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Une année sportive pour l’Autorité de la concurrence

Par Anne Portmann

Le 15 juillet dernier, le président de l’Autorité de la concurrence, Benoît Cœuré, a présenté, lors d’une conférence de presse, son rapport pour 2023, révélant également quelques données sur l’activité du premier semestre de 2024.

Alors que la flamme olympique était en train de parcourir les rues de la capitale, Benoît Coeuré a choisi de présenter le rapport d’activité de l’Autorité de la concurrence (ADLC) pour 2023 qui s’intitule « Ouvrons grand la compétition ». Entre les visuels et le champ lexical, les résonances avec l’olympisme ont été nombreuses, le président assurant notamment que « la flamme de la concurrence » habite les collaborateurs de l’Autorité.

2023 et 2024 en chiffres

Continuant à filer la métaphore sportive, Benoît Cœuré a lancé : « En cette année olympique, l’Autorité se voit plus que jamais comme un arbitre qui pousse les concurrents à aller plus vite, plus haut et plus fort, sans tricherie ni dopage ». En 2023, l’activité a été très soutenue pour les trois activités de l’Autorité. Sur le front du contrôle des concentrations d’abord, l’ADLC a rendu en 2023, 266 décisions, ce qui représente environ une décision par jour de l’année ouvré. « C’est un nouveau record », a indiqué le président, rappelant qu’il a suggéré au gouvernement de relever le seuil de contrôle des opérations de concentration et que cette réforme a été intégrée dans une proposition de loi sénatoriale, avant la fin prématurée de la législature.

Pour le président de l’ADLC, si cette augmentation de l’activité peut être vue comme un signe de dynamisme du marché français, elle témoigne aussi de la détresse de certains secteurs de l’économie.

Côté contentieux, l’Autorité a rendu, en 2023, 30 décisions dont 11 de sanctions, condamnant les contrevenants à un total de 167,60 M€ d’amendes, ce qui est peu par rapport aux années précédentes. Rien qu’au premier semestre 2024, l’Autorité a déjà prononcé des amendes à hauteur de 326 M€, notamment dans le dossier dit des « droits voisins », aux termes duquel une amende de 250 M€ a été prononcée à l’encontre de Google, mais également dans le dossier du cartel du béton et dans celui du fabricant de chocolats De Neuville.

L’année 2024 a d’ailleurs continué d’être très active sur tous les fronts, avec déjà 150 décisions de contrôle des concentrations, 6 décisions contentieuses dont 3 de sanction et 5 avis. En 2023, l’ADLC avait réalisé 4 opérations de visite et de saisies (OVS), elle en a déjà effectué 2 en 2024. Il est aussi intéressant de constater que si de l’avis général en Europe, la clémence est moins utilisée, la France fait figure d’exception, avec 4 demandes de clémence pour 2023 et 10 pour le premier semestre 2024, alors que la moyenne était de 2 demandes de clémence annuelles. L’ADLC a aussi rendu 20 avis en 2023.

Diverses thématiques sectorielles

L’Autorité s’est notamment penchée sur le secteur du numérique cette année, avec le dossier Meta tout d’abord, dans lequel elle a fait usage de mesures conservatoires, peu utilisées au niveau européen, qui sont caractéristiques des décisions de l’Autorité française. « Ce sont des instruments antitrust efficaces », a estimé Benoît Cœuré, qui a ensuite évoqué le dossier Google relatif aux droits voisins, et souligné qu’un manquement intéressant a été relevé à l’encontre du Gafam : Google n’a pas informé les médias et les agences de presse qu’elle avait utilisé leurs articles pour entraîner son modèle d’IA générative. Il a également pointé le dossier d’abus de position dominante à l’encontre de Sony, mais aussi le dossier Apple ATT et des OVS réalisées dans le secteur des cartes graphiques. L’ADLC a par ailleurs rendu, en juin 2023, un avis sur le cloud et sur l’interopérabilité ainsi qu’en juin 2024, un avis sur l’IA.

L’Autorité collabore d’ailleurs, sur ce sujet, avec les autres autorités qui travaillent dans le domaine numérique, comme l’Arcep, l’Arcom et la CNIL. Avec l’entrée en vigueur du Digital market act européen (DMA), il conviendra d’articuler l’action des autorités nationales et celles de la commission européenne, mais pour autant, le DMA ne rendra pas le droit de la concurrence obsolète dans le secteur du numérique, ne serait-ce qu’en raison du champ d’application limité de ce dernier.

Dans le secteur de la transition économique et de l’énergie, l’ADLC a autorisé l’acquisition par EDF de Steam Power. En contentieux, elle a sanctionné une entente entre 6 entreprises opérant dans le secteur du démantèlement et de la sûreté nucléaire. Le président souligne d’ailleurs que ce dossier a été déclenché à la suite d’une demande de clémence.

Dans le secteur des transports l’Autorité a également été active avec, notamment, la publication, à l’automne 2023 d’un avis sur le transport terrestre de voyageurs et d’un autre sur les bornes électriques de recharge des véhicules. Les entreprises ont la possibilité de consulter l’ADLC pour savoir si la mise en place de mesures de développement durable serait compatible avec les règles de concurrence, dans la mesure où, pour certains projets, des ententes horizontales sont autorisées.

Le secteur des médias a également occupé une grande partie du temps des agents, notamment avec le rachat d’OCS par Canal Plus et celui d’Altice Media par CMA-CGM. Un avis sur les contenus audiovisuels est aussi en cours d’élaboration et une consultation publique a été lancée à ce sujet. La cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un litige opposant le groupe l’Équipe à Cafeyn, a également sollicité l’ADLC pour avis. Une décision est attendue en décembre prochain.

Dans le secteur des produits de grande consommation, l’ADLC avait exprimé, en 2023, ses inquiétudes quant à l’inflation des prix et quant à la concentration des grandes enseignes. Et sur ce point, elle n’a pas chômé. Elle s’est prononcée sur les conditions de la cession des 61 points de vente Casino à Intermarché, sur la cession des magasins Cora et Match à Carrefour dans la grande distribution, mais aussi sur le rachat de Bricolex par Gifi et de la Grande Récré par Joué Club. Elle a aussi sanctionné une entente dans le domaine de la boulangerie, qui portait sur des machines de panification. Le président a également indiqué qu’une enquête était en cours dans le domaine de la collecte du lait, dans le secteur de la distribution de carburant en Corse et sur les niveaux de prix en outre-mer.

Le contrôle des professions
réglementées du droit

Benoît Cœuré a évoqué la liberté d’installation des professions libérales et notamment des professions réglementées du droit, sujet qui ne manque pas de hérisser certains acteurs au premier rang desquels les notaires.

Le président a ainsi rappelé que l’ADLC avait recommandé la création de 2 offices d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et avait été suivi par le gouvernement. Elle avait aussi préconisé de créer 33 offices de commissaires de justice, mais le gouvernement en a créé 20, abritant 32 nouveaux commissaires de justice.

S’agissant des notaires, le président de l’ADLC a rappelé que l’Autorité avait conseillé de créer 600 nouveaux offices de notaires. Le gouvernement a pris un long temps de réflexion (8 mois) avant de prévoir 502 nouveaux offices. « Ce dossier est symptomatique de l’attitude des pouvoirs publics et démontre que la concurrence ne s’impose pas naturellement aux politiques, en dépit d’une loi, qui porte le nom du président, qui impose de la respecter », a-t-il lancé, non sans ironie. Il a souligné qu’entre 2016 et 2023, 2 500 nouveaux offices de notaires avaient été créés et que ce mouvement d’ouverture a permis de rajeunir et de féminiser la profession.

L’ADLC a également fait des observations sur les codes de déontologie des professions réglementées du droit, réaffirmant la nécessité d’harmoniser les règles régissant la déontologie des officiers ministériels. Elle a ainsi formulé cinq recommandations visant à accroître la cohérence des règles communes aux notaires et aux commissaires de justice, ainsi que deux séries de conseils spécifiques au notariat.

Feuilles de route intérieures

Au cours de l’année 2023, l’Autorité a adopté une feuille de route en matière d’inclusion et de diversité qui l’a notamment amenée à améliorer ses procédures RH et à mettre en place une politique d’accompagnement du handicap.

Une autre feuille de route, relative à la sobriété écologique, qui intègre des actions très concrètes est également entrée en vigueur : les agents limitent leurs déplacements en avion, par exemple et le personnel d’entretien, à la demande générale, est autorisé à venir plus tard et non avant l’ouverture des bureaux.

L’ADLC multiplie également les actions auprès des jeunes, dans les collèges et les lycées, en faisant appréhender aux élèves les grands principes du droit de la concurrence. Des opérations de communication auprès du grand public ont également été entreprises, comme la mise en ligne d’un podcast, qui raconte en détail trois enquêtes de l’Autorité, respectivement sur le cartel des linos, celui de la lessive et celui des panneaux de signalisation. 

Anne Portmann

Lire le rapport : www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/article/benoit-coeure-presente-le-rapport-annuel-2023