Structurer les modes de règlement amiables des différends
Le 25 juin 2024, les douze « ambassadeurs de l’amiable » ont remis leur rapport de mission au garde des Sceaux, après presque une année passée sur le terrain, auprès des juridictions, à prendre le pouls de la justice amiable dans notre pays. De ce document, qui contient de nombreuses préconisations, émerge en particulier la nécessité de structurer un écosystème qui soit le lieu du dialogue entre les différents acteurs qui sont présentés comme davantage complémentaires que concurrents. Synthèse.
Missionnés dans le cadre de la politique de l’amiable lancée en janvier 2023 par la Chancellerie, les ambassadeurs - initialement trois avocats, trois juges et trois universitaires, auxquels ont été adjoints, plus tard, un représentant des notaires, un commissaire de justice et un ancien juge consulaire - sont allés à la rencontre des acteurs du secteur de la justice amiable dans chaque ressort de cour d’appel, reçus par les chefs de juridiction. Ils retracent ce processus dans l’avant-propos du rapport qui égrène également les principaux freins au développement de l’amiable perçus sur le terrain. D’emblée, ils identifient un problème global au développement de la justice amiable, à savoir un paysage confus et un manque de cohérence, avec des situations hétéroclites selon le ressort visité.
Les préconisations sont ensuite présentées sous trois angles, qui se recoupent parfois. Tout d’abord, sous celui des différents modes de règlement amiable, car même si les ambassadeurs avaient à l’origine pour tâche de s’intéresser uniquement aux modes de règlement amiables juridictionnels, ils ont également pris en considération certains aspects relevant des modes alternatifs de règlement des litiges hors institution judiciaire. Le deuxième volet du rapport porte sur les professions composant l’écosystème de l’amiable, et la troisième partie considère les suites à donner au travail mené, qui semblent d’ailleurs devenues encore plus incertaines compte tenu de la crise politique actuelle et du changement de gouvernement.
La palette de l’amiable
Si la diversité des modes de règlement amiables des litiges, qui se décline sous diverses formes essentiellement autour de la conciliation, la médiation, la procédure participative ou l’audience de règlement amiable, est présentée comme une richesse permettant de trouver l’outil approprié pour chaque différend particulier, elle semble néanmoins une source de confusion pour le justiciable. C’est pourquoi le rapport recommande de renforcer la formation à la conciliation, que ce soit en formation continue ou initiale à l’ENM, et d’organiser des apprentissages communs réunissant aussi bien des conciliateurs de justice, des magistrats et des avocats.
Les conciliateurs doivent par ailleurs avoir les moyens d’exercer leurs missions. Dans cette optique, l’indemnité qui couvre leurs dépenses doit être revalorisée. Ils doivent en outre être en mesure d’exercer leurs missions en juridiction avec la mise à disposition de matériel (ordinateur, imprimantes, connexion wifi). Davantage de permanences sont aussi à organiser en juridiction et les possibilités et incitations pour les magistrats de renvoyer en conciliation doivent être multipliées. Il est également proposé d’impliquer les CDAD dans le développement de la conciliation.
Il est par ailleurs préconisé de mener des actions de communication, notamment pour dialoguer entre professions. Le Conseil national de la médiation pourrait également être renommé Conseil national de l’amiable pour inclure tous les acteurs. Il est aussi proposé de créer des conseils régionaux d’accès au droit et d’étendre le mécanisme de tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO) à toutes les juridictions.
Les mécanismes d’audience de règlement amiable (ARA) et de la césure, introduits par la réforme de juillet 2023 et appliqués depuis le mois de janvier 2024 pourraient également être améliorés, notamment en multipliant les échanges entre magistrats et les retours d’expérience. Le rapport souligne que si l’ARA est un succès – depuis son entrée en vigueur concrète, plus de 300 ARA ont eu lieu – force est de constater que le bilan du mécanisme de la césure est bien plus mitigé. Il permet pourtant une meilleure interaction entre les magistrats et les avocats lors du traitement d’un dossier contentieux. Sur initiative ou pas de l’avocat, le magistrat peut proposer aux parties de régler un point du dossier grâce à la médiation, le reste du litige étant traité par la voie judiciaire classique. Les auteurs préconisent davantage de pédagogie concernant ce mécanisme présenté comme particulièrement intéressant pour permettre d’accélérer le traitement des dossiers.
Notons d’ailleurs qu’un décret du 3 juillet 2024 est venu récemment étendre le mécanisme de l’ARA et de la césure à la matière commerciale, en permettant au juge des loyers commerciaux et au juge consulaire d’y avoir recours. Le rapport suggère en outre le développement de la procédure participative et de la procédure participative de mise en état.
Les acteurs de l’amiable
Afin que les diverses professions du droit s’impliquent dans ces mécanismes, le rapport préconise diverses actions. En premier lieu, auprès des magistrats qui doivent pouvoir s’approprier l’amiable, en disposant d’outils incitatifs. Citons ainsi des outils statistiques spécifiques dans Portalis, la généralisation des audiences spécifiques consacrées à l’amiable dans les ordonnances de roulement, ou encore la mise en place de conseils de juridiction dédiés. Côté avocat, il s’agit de créer des espaces d’échanges avec les magistrats et les greffiers pour développer la négociation, et d’inciter, par divers moyens, les avocats à envisager les solutions amiables pour leurs clients, grâce à de la formation et à la valorisation de l’intervention du conseil dans le processus amiable notamment. Les notaires pourraient quant à eux accéder à la fonction de magistrat à titre temporaire (MTT) pour les ARA et généraliser l’insertion de clauses de médiation dans les actes authentiques. Les commissaires de justice seront de leur côté incités à insérer des clauses de médiation obligatoire dans leurs actes.
Le rapport dresse le constat d’acteurs de l’amiable ayant encore trop tendance à travailler en silo alors qu’un dialogue entre les différentes professions serait sans aucun doute beaucoup plus fructueux. Les questions des rôles respectifs et des postures des conciliateurs et commissaires de justice sont d’ailleurs abordées plus en détail. Les auteurs rappellent que si la fonction de conciliateur est bénévole, ils manquent d’équipements et le niveau de remboursement des « menus frais » qui leur est octroyé est insuffisant pour faire face aux coûts réels et à l’inflation. Concernant les médiateurs, les ambassadeurs de l’amiable constatent que si le vivier est assez fourni pour répondre au développement du nombre de missions de médiations, la profession souffre d’un manque de reconnaissance, et le foisonnement des associations de médiation crée une impression de désorganisation.
Et après ?
Outre les recommandations spécifiques propres à chaque mode de règlement amiable ou à chaque profession, les ambassadeurs de l’amiable dressent le constat d’un paysage hétéroclite et changeant, au gré des appétences ou des réticences des chefs de juridiction du ressort. Ils demandent que la politique de l’amiable soit davantage structurée pour limiter ces effets, notamment avec la création d’une direction ou d’une sous-direction de l’amiable auprès de la Chancellerie. Les ambassadeurs appellent également à la création d’un(e) délégué(e) ministériel(le) chargé(e) de la politique de l’amiable avec mission de pilotage national en lien avec les juridictions et les services du ministère de la Justice, à la fixation d’une politique annuelle (nationale et/ou par ressort) avec des objectifs chiffrés en pourcentage ou en nombre de dossiers suivant la nature des dossiers par ressort et juridiction, ainsi qu’à la création d’une politique amiable interministérielle impliquant le ministère de la Justice, le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités.
Les auteurs du rapport, qui se félicitent que leurs visites auprès des juridictions aient enclenché ou recréé une dynamique de mobilisation des acteurs régionaux, insistent sur le fait qu’il est également indispensable de créer une véritable économie de l’amiable et en structurant davantage ce système, appelé à durer, afin de lui donner une cohérence.
L’incertitude politique et le changement de gouvernement ne permettent cependant pas d’appréhender quelles suites seront données à ce rapport, qui a au moins le mérite de dresser le constat de la situation actuelle.
Pour lire le rapport : www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2024-07/rapport_mission_ambassadeurs_amiable.pdf