Rapport du HCJP sur l’extraterritorialité du droit de l’UE
Le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) a récemment publié un rapport sur l’extraterritorialité des textes européens. Il est issu des travaux d’un groupe de praticiens présidé par Francesco Martucci, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas, et Pierre Minor, associé du cabinet Coat Haut de Sigy de Roux. L’objectif de cette étude est d’analyser dans quelle mesure les dispositions du droit européen peuvent s’appliquer et produire des effets à l’égard de personnes, de biens ou de services situés en dehors du territoire des États membres de l’Union européenne. Cinq pistes de réflexion sont proposées afin d’assurer l’effectivité des mesures extraterritoriales décidées par l’Union.
Comme à son habitude, le HCJP a publié une analyse très détaillée et de grande qualité. Cette fois-ci, il s’interroge sur l’extraterritorialité des dispositions du droit européen. Car en 2021, la Commission européenne a manifesté sa volonté de « renforcer le rôle de l’Union européenne sur la scène mondiale »1. Une ambition qui passe nécessairement, dans le monde d’aujourd’hui, par l’application extraterritoriale des mesures législatives, réglementaires et des décisions administratives ou juridictionnelles. « L’extraterritorialité peut être un vecteur de promotion des valeurs et des intérêts européens, en exigeant des sujets de droit de pays tiers le respect de règles et standards économiques et extra-économiques (droits de l’Homme, environnement, données personnelles, etc.) », rappelle d’ailleurs le rapport dans son introduction. Un sujet qui a une portée politique car l’extraterritorialité peut revêtir une dimension protectrice (il s’agit alors d’un instrument de défense des entreprises européennes contre des normes étrangères moins exigeantes que celles en vigueur dans l’Union), ou offensive (le droit est alors conçu comme un vecteur de promotion des valeurs européennes qui s’impose aux sujets des pays tiers). Le groupe de travail a donc renvoyé aux responsables le choix de décider les modalités selon lesquelles les dispositions de droit de l’Union seraient applicables à des entités de pays tiers, pour mieux se concentrer sur le cadre juridique dans lequel ces textes peuvent revêtir une portée extraterritoriale.
Le cadre du droit international
Du point de vue du champ d’application des dispositions extraterritoriales de l’UE, les principes de compétence personnelle et territoriale ne présentent pas de difficultés puisque les textes s’appliquent aux établissements présents sur le territoire, ou réalisant des activités dans le marché intérieur. Des questions se posent cependant quant à l’extension du droit de l’Union à des entreprises de pays tiers pour des comportements adoptés en dehors du territoire des États membres. Le groupe de travail vise par exemple des dispositions relatives à la gouvernance, à la RSE ou au reporting financier pour lesquelles il suggère d’apprécier des liens de rattachement fondés « sur la seule présence économique dans l’UE que peut caractériser la réalisation d’un certain chiffre d’affaires dans le marché intérieur ou encore la cotation de la société sur un marché financier dans l’UE ». Il pourrait également s’agir d’opter pour d’autres critères plus précis, comme le comptage des salariés, ou de recourir aux clauses contractuelles imposant les principes de droit européen ou les pouvoirs de l’autorité compétente au sein de l’Union. Et de noter que certaines de ces dispositions extraterritoriales participent déjà à la réalisation d’objectifs poursuivis par le droit international – à l’instar du devoir de vigilance européen. « Placer le dispositif dans l’orbite du droit international ou de standards internationaux s’avère essentiel, aussi bien pour le justifier en amont du point de vue de l’exercice des compétences, qu’en aval du point de vue de son efficacité, sauf à devoir limiter les obligations de transparence et de prévention au seul territoire de l’UE », précise le rapport.
Comment garantir l’effectivité du droit de l’Union ?
En cas de manquements aux textes édictés, des dispositifs de sanction devraient être édictés. Il pourrait notamment s’agir d’interdire aux entreprises situées dans l’espace européen de commercer avec les groupes étrangers récalcitrants, voire de leur refuser l’accès aux marchés publics dans les États membres, ou encore de proscrire aux investisseurs européens la détention de leurs titres. Et le groupe de travail d’analyser la compatibilité de telles mesures avec les accords de l’OMC, les accords de libre-échange ou d’association, et de rappeler que les mécanismes de « soft responsability » seraient envisageables, comme la publication de listes d’entreprises en non-conformité. « Le législateur de l’Union peut en outre renforcer le private enforcement afin de permettre plus facilement aux particuliers de mettre en cause la responsabilité des entreprises de pays tiers devant les tribunaux des États membres », ajoute le rapport. À l’instar de ce qui a été édicté en droit de la concurrence, par une directive du 26 novembre 2014 fixant les règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national, il pourrait être laissé aux États membres, pour d’autres violations du droit de l’UE, le soin de désigner les juges compétents et de déterminer les procédures applicables, voire de protéger les lanceurs d’alerte. La méthode répressive américaine, même si elle est reconnue comme indéniablement efficace grâce à la puissance de frappe du DoJ, s’avère pour sa part « peu réaliste, eu égard aux obstacles juridiques existants », notamment à cause d’une compétence pénale du Parquet européen limitée. Le groupe de travail s’interroge néanmoins sur la création en droit de l’Union de procédures de settlement, ou de modalités transactionnelles de règlement des litiges. « Le meilleur moyen d’éviter les difficultés de mise en oeuvre des mesures et sanctions européennes à l’encontre d’entités de pays tiers est de développer la coopération internationale », en conclut le groupe de travail.