BDCM : se donner les moyens de ses ambitions
Il y a un peu plus de trois ans, la LJA publiait la première enquête sur les professions liées au business development, à la communication et au marketing (BDCM) au sein des cabinets d’avocats. Cette année, pour enrichir l’exercice, l’enquête a été étendue aux dirigeants des entités afin de déterminer leurs visions et leurs attentes. Des résultats inédits.
Grâce à deux enquêtes réalisées auprès des équipes de BDCM et auprès des dirigeants des cabinets, une image très intéressante se dégage sur les priorités, les missions, les formations, les rémunérations, la taille et le turn-over des équipes. Lors de la dernière étude (cf. LJA magazine 61), 90 personnes avaient complété le questionnaire. Cette année, le taux de participation a augmenté de 30 %. Outre l’élargissement aux dirigeants, le panel inclut d’autres professions de prestataires de services intellectuels : notaires, institutions financières, CPI, conseils en stratégie et recrutement.
TOUT SAVOIR SUR LE PROFIL DES ÉQUIPES : FORMATIONS, RÉMUNÉRATION …
Les écoles de commerce arrivent en tête des formations des équipes internes avec un bond de 10% depuis la dernière enquête. Les universités de droit apparaissent en seconde position. La formation juridique demeure une garantie de la connaissance des matières et sans doute une assurance de qualité de la formation pour les avocats qui ont suivi le même cursus. « Le défi : trouver la double compétence juridique et marketing/com » souligne un des dirigeants interrogés. Les SciencesPistes sont stables, tandis que les formations liées à la presse et à la communication baissent de près de 20%. Les verbatims recueillis dans l’enquête insistent sur les défis liés à la relation client, à l’expertise sectorielle, aux aptitudes en termes d’analyse de marché et de la concurrence. Des sujets qui seraient plus approfondis en école de commerce qu’en université de droit. L’association des deux formations serait donc le combo gagnant. L’enquête révèle que le profil « couteau suisse » reste très en vogue. Les répondants cochent majoritairement au moins deux spécialités. Les responsables d’équipe affichent pour 73% la compétence communication, contre 62% celle du business development et 60% celle du marketing. L’arrivée des spécialistes du marketing digital est manifeste avec presqu’un quart des personnes interrogées revendiquant cette compétence. Cette activité couvre l’ensemble des actions déployées en ligne pour favoriser la relation avec le client ou prospect incluant site, blog, réseaux sociaux et pourquoi pas le métavers. Elle permet d’interagir régulièrement avec son réseau, d’accéder à un public plus large, d’amplifier les relations presse et de gagner en visibilité. En termes de budget, on peut aujourd’hui réaliser un site Internet avec un investissement raisonnable et communiquer sur LinkedIn est gratuit ! Si l’on ne note pas de différence notable entre les salaires pratiqués dans les cabinets français et les cabinets internationaux, force est néanmoins de constater, depuis 2019, une nette augmentation des personnes rémunérées au-delà de 70K€ bruts annuels. Quelque 70 % des responsables d’équipe sont rémunérés plus de 80K€ bruts annuels, 35% entre 80K€ et 100 K€ et 35% plus de 100 K€. En comparant les anciennetés dans le secteur et dans les entités, la courbe s’inverse au-delà de cinq ans d’expérience. Un attachement fort au secteur, un peu moins à l’entité pour les mid et seniors au-delà de cinq ans d’expérience. Il faut dire que les tentations sont fortes considérant le déséquilibre des talents entre la demande et l’offre des profils expérimentés. Les salaires en attestent également. Pour les plus juniors (76% des répondants), 75% d’entre eux ont été recrutés « hors secteur ». Le ratio « taille des équipes/nombre des dirigeants » va croissant depuis la dernière enquête. En dessous de 20 partners, les équipes BDCM composées d’une seule personne sont minoritaires (environ 30% des cabinets). Et au-delà de la vingtaine d’associés, les équipes unipersonnelles disparaissent totalement. Tout porte donc à croire que les mentalités ont évolué sur le rôle que joue le personnel BDCM dans le cabinet. Les départements sont désormais plus staffés. Cette progression est d’ailleurs repérée par les équipes qui étaient 28%, il y a trois ans, à considérer qu’ils étaient suffisamment nombreux pour réaliser leurs missions. Cette année, ce pourcentage est en progression et atteint 35%. Ne crions pas « victoire », car une grande majorité des équipes estime encore que le manque de ressources nuit à l’accomplissement de leurs missions. Le management de l’équipe reste centralisé dans 80% des cas, avec un seul responsable chapeautant l’ensemble des missions liées au BDCM. La vision d’ensemble est préférée à l’organisation en deux équipes distinctes gérées par deux managers situés au même niveau dans l’organigramme des entités : la communication d’un côté, le BD et le marketing de l’autre. L’affirmation de cette organisation monocéphale présente l’avantage d’assurer une cohérence entre les actions conduites et de déjouer le travail en silo. Dans le même esprit, l’associé gérant reste l’interface la plus courante de ces responsables. Les comités dédiés grimpent de 6 % tandis que le reporting à l’ensemble des dirigeants baisse de moitié. Signe que la gestion des projets BDCM aux mains de quelques-uns, et souhaitée à de nombreuses reprises dans les verbatims, est en bonne voie. La démocratie participative impliquant tous les associés et freinant souvent le processus de décision est en perte de vitesse. Toutefois, les managers BDCM ne sont que 37% à être systématiquement conviés aux réunions du comex ou des associés. Ils sont encore presque 35% à ne jamais, ou rarement, participer à ces débats. Étonnant si l’on s’attache aux verbatims des dirigeants qui voient les sujets stratégiques comme un des grands défis de leurs équipes BDCM : « [nous avons besoin d’] intelligence sur le marché (clients/concurrents), de travail sur la stratégie et un positionnement plus aigu ». Il convient dès lors de s’interroger : comment élaborer une stratégie sans y être associé, en amont, par les instances dirigeantes ? C’est avec les directions financières que les BDCM sont en contact le plus régulièrement, suivies de très près par les ressources humaines. Il semble en effet logique de s’appuyer sur la gestion des finances et celle des talents, nerf de la compétitivité dans le domaine des services intellectuels. Ces collaborations présument-elles que les analyses des portefeuilles clients et le déploiement des « marques employeur » dans lesquels ces coopérations sont indispensables, commencent à s’installer dans les projets ?
LES PRINCIPAUX POSTES BUDGÉTAIRES : QUELQUES INCOHÉRENCES ENTRE LES AMBITIONS ET LES INVESTISSEMENTS
Les budgets n’ont été que très peu impactés par la crise. Seulement 10% d’entre eux ont été réduits, 50% maintenus au même niveau et 40% sont même annoncés en augmentation. La notion d’investissement, même en temps de crise, s’installe. Les évènements, qu’ils soient professionnels ou de relations publiques, arrivent encore largement en tête du classement des principaux postes budgétaires. On cultive la relation avec son client ou son prospect en partageant son savoir. Les opérations de relations publiques (cocktails, manifestations culturelles ou sportives) permettent de développer des liens plus personnels. En seconde position des postes budgétaires : les agences de relations presse. La presse reste l’un des outils de reconnaissance et de promotion des pratiques très en vogue. Les agences spécialisées dans ce domaine arrivent en tête des ressources complémentaires externes. Quelque 56% des entités interrogées précisent avoir recours à ces dernières. De la signature d’un article, à l’interview sur une problématique donnée, les spécialistes renforcent leur influence, se positionnent sur des offres de service innovantes. Le Prix des Plumes organisé chaque année par les Business & Legal Forums en attestent également. Chaque année, les soumissions sont de plus en plus nombreuses. La marque employeur et la stratégie RSE sont en tête du classement des dispositifs « à perfectionner ». L’intérêt pour ces deux sujets est également manifesté dans les verbatims de l’enquête. Les répondants aux enquêtes sont convaincus de ces deux défis à venir. Et pourtant, ils sont en queue du classement des postes budgétaires. Les cabinets se donnent-ils donc vraiment les moyens de leurs ambitions ?
OUTILS ET VALEUR AJOUTÉE DE CEUX ET CELLES QUI ACCOMPAGNENT LEURS MISES EN OEUVRE
Concernant les outils/ressources en place et ceux à perfectionner, les constats et les attentes des équipes et de leurs dirigeants se rejoignent à hauteur de 50% sur les premiers et 75% sur les seconds. C’est un alignement plutôt positif pour la définition des défis à relever ensemble. Ceux qui connaissent bien les personnalités vont sans doute être surpris de voir que les « classements/ guides », qui apparaissent en premier dans le classement des équipes, ne sont pas mentionnés par les dirigeants dans leur top 4. L’enquête demandait aux dirigeants d’évaluer de 1 (faible) à 5 (forte) la valeur ajoutée de leurs équipes internes sur les différentes missions liées à la communication, au business development et au marketing. Si nous mentionnons les sujets sur lesquels les équipes sont considérées comme ayant une faible valeur ajoutée (tableau page suivante), il faut appréhender cette approche avec prudence. En effet, les dirigeants qui ont sévèrement noté les prestations sont une minorité (15% d’entre eux maximum quelques soit l’item). Par ailleurs, si l’on croise ces items « mal notés » avec les autres données, on réalise que ceux-ci sont en réalité attachés à des process qui ne sont pas encore mature au sein des structures. Les dirigeants sont donc globalement satisfaits de l’accompagnement interne dont ils bénéficient plus spécialement sur les aspects communication. Un investissement de leur part aux côtés de leurs équipes sur les sujets business development, indispensablement envisagés à l’aune du collectif, est essentiel à la conduite de ce genre de projets. En gardant à l’esprit qu’animer le collectif prévient le développement en silo des portefeuilles clients attachés à chaque dirigeant. L’avenir des structures en dépend. Si l’on se tourne vers les prestataires externes, ils sont appréciés encore principalement sur les relations presse. Quelque 56% des entités interrogées bénéficient d’une agence spécialisée dans ce domaine. C’est la ressource externe qui arrive en tête du classement. Il est toutefois intéressant de noter que les consultants externes sont très bien notés sur les sujets liés à la stratégie et au positionnement. Près que 15% des structures précisent qu’elles bénéficient de leurs services.
LES DÉFIS, LES LEVIERS ET LES FREINS
Dans les clés du succès identifiées par les équipes internes, un trio de tête se dégage : la confiance des dirigeants, leur reconnaissance et leur implication dans les projets. Bonne nouvelle : confiance et reconnaissance arrivent en 3e et 4e position des clés acquises. Moins bonne nouvelle : l’implication est en avant dernière position des 14 items. Pourtant, selon une enquête récente conduite par « Law.com », les associés consacreraient en moyenne 30% de leurs heures non facturables à faire du business development. Plus de 40% déclarent qu’ils y consacreraient davantage de temps s’ils le pouvaient Dans la catégorie des freins, la clarté de la gouvernance et la lenteur des processus de décisions restent un problème qui n’a pas beaucoup évolué depuis 2019. Ils sont presque autant mentionnés que le manque de ressources (évoqué plus haut dans cet article). Sont invoqués par une grande majorité des répondants : « la tardiveté des retours des parties prenantes », « l’absence de vision commune entre associés », « le manque de vision stratégique », « le défaut de clarté de la gouvernance », « la mésentente entre associés », « le fonctionnement en partnership », « les process de décision commune », « les associés difficiles ». L’appréhension des missions COM et celles liées au BD est également soulevée : « le BD mieux perçu que la COM », « COM toujours considérée comme secondaire par rapport au marketing produit », « difficulté d’alignement BD et COM du fait de la séparation des équipes », « confusion dans l’esprit des associés entre la COM et le BD ». En dehors de la nécessité de développer une véritable synergie entre les fonctions BD et COM, les défis sont riches. Les dirigeants et les équipes ont des ambitions alignées : la nécessité de se différencier pour faire face à une concurrence jugée toujours plus forte, l’exigence de la définition d’un positionnement clair et défini, l’individualisation de l’offre s’appuyant sur des stratégies et outils ciblant mieux des segments plus fins, le maintien d’une appartenance forte en interne à la marque pour la rétention des talents, la mise en place de véritables stratégies RSE. La digitalisation de la profession est perçue, par certains, comme une opportunité et, par d’autres, comme une menace. L’intégration de nouveaux moyens comme le legal design, le legal operations, le legal tech, le Web3 (Metavers) est également inscrite dans l’air du temps. « C’est un marché très éclaté avec des objectifs différents en fonction des structures. Les cabinets d’avocats d’affaires tiers one et full services font preuve d’un réel dynamisme en matière de marketing. De nouvelles structures de 10-15 avocats sont très innovantes également. Et il y a le reste, où personne ne semble informé que le monde change et les attentes des clients aussi » conclut un dirigeant de cabinet d’avocats. L’avenir du métier est complexe, mais tellement riche !