Connexion

Bordeaux : the place to be

Par Aurélia Granel

La ville de Bordeaux n’en finit pas de séduire les cabinets d’avocats parisiens, qui se bousculent désormais pour y ouvrir des bureaux secondaires. Le choix d’une implantation en Nouvelle-Aquitaine repose sur la reconnaissance d’un tissu économique important de PME, ETI et certains grands comptes et le développement rapide d’un écosystème autour des entreprises innovantes. Mais les cabinets d’affaires parisiens arrivent-ils à y trouver leur place ?

Fin janvier, le JDD a dévoilé son traditionnel classement des villes et villages de France où il fait bon vivre. La cité girondine arrive en 14e position sur 34 827 à l’échelle nationale, alors qu’elle occupait la 7e place l’an dernier. Un déclassement qui est en décalage avec le renforcement des implantations des cabinets à Bordeaux sur la même période. Car tous veulent être un acteur de référence pour accompagner les entreprises françaises et internationales dans leurs opérations en lien avec la région Sud- Ouest. Plébiscitée pour son effervescence économique, ses pôles de compétitivité, ses filières d’excellence (aéronautique, numérique, santé, tertiaire et finances), son urbanisme et, bien sûr, sa proximité avec la presqu’île du Cap Ferret, Bordeaux s’impose comme une métropole dynamique pour les affaires et attractive pour son art de vivre. Jusqu’au début des années 2000, l’offre de droit des affaires à Bordeaux était relativement homogène, avec une multitude de structures individuelles, ou de taille moyenne.

« Même si Bordeaux a toujours été une place forte du droit des affaires, il y avait peu de cabinets de plus de 10 avocats, se remémore Benoît Lafourcade, cofondateur du cabinet Delcade, dont le bureau bordelais a été ouvert en 2014, concomitamment à celui de Paris. La plupart des cabinets d’affaires implantés aujourd’hui dans la cité girondine sont, soit issus d’anciens cabinets de conseils juridiques ou des réseaux nationaux, soit des boutiques généralistes ou dédiées au contentieux, ayant élargi leurs domaines d’expertise. Plus globalement, la majorité des structures bordelaises existantes sont encore généralistes ». La vague d’ouverture des bureaux secondaires a été lancée par les cabinets publicistes : AdDen Avocats en 2012, Adamas (rebaptisé depuis Adaltys) en 2015, Coudray en 2019 et Seban & Associés début 2020. Du côté des cabinets d’affaires, quelques piliers seulement étaient présents à l’époque. Implantée dans la ville depuis plus de 30 ans, Racine Bordeaux demeure l’une des plus grandes structures de la cité, née de l’association des bordelais Thierry Buraud, Emmanuelle Ménard et du parisien Bruno Cavalié. Avec près de 30 avocats dont 8 associés, le bureau bordelais accompagne ses clients tant en conseil qu’en contentieux dans les domaines de l’assurance, de l’immobilier et de la construction, de la santé, des risques industriels, de l’industrie et du commerce, de l’urbanisme et des marchés publics. DS Avocats a quant à lui ouvert ses portes en 2010 et intervient à parts égales en droit social, en droit des sociétés et en stratégies urbaines. Associé du bureau bordelais, Frédéric Godard-Auguste note un dynamisme de la ville depuis 4/5 ans, qui a été renforcé avec la ligne à grande vitesse et le trajet Bordeaux Paris effectué en deux heures depuis 2017, ayant encouragé de nombreuses entreprises à venir y installer leurs sièges. La proximité de Paris, couplée avec le soutien de la région aux start-up et à la tech, favorisant le développement économique, ainsi que le célèbre secteur vitivinicole bordelais qui rayonne à l’international et attire les investisseurs étrangers, n’ont pas tardé à convaincre les retardataires, les cabinets d’affaires, conscients des débouchés.

Le cabinet nantais Cornet Vincent Ségurel a ainsi posé ses valises à Bordeaux en 2016, pour accompagner un certain nombre de clients qui eux-mêmes s’implantaient dans le sud-ouest, mais aussi pour adjoindre la filière vitivinicole à l’activité agro-alimentaire très présente en Bretagne/Pays de Loire. L’équipe de CVS à Bordeaux, qui intervient en corporate, droit fiscal et social, compte désormais 8 avocats et juristes, dont 3 associés et un directeur. En 2018, c’est Redlink qui a ouvert un nouveau bureau à Bordeaux, avec pour responsable régional Maeva Priet, intervenant en droit de la distribution et contentieux, pour développer le conseil aux PME et aux grandes entreprises, avant d’annoncer son rapprochement, moins d’un an plus tard, avec le cabinet ABR & Associés en 2019, porté par 3 associés. Le bureau bordelais compte désormais 10 avocats, dont 3 associés.

UN FLUX MIGRATOIRE ACCENTUÉ PAR LA PANDÉMIE

Si le renouveau de Bordeaux a étoffé l’offre existante, la pandémie n’a fait qu’accentuer la tendance. Il n’y a jamais eu autant de demandes d’ouverture de bureaux secondaires de cabinets parisiens, notamment d’affaires. En janvier 2021, le cabinet d’avocats Chatain & Associés a ouvert son premier bureau en région à Bordeaux, porté par Thomas de Boysson, associé spécialisé en contentieux de la responsabilité civile, des assurances et de la construction. Un an plus tard, c’est le cabinet parisien Stream - Avocats & Solicitors, déjà implanté au Havre et à Marseille, qui a annoncé son installation en plein coeur de Bordeaux. En février, c’est le cabinet Valther qui a posé ses valises à Bordeaux, avec un bureau porté par l’associé Idris Hebbat, spécialisé en corporate/M&A, qui avait rejoint la structure à Paris en 2019. Enfin, début mars, c’est Squair qui a fait son entrée sur le marché, en y ouvrant un bureau, sous la responsabilité de Julia Peyre, spécialisée en droit du travail et de la sécurité sociale.

« L’évolution du marché bordelais correspond certainement à une évolution plus fondamentale de la profession d’avocats, avec la généralisation sur le long terme du télétravail et l’envie d’exercer dans un environnement moins urbain, ou avec la possibilité de facilement s’échapper des villes. Les avocats sont de plus en plus en quête d’équilibre et de qualité de vie, tendance qui contribue à renforcer l’attraction des métropoles régionales », explique Benoît Lafourcade. Le marché local s’en trouve-t-il bouleversé ? « Exceptées certaines structures installées de longue date, on ne rencontre pas fréquemment d’antennes de cabinets parisiens dans les dossiers traités. Le paysage judiciaire n’a, selon moi, pas été bouleversé par l’implantation à Bordeaux de certains cabinets parisiens, tempère Emmanuelle Ménard. Je m’interroge d’ailleurs sur le fait de savoir si pour quelques cabinets parisiens, il ne s’agit pas davantage d’une démarche de communication que d’une réelle implantation ». Benoît Lafourcade le confirme : « Depuis 2020, apparaît un mouvement de densification de droit des affaires et d’avocats détachés de cabinets parisiens, qui exercent depuis la région tout en restant rattachés à leurs cabinets - tant pour des collaborateurs, que pour des associés. La question est de savoir comment ces avocats auront envie d’exercer sur le long terme où la relation humaine quotidienne reste pour beaucoup primordiale. Potentiellement, cela pourrait encore renforcer les cabinets présents localement, surtout les structures dites d’entrepreneurs, susceptibles d’offrir un environnement souple et agile aux avocats ».1

DEVENIR UN ACTEUR DE RÉFÉRENCE EN RÉGION

L’associé du cabinet Delcade poursuit : « Même si de manière générale, il y a encore une tendance, pour des grandes opérations à confier leurs dossiers à des cabinets parisiens, notamment dans le domaine vitivinicole ou certaines levées de fonds sont substantielles, les clients commencent à réaliser que les cabinets présents en région ont des capacités de traitement similaires à celles de leurs homologues et peuvent offrir, aux entrepreneurs et aux investisseurs, une capacité de traiter des sujets de proximité ou nationaux, des expertises pointues, un accès à un écosystème de partenaires en France et à l’étranger, avec une démarche axée sur la proximité et la réactivité ». Rappelons que 2021 a été une année record pour les levées de fonds en Nouvelle-Aquitaine : French Tech Bordeaux a répertorié plus de 280 M€ levés, soit près du triple de 2020. « Plusieurs de ces opérations ont été traitées en région, sans que ces entrepreneurs et investisseurs ne fassent appel à des cabinets parisiens », se félicite Benoît Lafourcade, rappelant que de nombreux dossiers de droit des affaires étaient encore récemment envoyés à Paris du fait de la faible présence d’acteurs susceptibles d’accompagner en région sur un certain niveau de dossiers, notamment en M&A, private equity ou à l’international. Aujourd’hui, Bordeaux se veut une porte d’accès à l’international. Ainsi, le cabinet bordelais de DS Avocats mène quelques dossiers à l’étranger, en accompagnement d’une clientèle asiatique pour son installation et son développement en France. Tout comme le cabinet Cornet Vincent Ségurel qui, lui aussi, assiste des investisseurs étrangers américains, néerlandais, belges, chinois qui achètent des propriétés viticoles à Bordeaux, tout en suivant ses clients à l’international où, cette fois-ci, ce sont des Bordelais qui investissent. Les opportunités de développement sur le territoire sont donc nombreuses pour un cabinet full services de droit des affaires qui jouerait vraiment le jeu de l’implantation locale.

« Sur ces 20 dernières années, les cabinets provinciaux se sont structurés de façon très importante et ont développé des compétences pointues dans des domaines du droit qui étaient auparavant plus dévolus aux cabinets parisiens, du moins pour les dossiers à forts enjeux. La répartition du contentieux sur les dossiers de ce type s’est rééquilibrée au profit des cabinets de province », indique Emmanuelle Ménard. Face à la recrudescence d’activité, les équipes des cabinets se sont étoffées depuis le début de l’année. Mi-février, Racine Bordeaux a promu quatre nouveaux associés : Anaïs Maillet, Jean Montamat, Alice Simounet et Anne-Laure Dagorne.

Mi-janvier, l’équipe bordelaise du cabinet Cornet Vincent Ségurel a quant à elle accueilli une nouvelle associée en corporate : Stéphanie Gérard. « In fine et au-delà des attraits d’un contentieux local dans les grandes villes de province, ce qui fera ou non la réussite de ces implantations c’est la dynamique et la synergie qui sera créée ou non entre les centres. Ce qui fait un cabinet implanté nationalement, ce n’est pas la somme de plusieurs structures en régions et à Paris, c’est ce qui les réunit dans un projet commun et qui constitue la force d’un groupe », conclut Emmanuelle Ménard.