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Classements d’avocats : la quadrature du cercle ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Magazine n°58 - Janvier / Février 2019
Par Jeanne Disset

Les classements d’avocats foisonnent. Outils complexes à gérer, avec des critères variés, des résultats variables et des impacts diversifiés, ils sont perçus comme incertains quant à leur usage par les clients des cabinets. Ils se sont pourtant imposés parmi les outils clés de la communication de ces derniers. Point sur les très nombreuses réalités et tout autant de contraintes que représentent les « classements ».

Les premiers « classements » à apparaître sont aussi ceux qui « classent » le moins et qui mesurent plutôt l’activité des cabinets. L’univers fusions acquisitions utilise de nombreuses bases de données économiques qu’elles soient internationales comme Thomson Reuters, MergerMarket, Bloomberg ou celles du Bureau Van Dijk (Diane, Zéphyr…), mais aussi locales, souvent en lien avec un média, en France (Capital Finance, CFNews, Fusions Acquisitions Magazine, Private Equity Magazine…) ou au niveau européen (Globe Legal Chronicle avec la base PBV Monitor). Ces bases mesurent les deals en croisant les données réputées objectives que sont le type d’opération (acquisitions de sociétés, de parts sociales, LBO, boursier…), le prix, les noms des intervenants, ainsi que des données chiffrées sur la cible (CA, nombre d’employés, valorisation). Des « rankings » sont établis, qui ne sont pas des « classements » au sens d’évaluation qualitative définissant les « meilleurs ». Il s’agit finalement plus d’une mesure des activités des intervenants. Ceci s’illustre par des listes trimestrielles de cabinets faisant le plus de deals et cumulant la valeur d’opérations la plus élevée. Ce « qui fait quoi », très utile pour les acteurs de ce marché, mène cependant à de grandes disparités des résultats. Ici, une base attribue toute la valeur d’un « deal » à tous les acteurs, là au contraire elle la découpe selon le pourcentage acheté ou vendu par le client. Ou encore un cabinet non installé dans le pays peut être considéré comme acteur clé de ce marché parce qu’un élément du deal s’y trouve. Progressivement, la réception par le marché glisse de la prise en compte d’une donnée objective compilée à une perception subjective du « classement ». Et ce d'autant plus que les dix ou quinze premiers sont systématiquement valorisés et considérés comme « meilleurs ». Mais un cabinet est-il le meilleur quand il traite plus d’opérations que son confrère ?

Évaluer le fonctionnement des cabinets

Les classifications à s’être ensuite développées sont les études portant sur les structures et concernant quasi exclusivement le barreau d’affaires. Elles examinent le chiffre d’affaires, les taux horaires, le nombre d’avocats, des données managériales… Bref, tout ce qui permet d’analyser un cabinet comme une structure organisée et managée, en un mot comme une entreprise.

Quatre ans après les Américains puis les éditeurs anglais (The Lawyer, Legalweek), le premier classement français apparu il y a 26 ans relève de cette catégorie : c’est la radiographie de Caura Barszcz. La LJA a d’ailleurs porté les premiers résultats, ce qui a fait beaucoup de bruit à l’époque. Auteur et éditeur ne souhaitaient pas établir de « classements », car les tableaux portent sur des données objectives : on est donc le premier ou le 100e en fonction de son CA, de sa rentabilité ou du nombre d’avocats. Il s'agit plutôt d'un outil d’analyse interne au marché des avocats, les données permettent un « benchmark ». Mais pour que ce type d’enquête soit un reflet réel du marché et crédible, il est nécessaire que les cabinets acceptent de déclarer leurs chiffres et de participer sincèrement et pleinement à l’enquête.

L’évaluation qualitative de l’activité

Enfin sont apparues des études portant sur l’activité du cabinet par pratiques et la qualité de ses interventions. Elles sont toute à la fois plus qualitatives, plus intéressantes pour le marché, mais aussi plus incertaines. Ces classements d’avocats pour définir les meilleurs sont d’abord anglo-saxons : Chambers & Partners, The Legal 500, Best Lawyers, IFLR… Ils se sont multipliés depuis 30 ans, notamment par secteur (GAR pour l’arbitrage, Managing IP pour la propriété intellectuelle, GIR pour la compliance…). Le marché français a été intégré dans ces études assez rapidement. Chambers & Partners traite de la France depuis sa création en 1990. Le Legal 500 existe depuis 32 ans et couvre aujourd’hui 150 juridictions, avec une édition dédiée à la France. Le guide européen (avec un chapitre français) a déjà 27 ans. Le guide Paris, en français, classe plus de 300 cabinets sur 45 domaines d’interventions.

Puis des éditeurs français s’y sont intéressés, adossant ces enquêtes à un média : Décideurs, Option Droit & Affaires ou le palmarès du Monde du droit. Il fallait un marché du droit relativement mûr afin d’analyser les « meilleurs ». Martindale a longtemps été un cas particulier : c’était un annuaire, mais des meilleurs ! Les cabinets ne pouvaient pas décider d'y entrer, il fallait des recommandations vérifiées de la part de cabinets de références anglo-saxons.

Variété des critères et des méthodologies

Les modalités d’enquête ne sont pourtant pas unifiées. Chacun a sa méthodologie (enquêteur par pays ou par domaine, un document, submission, plus ou moins libre, avec ou sans références clients…) ; ses critères (nombres de dossiers, taille de l’équipe, modalités d’interventions – prix, créativité, réactivité, innovation –, complexité des cas – faire jurisprudence ou créer une pratique…) ; ainsi que les personnes interrogées et qui noteront (avocats, clients, partenaires). Lors des descriptifs, il est très important d’expliciter non pas le droit, mais ce qui fait l’intérêt (économique ou nouveauté juridique) du cas et la valeur ajoutée des avocats. Sans être n° 1 ici et dernier là, le cabinet n’est pas toujours classé de la même façon.

Si les plus importants classements font des sessions de formation (où ils insistent sur les références clients et sur la mise en avant de points forts) lors de grandes conférences internationales, les avocats témoignent qu’on n’y apprend pas grand-chose… Et les classements ne veulent plus être statiques, ils peuvent être totalement bouleversés d’une année sur l’autre. Plus l’appréciation de la complexité des dossiers et l’avis des clients clés interviennent, plus le classement est qualitatif. Il n’est donc pas utile de répondre à toutes les enquêtes tout le temps, il faut se focaliser sur ceux qui seront utiles à la stratégie de développement du cabinet.

De l’utilité des classements

Les avocats ne doivent donc pas miser sur tous les classements, mais bien réfléchir aux informations nécessaires aux clients et aux prospects. The Legal 500 a mené en 2013 une étude sur le lectorat de ses classements, s’appuyant sur 2 536 juristes internes. À la question de la consultation des classements avant de choisir des avocats, 69 % d'entre eux disent s'y pencher. 66 % disent que c’est une aide au choix. 68 % déclarent l’utiliser lors de la première phase de recherche, 32 % pour une validation. Donc, les clients et les prescripteurs les regardent, même s’ils sont tout à fait conscients de leurs limites et des biais subjectifs possibles. Parfois même, certaines associations de juristes leur apportent une crédibilité en étant partenaires, pour justement fournir des informations plus cohérentes à leurs membres. Les classements servent surtout à conforter le bouche à oreille. Lorsque les directeurs juridiques ont un besoin dans un domaine où ils ne connaissent pas bien les cabinets en présence, ils consultent leurs pairs, leurs autres avocats pour obtenir un ou deux noms. Se référer aux classements leur apporte une information supplémentaire. Ils sont donc utiles pour un premier tri, pour mieux faire passer une décision sur un cabinet local dans une multinationale, ou pour justifier, voire crédibiliser, leur choix auprès d’autres directions.

Quel avenir ?

Les notations sur les plateformes de mises en relations avec des clients n’ont pour le moment pas concerné le barreau d’affaires. De même, les plateformes dites prédictives, qui compilent des décisions judiciaires, peuvent commencer à établir des statistiques d’activités pour les cabinets et le classement gagnant-perdant est à portée de main. De quoi intensifier les classifications les plus variées. Pourquoi ? Parce que le marché du droit est touché par une demande d’informations toujours plus variées et transparentes. Pour choisir son avocat, chacun a besoin de savoir ce qu’il fait, mais aussi la valeur qu’il apporte. Et chacun a ses critères de choix !

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