du coaching n’est pas d’arriver à leur faire construire le cabinet le plus original de toute la place, mais le plus solide, celui dans lequel les associés construisent eux-mêmes leur stratégie, en mettant tous les sujets potentiels de conflits sur la table, de manière transparente, souligne Noréa Thomas, fondatrice d’Hermine, cabinet de coaching pour avocats. Une fois que la stratégie globale est définie et que tout le monde y adhère, il faut faire en sorte que le projet devienne concret, en leur donnant confiance sur sa déclinaison via des outils numériques, de développement de clientèle, financiers, comptables ou encore managériaux ». Les agences de communication aideront ensuite les avocats à définir une stratégie marketing et de communication, pour accroître leur visibilité sur le marché, au moment du lancement du cabinet, puis au cours de son existence. Car, selon Marine Cahn, un positionnement réussi s’articule autour de trois piliers : la spécialisation, la sectorisation et la visibilité.
Réussir son lancement
À l’heure du business plan, des projections de chiffre d’affaires et du calcul de seuil de rentabilité, un autre capital social s’avère indispensable : le réseau. Maxime Maeght, associé fondateur du cabinet de conseil Henson, spécialiste des questions de networking, rappelle l’importance d’établir, en amont de toute création de cabinets, une stratégie de business développement de la clientèle, même pour d’anciens associés seniors. Et, pour cela, les enjeux du networking, qui consiste à créer, entretenir et rendre utile un réseau de connaissances, de manière à exister dans son écosystème composé de personnes susceptibles de recommander ou de devenir des clients de la nouvelle structure, ne sont pas à négliger.
Pour ne pas rater le premier temps fort du cabinet, c’est-à-dire son lancement, les futurs fondateurs doivent cartographier leurs parties prenantes au moins six mois avant l’installation, en sélectionnant les plus importantes pour leur activité dans des termes objectifs, qui diffèrent selon leurs spécialité, séniorité et typologie de clientèle – pour les personnes physiques, le bouche-à-oreille sera plus important que pour les personnes morales. Il s’agit toujours de personnes que l’avocat connaît, même très peu – un seul échange dans le passé suffit. Ils doivent définir s’il s’agit de potentiels clients, de partenaires ou prescripteurs, c’est-à-dire de personnes susceptibles de les recommander ou au moins de parler d’eux, comme des professionnels du droit (avocats, notaires, huissiers, etc.) ou autres (experts-comptables, banquiers d’affaires, fonds d’investissement, etc.). Ensuite, les avocats doivent reprendre contact avec eux pour les informer de leur future indépendance.
Vient ensuite le temps du lancement du cabinet, avec une mise à jour de son profil LinkedIn – pas avant le jour de la parution d’un article dans la LJA bien sûr (!!) – et la publication d’un post sur les réseaux sociaux. La liste de contacts étoffée permettra aux avocats de les inviter à un potentiel évènement lié à la création de la structure. Maxime Maeght livre ses principaux conseils : « Il est fort probable que des personnes que vous connaissez peu ou prou vous demandent de quelle manière elles peuvent vous aider. Ne laissez surtout pas ces propositions s’envoler. D’abord, en délivrant un message clair de ce qui vous intéresse, de ce qu’est votre positionnement. Mâchez-leur ensuite le travail en proposant de leur envoyer un e-mail qu’elles n’ont qu’à transmettre aux personnes susceptibles d’être intéressées ».
L’essentiel est de trouver des occasions de rester en contact avec son réseau pour entretenir la relation, ou donner spontanément des nouvelles aux personnes qui ont été des soutiens lors du lancement de la structure. « Rendez service et on vous rendra service : cela vous permettra d’exister dans l’esprit de vos connaissances, poursuit le fondateur d’Henson. Mais gardez en tête le fait que les résultats ne sont jamais immédiats. Le networking va vous apporter un moyen de faire du business, à partir du moment où vous avez une démarche structurée et méthodique sur la durée ».
Les avocats doivent, plus que jamais, participer à des évènements pour parler de leurs pratiques et rencontrer des clients potentiels. Mais la meilleure façon de faire du business dans un monde devenu ultra-concurrentiel, c’est finalement de ne pas en faire, selon Marine Cahn. « Cela peut paraître un peu démagogique, mais je suis convaincue qu’il faut se positionner sur un secteur pour lequel on a une appétence en dehors de sa vie professionnelle, souligne-t-elle. Par exemple, si on est marathonien de haut niveau, je recommande de participer à des évènements sportifs, plutôt qu’à ceux des réseaux professionnels où tous les grands cabinets de la place seront présents et où l’on aura du mal à se démarquer. Les clients ont besoin de sentir que l’on comprend totalement les tenants et aboutissants de leur marché ».
L’après : anticiper son évolution
C’est bien sur la durée que le jeune cabinet trouvera sa place sur le marché. Des années essentielles, d’abord pour stabiliser les effectifs. Selon la coach Noréa Thomas, les difficultés d’entente entre associés interviennent bien souvent dans les cinq premières années. Et les départs de fondateurs peuvent rapidement intervenir laissant place à un séisme interne, parfois peu perceptible en externe si le cabinet garde sa dénomination et quelques associés phares.
C’est durant ses débuts que l’élargissement des compétences est envisagé, pour intégrer des spécialités complémentaires à celles des fondateurs, de manière à proposer une offre de services plus complète. C’est d’ailleurs l’option choisie par certains cabinets, comme Oyat ou encore Ollyns, respectivement fondés en 2022 et 2020. Une période d’intégration qui peut s’avérer délicate, modifiant une dynamique fluide entre les fondateurs, avec l’ajout d’un tiers aux prises de décisions stratégiques du cabinet. Communication et transparence entre associés sont alors les clés pour dépasser les éventuelles frustrations.
Mais tous les entrepreneurs n’ont pas d’ambition d’agrandissement. Le modèle de boutique reste attractif pour les clients et le marché parisien regorge de structures spécialisées de renom. À l’instar des cabinets Emeriane Avocats, créé en 2021 par deux anciens de Cleary, Juliane Dessard Jacques et Eole Rapone, ou encore de Tactics en 2022, cabinet mené par l’ex-associée de Jeantet, Loraine Donnedieu de Vabres, et son équipe. « Le côté “petit cabinet de proximité” plaît beaucoup à la jeune génération d’associés, qui n’a pas envie de perdre son identité en grossissant trop rapidement », explique Noréa Thomas.
S’adapter à la conjoncture
Fondés depuis cinq ans et moins, les nouveaux cabinets analysés par la rédaction ont eu à affronter la pandémie, les guerres en Ukraine et à Gaza, la hausse des taux, le gel des financements bancaires… Il fallait avoir les reins solides pour survivre à une conjoncture pour le moins défavorable. Pour apprendre à s’adapter et à éventuellement se renouveler, Marine Cahn perçoit différents leviers de développement. D’abord le fait de repenser son offre juridique, pour la transformer en prestations combinées, en s’adossant à une compétence autre que juridique, comme du conseil stratégique ou financier, pour offrir aux clients une offre plus globale. Sous une autre forme, c’est ce que la loi Macron a souhaité offrir avec la création de la société pluri-professionnelle d’exercice (SPE) permettant l’exercice de plusieurs professions libérales réglementées au sein d’une même structure : avocats-notaires (Thésée avocats-notaires et Lacourte & Associés en 2019), avocats-conseils en propriété industrielle (TAoMa Partners en 2018, Ipsilon Dispute & Resolution un an plus tard) ou encore avocats-cabinets de conseil (comme les cabinets Atipic Avocats, dédié au droit de l’immatériel, et Chassany Watrelot Associés, spécialisé en droit social, qui ont respectivement intégré Implid en 2019 et 2021).
La fondatrice de White Peacock et directrice générale de Swim Legal évoque aussi la possibilité de développer des synergies avec des cabinets d’avocats situés à l’étranger en devenant membre d’un réseau ou en concluant des partenariats du type best friends. « Les structures étrangères peuvent avoir besoin d’avoir un appui de confiance sur des opérations comportant des problématiques juridiques de droit français, explique-t-elle. De la même manière, les structures françaises nouvellement créées, les boutiques de niche dédiées à une matière spécifique, ainsi que les cabinets d’affaires ayant une approche purement sectorielle peuvent également souhaiter proposer à leurs clients l’expertise technique d’un partenaire reconnu et de grande confiance, capable de gérer une partie du dossier de manière coordonnée ». Elle rappelle d’ailleurs à ce titre que les confrères sont d’excellents prescripteurs et que l’une des stratégies de développement des avocats se trouve justement dans la sous-traitance et la co-traitance.
Mais comment savoir que le temps est venu de se faire racheter ? « Les rapprochements de cabinets n’interviennent habituellement pas dans les premières années de vie de ces nouvelles structures, parce que l’esprit entrepreneurial est prédominant pour ces avocats fraîchement installés, souligne Marine Cahn. D’abord, les cabinets se confrontent au marché, puis lorsque leur positionnement s’est consolidé entre les mains des fondateurs, cela engendre naturellement des recrutements de nouvelles équipes. C’est alors un signal fort envoyé aux autres cabinets de la place qui peuvent envisager des rapprochements ».