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Trump contre les politiques de diversité des cabinets d’avocats : quelles réactions ?

Par Anne Portmann

Alors que le gouvernement Trump multiplie les menaces et les intimidations envers les entreprises et les cabinets d’avocats au prétexte des programmes d’inclusion et de diversité qu’ils ont mis en place, des voix se font entendre pour résister, même si d’importantes firmes se plient aux injonctions du président.

Tout a commencé par une lettre envoyée le 17 mars 2025 par Andrea Lucas, présidente par intérim de la Commission américaine pour l’égalité des chances en matière d’emploi (EEOC), à 20 cabinets d’avocats(1) pour les interroger sur leurs programmes en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), leur demandant, notamment, la liste des avocats intégrés depuis 2019, avec leur nom, leur sexe et leur origine ethnique. Dans le même temps, le président Donald Trump a signé, ou menacé de signer des executive orders visant à restreindre l’action de certains cabinets, en révoquant les habilitations de sécurité des avocats et en leur interdisant l’accès à des bâtiments fédéraux. Face à cette situation, si la majorité des cabinets ainsi ciblés ont choisi de garder le silence, quelques-uns ont conclu un accord avec le gouvernement fédéral, tandis que d’autres ont choisi la voie de la contestation en justice.

Le cabinet Perkins Coie a entamé des poursuites judiciaires contre un executive order du 6 mars 2025, et plus de 500 cabinets d’avocats – dont le Britannique Freshfields qui a également été ciblé - se sont mobilisés pour soutenir la firme, en déposant vendredi 4 avril 2025, à l’instance, des amicus curiae, accusant l’administration Trump de mener une campagne de « sanctions draconiennes » contre les professionnels du droit qui représentent des personnes et des causes que le président désapprouve. Les cabinets Jenner& Block et Wilmer Cutler Pickering Hale and Dorr, respectivement visés par des executive orders des 25 et 27 mars ont également choisi la voie de la contestation judiciaire.

Suivant une stratégie diamétralement opposée, le cabinet Paul Weiss (visé par un executive order du 14 mars) a été le premier à conclure un accord avec le gouvernement Trump, s’engageant à fournir gracieusement des services juridiques à la hauteur de l’équivalent de 40 M$, à des causes défendues par Donald Trump. Le cabinet a également accepté de se soumettre à un audit de ses procédures d’emploi et de désavouer l’ancien associé qui avait été procureur et avait provoqué l’ire du président. Ce premier accord, duquel on murmure que l’avocat Robert Giuffra, associé de Sullivan & Cromwell à New York, aurait conseillé la Maison Blanche, a ouvert la voie à d’autres. Ainsi Milbank, également visé, a promis l’équivalent de 100 M$ de conseils juridiques au soutien de causes « trumpiennes », tout comme Skadden Arps qui s’est également engagé à consulter un tiers concernant ses politiques d’emploi et Wilkie Farr, qui n’était pas encore visé par un executive order, mais a préféré anticiper. « Ils se plient tous en quatre et disent : “Monsieur, merci beaucoup.” Personne n‘arrive à y croire », s’est vanté Donald Trump. « Les cabinets d’avocats se contentent de dire : “Où dois-je signer ? Où dois-je signer ?” ».

Si la presse américaine relève cependant que l’écrasante majorité des cabinets qui n’étaient pas visés par des executive orders ont préféré rester silencieux, beaucoup ont tout de même modifié ou même supprimé les informations relatives aux politiques de diversité sur leur site web. L’attitude des cabinets qui cèdent, considérée par d’aucuns comme «servile » suscite la polémique chez quelques juristes. Des étudiants de plusieurs facultés de droit ont critiqué Paul Weiss dans une lettre ouverte et une manifestation a même été organisée devant les locaux New-Yorkais du cabinet. L’American Bar Association (ABA) a quant à elle lancé un appel à « soutenir les principes fondamentaux de l’indépendance du pouvoir judiciaire, de l’état de droit et du droit à une représentation juridique sans interférence et sans intimidation ». Toutefois, en dépit des critiques, il n’y a pas eu de départs massifs de ces firmes. Mais les cabinets de moindre renommée pourraient trouver intéressant de faire savoir qu’ils résistent.

La réaction des bureaux parisiens

Quelles conséquences pour les bureaux parisiens des cabinets ainsi visés ? Tout d’abord, les executive orders de Trump, qui sont susceptibles d’entraver l’action des cabinets visés sur le territoire américain ne concernent pas, sauf cas particulier, la France. Compte-tenu de la polémique, certains managing partners de bureaux parisiens ont tenté de désamorcer la situation, comme chez Skadden où une réunion interne a été organisée, réunissant l’ensemble du personnel pour expliquer la situation et répondre aux questions. La priorité absolue était de faire ce qui était nécessaire afin de protéger les engagements et responsabilités importantes de la firme à l’égard de ses clients, de ses équipes ainsi qu’envers les communautés qu’elle sert, a-t-il été expliqué. Au final, la décision de la firme n’a pas fait grand bruit au sein des effectifs parisiens.

De ce côté-ci de l’Atlantique, il faut avouer que les questions liées à l’origine ethnique, à la religion ou à l’orientation sexuelle ne sont pas aussi sensibles, et certains avocats du barreau parisien déplorent des politiques US qui insistent davantage, et parfois de manière incongrue à leurs yeux, sur des quotas que sur le mérite. Un recentrage ne serait donc pas si choquant pour eux. Il n’en reste pas moins que les questions d’égalité hommes/femmes sont, elles, importantes pour les européens.

Parmi les cabinets visés installés à Paris, interrogés par la LJA sur le sujet, la plupart n’ont pas répondu aux sollicitations de la rédaction, et le reste a indiqué ne pas pouvoir faire de commentaires. « Tous attendent les instructions des États-Unis », glisse un consultant.

En coulisses, certains se réjouissent que Freshfields ait signé l’amicus curiae initié par les firmes américaines contestataires. « Cela nous rend fiers », confie un associé du bureau parisien. Mais, qu’ils se soumettent ou qu’ils résistent, les cabinets visés ne parleront pas, car des deux côtés de l’Atlantique, polariser les choses pourrait entraîner des conséquences désastreuses en termes de business. Et si la plupart des cabinets internationaux sont attentistes, certains voient davantage d’intérêt à conclure rapidement un accord qui ne leur coûte pas plus en pro bono que ce qu’ils faisaient auparavant, car les montants auxquels ils s’engagent ne sont, somme toute, pas limités dans le temps.

Jean-Christophe Devouge, co-fondateur du cabinet Aurès, analyse le silence de ses confrères des grandes maisons américaines. « C’est une situation inédite et délicate pour les cabinets, qui peut amener les clients, quelle que soit la stratégie, à se poser des questions ». Il y voit cependant l’opportunité d’un véritable recentrage sur le Vieux continent dont pourraient bénéficier les cabinets les mieux installés. « Entre un marché US offrant une rentabilité bien plus élevée et un paysage juridique européen encore très fragmenté, les cabinets indépendants cherchaient à établir des liens durables avec les cabinets américains, avec lesquels tout le monde avait intérêt à travailler », observe-t-il. « En cas de focus renouvelé des clients sur l’Europe et de consolidation qui avance sur le plan juridique, les choses pourraient changer ».