Connexion

Suspension du FCPA sous l’administration Trump : enjeux, risques et perspectives pour les entreprises françaises

Par Laura Dray

L’administration Trump a marqué un tournant en suspendant l’application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), qui est historiquement un texte clé dans la lutte contre la corruption à l’international. Cette décision ne concernera potentiellement que les entreprises américaines et a été justifiée par des considérations de compétitivité économique et d’allocation des ressources publiques. Elle soulève cependant des interrogations quant à ses conséquences sur les groupes français opérant aux États-Unis ou en partenariat avec des sociétés américaines. Nicolas Tollet, associé chez Hughes Hubbard & Reed, décrypte les enjeux et les défis liés à cette suspension.

Pourquoi l’administration Trump a-t-elle décidé
de suspendre l’application du FCPA ? 

L’administration Trump a justifié cette suspension en avançant plusieurs arguments. 

D’une part, elle considérait que l’application du FCPA était excessive et imprévisible, désavantageant les entreprises américaines par rapport à leurs concurrentes étrangères qui ne sont pas soumises aux mêmes exigences en matière de conformité. 

D’autre part, l’administration souhaitait redéployer les ressources du Department of Justice (DOJ) vers d’autres priorités stratégiques. 

Enfin, cette suspension était perçue comme un levier pour renforcer la compétitivité des entreprises américaines et servir les intérêts géopolitiques des États-Unis. L’idée sous-jacente étant qu’une réglementation trop rigide pouvait entraver l’expansion des sociétés américaines dans certaines régions du monde et limiter leur capacité à conclure des accords stratégiques dans des environnements à risque.

Quel impact cette suspension peut-elle avoir sur
les entreprises françaises opérant aux États-Unis ? 

Les entreprises françaises qui travaillent aux États-Unis ou en collaboration avec des partenaires américains risquent d’être confrontées à un environnement commercial plus incertain. Sans une application stricte du FCPA, certaines entreprises américaines pourraient relâcher leurs exigences en matière de conformité, favorisant des pratiques plus risquées. Pour les groupes français, cela pourrait se traduire par une pression accrue pour s’adapter à ces nouvelles pratiques afin de rester compétitifs, augmentant ainsi leur vulnérabilité aux risques de corruption. 

Toutefois, elles demeurent soumises aux législations anticorruption de leur propre pays, comme le code pénal et la loi Sapin II en France. De plus, la coopération internationale en la matière s’est renforcée avec l’intervention d’autorités comme le Parquet national financier (PNF) en France, surtout depuis l’affaire Lava Jato au Brésil. En d’autres termes, même si les États-Unis relâchent leur vigilance, la pression réglementaire globale demeure.

Combien de temps va durer cette suspension pour les entreprises américaines ? à quoi faut-il s’attendre après ? 

La suspension initiale est prévue pour 180 jours, avec la possibilité d’une reconduction pour une durée équivalente.  Cependant, son renouvellement dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la pression exercée par les milieux économiques et diplomatiques, ainsi que l’évolution du climat politique aux états-Unis.

Comment les cabinets d’avocats spécialisés
se préparent-ils à ces changements ? 

Les cabinets d’avocats doivent redoubler de vigilance pour accompagner leurs clients face à un paysage juridique plus imprévisible. Nous observons une montée des risques de corruption dans certaines zones et une nécessité accrue de renforcer les dispositifs de conformité. L’objectif n’est pas d’empêcher les affaires, mais d’aider nos clients à naviguer dans ces environnements complexes sans enfreindre les réglementations en vigueur.

Quels défis cette suspension pose-t-elle aux professionnels de la conformité et
aux juristes d’entreprise ? 

Les professionnels de la conformité et les juristes vont devoir composer avec une plus grande incertitude. L’un des principaux défis sera de maintenir un message clair et cohérent contre la corruption malgré les messages contradictoires entre les différentes juridictions. La gestion du « Tone at the Top » sera essentielle : les dirigeants devront s’engager à préserver des standards élevés en matière d’éthique des affaires. De plus, les entreprises devront consacrer davantage de ressources aux enquêtes internes et à la mise en place de dispositifs de contrôle renforcés, car le relâchement de la réglementation américaine pourrait entraîner une augmentation des sollicitations corruptives. Les cabinets d’avocats joueront un rôle clé en offrant un cadre sécurisé pour aborder ces questions sensibles et en fournissant des stratégies adaptées aux risques accrus.

Quel message souhaitez-vous adresser aux entreprises et aux régulateurs sur l’importance de l’éthique
des affaires ? 

Il est primordial que les entreprises continuent d’adopter des pratiques éthiques solides, car les entreprises françaises sont avant tout assujetties au code pénal français. Par ailleurs, la corruption constitue non seulement un risque juridique, mais aussi une menace pour la réputation et la compétitivité à long terme. Quant aux régulateurs, en France comme en Europe, ils doivent rester vigilants et maintenir des normes strictes car la corruption menace l’état de droit. Enfin, le grand public joue un rôle crucial en exerçant une pression sur les entreprises et les gouvernements pour garantir une transparence accrue. 

La stabilité économique et politique dépend largement du respect des principes éthiques et une complaisance excessive face aux pratiques corruptives finit toujours par fragiliser les institutions démocratiques. Dans un monde globalisé, négliger la corruption aujourd’hui, c’est prendre le risque d’une instabilité qui nous impactera demain.