Soft law et influence par le droit
La France a récemment adopté une stratégie d’influence par le droit pour la période 2023-2028. Cette stratégie, élaborée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères conjointement avec le ministère de la Justice, se décline en sept objectifs. « Accroître le poids du droit continental dans les normes internationales et régionales » est l’un d’entre eux. Décryptage avec Carine Doganis, avocat au barreau de Paris, intervenant comme conseil auprès d’organisations intergouvernementales à l’international.
Croyez-vous qu’une stratégie d’influence par le droit puisse véritablement avoir un impact ?
Bien sûr. Le droit est un levier d’influence considérable. On le constate sans même entrer dans un débat sur l’extraterritorialité du droit. À titre d’illustration, si l’on se réfère aux accords de Bretton Woods qui ont façonné le système financier international depuis 1944, lorsque la Banque Mondiale accorde un appui budgétaire à un État, le décaissement des fonds se fait par tranches selon des « conditionnalités », comme on dit. Ces « conditionnalités » peuvent porter sur la création d’une fonction d’audit interne ou encore sur la mise en place de dispositifs de contrôle interne et de maîtrise des risques. Mais elles peuvent aussi impliquer une série de réformes comme la révision du code de la commande publique ou du code minier. En fonction des intérêts en jeu et du rapport de force lors des négociations, un modèle, une tradition juridique, vont prédominer. C’est là que se manifeste concrètement l’influence par le droit. Son impact est substantiel puisqu’un cadre juridique national donné peut en être bouleversé.
Quid des velléités de « non-alignement »
affichées plus particulièrement par les BRICS1 ?
Derrière la volonté de « non-alignement » dont il a de nouveau été question lors du Sommet des BRICS des 22-24 août 2023 à Johannesburg, se profilent, en réalité, des stratégies antagonistes d’influence par le droit. La soi-disant neutralité est illusoire dans un monde interdépendant et globalisé. Autrement dit, ceux qui tentent de clouer au pilori les institutions financières internationales « traditionnelles » de Bretton Woods (dont le siège se situe à Washington) pour les remplacer par une « Nouvelle Banque de Développement » (ayant son siège à Shanghai) ne font que passer d’une sphère d’influence à une autre, avec toutes les implications juridiques que cela emporte. C’est pourquoi il est essentiel d’entretenir la concertation globale, dans l’esprit du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui s’est tenu les 22 et 23 juin 2023 à Paris.
N’est-ce pas finalement le règne de la soft law
qui est consacré ?
Oui, à l’évidence. Les « examens par les pairs » (peer reviews) que met en œuvre l’OCDE s’inscrivent dans cette logique. Au demeurant, il est remarquable que de plus en plus d’entreprises, notamment des sociétés du CAC 40, procèdent sur une base volontaire à la mise en conformité (compliance) de leurs processus avec des règles qui ne revêtent aucun caractère obligatoire. C’est une démarche que j’avais initiée il y a plus de dix ans maintenant au sein du groupe GDF Suez (devenu ENGIE), en référence à la norme ISO 26 000 portant lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale. Sans qu’il fût question de certification, il s’agissait d’identifier non seulement les risques, les faiblesses ou les axes d’amélioration mais aussi les opportunités, les atouts, les bonnes pratiques… Le droit souple (soft law) a encore de beaux jours devant lui !
Exit la codification, alors ?
Non, pas du tout. L’un n’empêche pas l’autre. Tout en proposant des « synergies interjuridictionnelles de droit souple », l’ouvrage que je viens de publier comporte de nombreuses dispositions de « codification prospective », dont a d’ailleurs pris connaissance la Commission supérieure de codification, placée sous la présidence de la première ministre. Je préconise, par exemple, une meilleure prise en compte des biens immatériels et des droits incorporels, par la révision de certains articles du code général de la propriété des personnes publiques et du code des procédures civiles d’exécution. Je suggère également que soit complété le code de procédure civile pour renforcer la loyauté des relations contractuelles. Face aux pratiques de « forum shopping » et aux manifestations d’une justice à deux vitesses, j’envisage une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) autour de la contrariété aux « règles du droit public international ». L’influence par le droit passe donc aussi par un renouveau du droit public des affaires. ν