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Dans les coulisses de… Transparency International France

Par Clémence Dellangnol
Actuellement très mobilisée sur le projet de loi Sapin 2, l’équipe de la section française de l’ONG Transparency International entretient et développe ses échanges avec les élus et les entreprises, multipliant les outils de prévention et d’information sur la lutte contre la corruption.

Cet article a été publié dans LJA Le Magazine n° 43 (juillet-août 2016)

De prime abord, le dépouillement des bureaux peut surprendre, pour qui est habitué à l’atmosphère des locaux militants. Dans les couloirs et les bureaux adjacents, les organisations non gouvernementales (ONG) de la Coordination Sud, actives dans le secteur de l’aide au développement, affichent leurs convictions au moyen d’affiches, de photos et d’autocollants. Rien de tout cela dans les bureaux de la section française de Transparency International. Rien qui puisse détourner l’attention de la petite équipe des six jeunes salariés, penchés sur leurs ordinateurs. « C’est vrai qu’on n’a jamais passé beaucoup de temps à personnaliser nos locaux, reconnaît Julian Névo, chargé de communication de l’association. Mais cela illustre surtout le positionnement historique de Transparency, davantage axé sur l’expertise et le plaidoyer que sur la dimension citoyenne militante. Mais c’est en train de changer. »

Des têtes bien faites
La section française de Transparency International a été fondée en 1995, deux ans après la création de l’ONG en Allemagne, par l’ancien directeur de la Banque mondiale Peter Eigen. L’ONG se donne pour but de « mettre fin à l’impact dévastateur de la corruption sur les hommes, les femmes et les enfants dans le monde entier », et pour mission d’« instiguer des changements jusqu’à ce que le monde soit libre de toute corruption ». Elle compte aujourd’hui pas moins de 110 sections nationales, autonomes dans leur fonctionnement. « L’organisation est très décentralisée, décrit Julien Coll, délégué général de la section française depuis 2008, après cinq ans passés comme responsable des relations avec les entreprises. Chaque section doit assurer son financement et fixe ses propres priorités. »

À Paris, l’association est présidée par Daniel Lebègue – ancien directeur du Trésor, ancien administrateur vice-président de BNP Paribas et ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations – et emploie six salariés. Six têtes bien faites au profil assez comparable : la trentaine, des études solides et une première expérience professionnelle utile pour l’action de Transparency. Entré dans l’association en 2013 dans le cadre du service civique, Julian Névo avait travaillé pour la section argentine après un cursus à Sciences-Po. Responsable du secteur privé, Baptiste Pécriaux avait bouclé au Caire un master de droit comparé des pays arabes, après une maîtrise de droit international des affaires et des stages dans les cabinets de Jean-Pierre Mignard et Françoise Cotta. Ex-attachée parlementaire et ex-directrice de l’ONG Humanity in action, Laurène Bounaud présentait le parcours parfait pour prendre en charge le plaidoyer de Transparency. Seule exception : Nicole-Marie Meyer, responsable de l’alerte éthique, ancienne fonctionnaire du Quai d’Orsay. Sanctionnée pour avoir divulgué à deux reprises des malversations, elle a gagné en 2007 son procès contre l’État. Depuis, elle consacre son temps à la protection des lanceurs d’alerte.

Une fenêtre de tir inédite
Ces derniers mois, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – dit Sapin 2 – a beaucoup mobilisé l’équipe. « L’examen de ce texte constitue une fenêtre de tir assez inédite pour Transparency puisqu’il aborde quatre des grands sujets que nous défendons : la protection des lanceurs d’alerte, l’encadrement du lobbying, la répression de la corruption et la transaction pénale », souligne Julian Névo. Depuis l’affaire Cahuzac et l’attribution d’un agrément lui permettant de saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), l’association est bien identifiée. Dûment enregistrée sur le registre des groupes d’intérêts à l’Assemblée nationale et au Sénat – entre Total et TBWA/Corporate –, Laurène Bounaud, a ainsi été amenée à rencontrer de nombreux parlementaires – Sébastien Denaja (rapporteur du projet de loi), Yann Galut, Charles de Courson, François Pillet, Nathalie Goulet… « Notre crédibilité repose sur le travail préparatoire réalisé depuis des années », insiste-t-elle, citant le « benchmark des dispositifs d’encadrement du lobbying au niveau européen », en lien avec la section de Bruxelles, ou encore « le recensement des systèmes de protection des lanceurs d’alerte » patiemment réalisé par sa collègue, Nicole-Marie Meyer.

De colloques en publications, de synthèses en jeux d’amendements, l’association expose inlassablement ses convictions. Et s’appuie pour ce faire sur l’expertise de ses membres, environ 200 bénévoles dont cinquante particulièrement actifs. « Je travaille beaucoup avec des juristes, des avocats, des magistrats, qui surveillent la jurisprudence, m’aident à rédiger les amendements ou à affiner la stratégie », explique Laurène Bounaud. « Notre conseil d’administration est aussi très présent, y compris au niveau opérationnel », affirme Julien Coll. Dernièrement, le président Daniel Lebègue s’est ainsi beaucoup impliqué sur le volet transaction pénale du projet de loi. « Pour peu qu’elle soit correctement encadrée, elle constitue un dispositif innovant qui permettra à la France de rattraper son retard en matière de poursuite et de condamnation des faits de corruption », soutient le délégué général. De Jacques Terray, ancien associé de Gide Loyrette Nouel, à Catherine Pierce, magistrate passée par la chambre pénale financière de Nanterre, sans oublier Alain Champigneux, directeur de l’éthique chez Renault, ou encore l’avocate Corinne Lepage, chacun s’implique dans les différents dossiers, ouvrant à l’association son carnet d’adresses et ses réseaux.

Diffuser les bonnes pratiques
Transparency International s’efforce d’adapter son message aux différents publics, faisant œuvre de pédagogie et misant sur la diffusion des bonnes pratiques. Un “Forum des entreprises engagées” réunit ainsi une trentaine d’entreprises, parmi lesquelles Schneider Electric, EY ou encore Coca-Cola France. « L’adhésion implique une vraie démarche d’engagement », insiste Baptiste Pécriaux, responsable du secteur privé. L’association guide et soutient les entreprises membres dans la mise en œuvre de leur politique d’intégrité et de transparence, organise des déjeuners d’échanges… Et a noué des partenariats sur la durée avec trois groupes, assurant un accompagnement rapproché : Lafarge en 2004-2005, Aéroports de Paris de 2008 à 2013, et La Poste depuis 2014. « Nous posons un regard critique mais bienveillant sur leur politique », précise Baptiste Pécriaux, insistant sur « la grande franchise » des analyses délivrées : « c’est ce que nos partenaires viennent chercher : un regard extérieur. »

L’effet d’entraînement est réel. Parmi les entreprises signataires de la charte du lobbying responsable, premier outil d’autorégulation du secteur, un petit groupe s’est ainsi attelé l’an dernier à la rédaction d’un guide de déclaration des dépenses de lobbying. « Il s’agissait de proposer une base commune très concrète, que nous avons envoyée à tous les parlementaires. » Un autre groupe de volontaires devrait boucler d’ici peu un outil de sensibilisation à la corruption dans les relations privé-privé (fournisseur/acheteur, médecin/patient…), ainsi qu’un guide sur les conflits d’intérêts dans les PME et les ETI. « La loi Sapin 2 devrait instaurer de nouvelles obligations de conformité, qui s’imposeront à toutes les entreprises, rappelle Baptiste Pécriaux. Les grands groupes sont déjà prêts, mais les petites structures s’exposeront au même risque de sanction. »

Proposer des outils opérationnels
“Carte de France de la corruption” accessible en ligne, recensant les condamnations ; base de données interactive offrant un aperçu des intérêts et activités déclarés par les parlementaires (Integrity Watch) ; bientôt une plateforme équivalente pour les élus locaux… Depuis environ deux ans, la section française multiplie les outils visant à informer et impliquer les citoyens. « C’est devenu le mode d’action prioritaire à l’échelle internationale, sous l’impulsion de sections implantées dans des pays dans lesquels la société civile est persécutée et la justice aux ordres », explique Julien Coll. Paris expérimente ainsi depuis septembre 2014 un dispositif de recueil des signalements : le Centre d’assistance juridique et d’action citoyenne (Cajac). « Cet outil propre à Transparency a d’abord été créé en Roumanie, en Bosnie et en Macédoine. Puis il s’est développé dans une cinquantaine de pays, avant d’être testé en Irlande, au Luxembourg et en France », retrace le délégué général. Appuyé par des bénévoles expérimentés, les répondants – des élèves-avocats – reçoivent les appels et messages de victimes et témoins de situations de corruption, de conflits d’intérêts ou d’atteintes à la probité au sens large. « Le message est simple : la corruption n’est pas une fatalité, contactez-nous ! », résume Julien Coll. En un an et demi, 300 signalements sont parvenus au Cajac, dont la moitié seulement ont été jugés pertinents. Quatre ont été transmis à la HATVP, et un dossier de prise illégal d’intérêts dans une décision d’urbanisme local a été porté à la connaissance du parquet. Pour les autres cas, l’équipe du Cajac assure écoute et soutien, distribue de la documentation ou oriente vers d’autres associations.

Signe que Transparency International se tourne désormais davantage vers le grand public, la section française vient de créer un septième poste, entièrement dédié au développement des dons de particuliers. Le contexte, affirme Julien Coll, y est particulièrement favorable : « Avec la multiplication des affaires et des procès, les citoyens sont devenus plus réactifs », observe-t-il. La crise rendant encore plus inacceptables les « fraudes et privilèges » tolérés jusque-là. Tant mieux, estime-t-il, tant l’enjeu dépasse les simples turpitudes de quelques-uns : « Qu’il s’agisse d’environnement, de droits humains ou encore de démocratie, impossible de garantir le moindre progrès tant qu’il demeure des situations de corruption. »

L’équipe (pas tout à fait au complet) des salariés de l’association à Paris, qui constitue l’une des 110 sections nationales de Transparency International ©Clémence Dellangnol


 
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