Retour sur 20 ans de communication des avocats d’affaires
Charlotte Vier est l’associée fondatrice d’Avocom, la première agence de communication spécialisée dans les métiers du droit fondée il y a tout juste vingt ans. Pour l’occasion, elle livre une analyse détaillée de ces deux dernières décennies de communication des avocats d’affaires.
Comment était structuré le marché de la communication des avocats il y a vingt ans ?
Le marché était balbutiant au début du nouveau millénaire. Quelques cabinets avaient créé des postes en communication, mais les « dircoms » étaient encore peu nombreux à Paris : Florence Henriet chez Freshfields Bruckhaus Deringer, Cécile Paillard chez Clifford Chance, Marie-France de Rose chez Gide Loyrette Nouel, Nathalie Rehby chez UGGC & Associés. Il n’existait pas encore d’agence externe. Au début de mon activité, les cabinets d’avocats que je rencontrais manifestaient de la curiosité pour la communication et le marketing, souvent sans savoir très précisément de quoi il relevait. Et tous ne sautaient pas immédiatement le pas. L’implantation de nombreuses firmes anglaises en France au début des années 2000 a été déterminante dans l’essor de la communication sur le marché du droit. Déjà familiarisées aux classements, à travailler avec une presse spécialisée, elles sont arrivées à Paris avec leurs réflexes, leurs outils et leur stratégie de développement pilotée par la maison mère. La professionnalisation du secteur est ensuite allée très vite car les cabinets français et américains ont suivi le mouvement. L’offre a ainsi contribué à créer la demande et d’autres agences se sont rapidement structurées.
Le développement de la communication des avocats a donc été tiré essentiellement par les cabinets anglosaxons ?
Oui, très clairement ils ont donné l’impulsion ! Les cabinets américains installés à Paris dans les années 1990 étaient, pour l’essentiel, concentrés sur leur clientèle américaine. La communication sur le marché hexagonal ne les intéressait pas. Ils ont peu à peu développé leurs clients français et ont alors commencé à faire du marketing. Mais, longtemps, ces cabinets ont eu une approche assez conservatrice et très institutionnelle de la communication. En la matière, l’innovation venait clairement des firmes britanniques. Ce sont les premières à avoir modernisé leur identité ou imaginé des « tag lines ». Avec elles, nous avons promu le « parler client », c’est-à-dire une façon plus directe et opérationnelle de faire passer ses messages dans les différents supports de communication. Pour marketer leur offre et la rendre plus compréhensible à des non-juristes, elles ont également valorisé l’approche sectorielle. On a vu, dans les années 2000, se développer beaucoup d’initiatives qui étaient jusque-là l’apanage d’un cercle extrêmement restreint : événements, conférences en partenariat, prix étudiants pour attirer les talents… Cette décennie 2000-2010 a vraiment vu les choses bouger !
Qu’est-ce qui a changé depuis 2010 ?
Le déploiement des réseaux sociaux et notamment de LinkedIn à partir de 2011 a rebattu les cartes en entraînant une démocratisation du networking et en transformant l’audience de son cercle de proches en une audience potentiellement mondiale. Grâce au travail des communicants et des journalistes, les initiatives se sont démultipliées : portraits, classements, nouveaux formats événementiels et éditoriaux. Autant de façons de donner de la visibilité aux avocats d’affaires qui ont, pour la plupart, appris à se prêter au jeu. Mais ce foisonnement s’est fait au risque de saturer un peu les rédactions et autres vecteurs d’image. En effet, quand nous avons lancé Avocom, nous percevions, du côté de la presse quotidienne notamment, une appétence pour le décryptage de problématiques juridiques. Les journalistes étaient accessibles et prenaient le temps de rencontrer et d’échanger avec les avocats. Aujourd’hui, nous travaillons toujours beaucoup avec eux, mais ils sont très sollicités, leur travail s’est aussi profondément transformé avec le digital et l’ère de l’infobésité. Dans ce paysage effervescent, nous devons également tenir compte de nouveaux modèles économiques qui passent par la monétisation de l’accès à certains médias. Les relations presse ont donc dû se réinventer. Il faut travailler les sujets très en amont et surtout donner du sens aux messages portés par les cabinets.
Les avocats ont longtemps été persuadés qu’ils ne pouvaient pas communiquer. Qu’en est-il en réalité ?
Les institutions représentant la profession ont sans doute attisé cette confusion. Mais depuis les décrets de 1991, les avocats ont parfaitement le droit de communiquer sur leur pratique, dans la limite des principes de leur serment.
Quelles perspectives pour la communication des avocats de demain ?
Les cabinets doivent penser à long terme et réfléchir aux fondamentaux de leur structure à l’horizon cinq ans et même dix ans. C’est un vrai projet d’entreprise qu’il convient de structurer avant de penser stratégie d’image. La communication est au service du projet de développement, pas l’inverse ! Il faut être ensuite un peu audacieux et inventif et ne pas se contenter de réflexes mimétiques comme on le constate dans la course aux classements. Ceux-ci jouent bien sûr leur rôle dans le marché actuel, mais d’autres territoires de communication doivent être investis : la marque employeur, par exemple, pour attirer et garder les talents. Les cabinets doivent aussi aller au-devant des attentes des clients. Il existe de vrais enjeux autour des outils de dialogue avec les clients. Les avocats devraient prendre le temps de l’écoute sur le business d’aujourd’hui et de demain des entreprises qu’ils accompagnent. Dans cette démarche, il est essentiel aussi de s’interroger sur les schémas de circulation de l’information. Entre avocats déjà, mais également avec leurs communicants. Les services de BD et de communication sont encore trop souvent placés en bout de course des projets. C’est une erreur selon moi, car ces professionnels peuvent faire progresser la réflexion au sein des cabinets, apporter un regard légèrement différent sur la relation client, l’offre et enrichir la vision des avocats. C’est en multipliant les échanges que naissent la créativité et la valeur ajoutée qui sont aujourd’hui indispensables pour se distinguer dans un marché qui est devenu très compétitif.