« Les meilleures pousses se font à l’ombre des grands chênes »
Christine Daric et Olivier Mesmin, aujourd’hui associés du cabinet BCLP, exercent ensemble depuis plus de vingt ans. Tous deux spécialistes de la fiscalité immobilière, ils ont construit un binôme efficace et rare dans cette matière.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Christine Daric : J’ai une appétence particulière pour les chiffres et j’ai donc très vite su que je voulais devenir fiscaliste. Durant mes études, j’exerçais comme juriste dans un cabinet d’avocats qui traitait souvent de dossiers immobiliers. Lorsque j’ai débuté ma carrière d’avocat fiscaliste, chez Price Waterhouse, j’ai tout de suite été identifiée en interne comme ayant des connaissances immobilières. Après la fusion avec Coopers & Lybrand donnant lieu à Landwell, l’associé Marc Cretté a fondé un pôle de fiscalité immobilière. J’ai été affectée à son équipe. En 2000, un chasseur de têtes m’a contactée pour me proposer de rejoindre l’équipe de fiscalité immobilière d’Ernst & Young, alors menée par trois associés : Olivier Mesmin, Emmanuel Chauve et Jean-Yves Charriau. Je me souviens que j’étais enceinte lorsque j’ai passé mes entretiens. Le courant est très vite passé et ils m’ont rassurée sur le fait que ma grossesse n’était pas un point bloquant pour eux. J’ai alors pensé qu’ils étaient très humains, surtout en 2000 qui était une autre époque…
Olivier Mesmin : Nous étions très proches Emmanuel, Jean-Yves et moi. Notre trio fonctionnait bien, nous étions performants et complémentaires. Nous cherchions un avocat senior capable de nous assister en fiscalité immobilière. Sur le recrutement de Christine, c’est plutôt Emmanuel qui était à la manœuvre. Notre complicité professionnelle s’est ensuite créée au fil du temps.
Comment s’est-elle créée ?
C.D. : À mon arrivée chez Ernst & Young, j’ai peu travaillé avec Olivier car il avait des fonctions managériales importantes. Il était membre du comité des rémunérations, du comité exécutif et donc impliqué dans les hautes sphères du management. Nous avons commencé à collaborer au début de l’aventure des SIIC – les sociétés d’investissement immobilier cotées. À la fin de l’année 2002, Olivier a été contacté par la Fédération des sociétés immobilières et foncières, sur recommandation de Guillaume Poitrinal, Pdg d’Unibail, pour réfléchir à la manière de restaurer le blason des foncières cotées de la place de Paris. Celles-ci subissaient la concurrence des fonds étrangers qui passaient par le Luxembourg pour optimiser leur fiscalité. Olivier a interrogé les collaborateurs pour savoir qui était intéressé pour l’assister sur ce projet et j’ai levé la main.
O.M. : C’était un travail atypique car il fallait concevoir un nouveau régime fiscal puis rédiger le texte de loi. C’était totalement inédit pour moi. Je m’en étais ouvert à feu Patrick Dibout, professeur de droit fiscal exerçant chez Ernst & Young, qui avait jugé l’affaire risquée. Mes associés étaient très pris sur des dossiers, mais Christine semblait intéressée. Nous avons brainstormé et réfléchi ensemble pour concevoir le régime. Pour ensuite rédiger le texte à deux mains. C’était passionnant.
C.D. : Ce travail était en effet risqué, mais s’est révélé une réussite puisque le régime des SIIC ainsi créé a ensuite été repris dans toute l’Europe. Je n’étais absolument pas connue à cette époque, et cette mission a été un tremplin incroyable pour moi. Dans l’ombre d’Olivier, j’ai participé à de multiples conférences et rencontré de nombreuses personnes, me permettant ensuite de traiter des dossiers connectés à ce régime et de fidéliser des clients. Sur le plan de ma carrière professionnelle, ce travail a été très bénéfique et m’a fait changer d’échelle. Au sein de l’équipe, j’étais la senior qui connaissait le mieux le régime pour l’avoir corédigé.
O.M. : Notre projet de texte a été longuement négocié avec la direction de la législation fiscale, par échanges de mark-up, comme on le fait dans une négociation contractuelle. Cette technique rédactionnelle est un peu spécifique, et nous l’avons acquise ensemble. Notre duo s’est constitué à ce moment-là.
En quoi êtes-vous complémentaires ?
C.D. : Nous n’avons pas la même personnalité. Je parle plus qu’Olivier, je suis très tonique dans les négociations. Je considère que rien n’est impossible et je recherche toujours des idées créatives. Olivier est la force tranquille, le sage. Il est très technique et va à l’essentiel. Il apporte "l’helicopter view", selon son expression. Et sur le plan technique, il m’a clairement appris à prendre de la hauteur. La matière fiscale devient de plus en plus complexe. Nous parlons des textes, échangeons sur les doctrines fiscales afin que, derrière, le service rendu au client n’en soit que meilleur, performant et sécurisé.
O.M. : Le fiscaliste est un animal grégaire. La matière est technique et mouvante, donc il est confortable d’avoir un partenaire de réflexion. Il ne se passe rarement une journée sans que l’on discute de points techniques. L’important c’est de trouver quelqu’un qui vous challenge, qui soit performant. Notre binôme fonctionne bien. Nous avons bien sûr chacun nos clients, mais nous les avons souvent rencontrés ensemble. Je connais la plupart des clients de Christine et elle connaît la plupart des miens. Nous sommes autonomes même si nous avons cette particularité d’être interchangeables en matière transactionnelle. Sur un deal, il peut arriver que l’un d’entre nous prenne la place de l’autre pour une négociation. Pour le client, c’est un grand confort, et je crois que c’est assez rare sur la place.
Comment votre relation a évolué au sein des cabinets dans lesquels vous avez exercé ?
O.M. : Lorsque la loi de sécurité financière a été votée à la suite de l’affaire Enron, les activités annexes des Big ont été restreintes, au premier rang desquelles les pratiques juridique et fiscale. La plupart des avocats de notre équipe sont partis en six mois : Emmanuel a rejoint Jones Day, et Jean-Yves a intégré Francis Lefebvre. Christine et moi n’avons pas suivi le mouvement vers Arsene Taxand, car nous souhaitions offrir à nos clients du secteur immobilier une palette large de services. C’était une autre approche stratégique. La firme internationale Baker McKenzie avait une excellente réputation en fiscalité et n’avait pas de pratique immobilière. Le challenge nous semblait intéressant. Marc Mariani nous a accompagné pour développer la partie corporate immobilier.
C.D. : Nous sommes arrivés début 2004. Je suis passée local partner à la fin de l’année, puis associée en equity fin 2007. Olivier m’a mis le pied à l’étrier pour monter les marches et je ne serais probablement pas là où j’en suis si je ne l’avais pas rencontré. Je me souviens qu’à une époque j’ai eu des velléités de quitter Baker McKenzie pour prendre mon envol, couper le cordon, comme tout jeune qui a été formé par un mentor. J’en avais parlé à Frédéric Nouel qui m’avait dit : « Ne fais pas cette bêtise. Les meilleures pousses se font à l’ombre des grands chênes ». Nous en plaisantons aujourd’hui ! Mais il avait raison car aujourd’hui nous formons un duo qui est performant et apprécié par les clients.
O.M. : En 2015, nous avons choisi de donner un nouvel élan à nos parcours. Nous avions envie d’exercer de manière plus entrepreneuriale, peut-être un peu plus risquée, moins confortable. Nous avons alors rejoint le cabinet français Franklin, avant de revenir vers une firme internationale, chez BCLP pour accompagner le bureau français dans la construction d’une nouvelle étape de son développement. À cette époque, nous avions discuté de mettre un terme à notre binôme. Mais on se connaît tellement par cœur, comment imaginer se retrouver l’un en face de l’autre sur un deal ? ! Et puis notre duo fonctionne bien, il est une force, alors pourquoi casser quelque chose qui marche ?