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Rapport Clay/Ancel sur l’arbitrage : les débats sont ouverts

Par Anne Portmann

Remis le 20 mars 2025 au garde des sceaux, le rapport du groupe de travail sur la réforme du droit français de l’arbitrage, co-présidé par le magistrat François Ancel et le professeur Thomas Clay, avec le concours de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS), a été publié le 26 mars sur le site de la Chancellerie et suscite déjà la polémique. Il propose l’adoption d’un code de l’arbitrage, qui comporte 146 articles et 40 propositions pour rendre l’arbitrage plus autonome, plus efficace et plus attractif. Interview de Marc Henry, associé du cabinet FTMS, qui préside l’Association Française d’arbitrage (AFA) et membre du groupe de travail.

Les propositions du groupe de travail répondent-elles aux reproches qui étaient formulés, ces derniers temps à l’encontre de l’arbitrage, à savoir qu’il est long, complexe et coûteux ?

C’est en effet l’objectif du projet de réforme que de répondre à ces griefs. Pour autant le groupe de travail n’a pas voulu faire « table rase » du passé, mais s’appuyer sur l’existant pour l’améliorer en donnant à la procédure d’arbitrage davantage de clarté, de lisibilité et d’attractivité. On passe, en quelque sorte, de l’art roman à l’art gothique. Le projet de code de l’arbitrage comporte 146 articles, mais en réalité, seulement 67 sont consacrés au droit arbitral lui-même, les autres articles concernent principalement les voies de recours. L’idée a été de rassembler les textes applicables en un seul corpus indépendant pour formaliser l’autonomie de l’arbitrage et ne plus enfermer l’arbitrage dans une enclave de procédure civile. Le code se suffit à lui-même sans qu’il soit besoin de consulter d’autres textes. Cela permet aussi d’assurer plus facilement la promotion à l’étranger de la vision française de l’arbitrage. Pour ce qui est de l’efficacité, le groupe de travail a voulu renforcer les pouvoirs du juge d’appui – que nous avons hésité à renommer juge de l’arbitrage- et pour le contentieux, en arbitrage international, le concentrer à Paris. S’agissant du coût, il est proposé de remédier à la situation d’impécuniosité des parties, qui peuvent se retrouver en difficulté financière, en permettant au juge d’appui de prononcer toute mesure pour mettre en œuvre la procédure d’arbitrage. Par exemple, le juge d’appui pourra proposer aux parties de passer de 3 arbitres à un seul ou de désigner un arbitre acceptant des conditions financières diminuées en accord avec les parties. C’est un signal fort pour garantir l’accès à la justice arbitrale. Est également prévue la possibilité pour le tribunal arbitral de consolider des demandes fondées sur plusieurs contrats dans une procédure arbitrale unique en application d’une ou plusieurs conventions d’arbitrage. Le tribunal arbitral pourra aussi liquider une astreinte qu’il a prononcée, ce qui est actuellement impossible. Le groupe de travail a encore, après des discussions assez nourries, décidé d’exclure l’appel en arbitrage interne, comme en matière internationale. Il a été considéré que si les parties choisissent l’arbitrage, ce n’est pas pour aller au judiciaire en appel.

Des critiques envers le rapport se sont d’ores et déjà exprimées…

Sur ce point, je voudrais souligner que le groupe de travail était constitué de spécialistes de l’arbitrage, magistrats, universitaires, avocats et représentants d’institutions arbitrales. Il rassemblait des sensibilités très différentes et nous avons travaillé de manière intense, rapide et efficace, avec des débats particulièrement nourris reflétant les différents courants au sein de la communauté arbitrale. Nous étions répartis en quatre sous-groupes de travail, chacun a rendu un rapport. Nous avons sollicité des magistrats, professeurs, avocats en dehors du groupe et avons reçu des contributions spontanées. Au cours des réunions de travail, des propositions ont été défendues, qui n’ont pas fait consensus et n’ont donc pas été retenues. Au final, le rapport est très objectif et constitue pour cette raison, à mon avis, un remarquable travail.

Quelles autres évolutions marquantes suggère le groupe de travail ?

L’une des plus marquantes est la suppression de la dichotomie entre arbitrage interne et arbitrage international. Lors de la réforme de 2011, la question s’était déjà posée de la pertinence de maintenir ce régime dualiste, que l’on a finalement justifié par le fait de pouvoir communiquer, à l’international, sur des dispositions dédiées. Mais il n’y a, aujourd’hui, sauf quelques exceptions pour l’arbitrage interne, plus de raison de distinguer les régimes. Un code de l’arbitrage permettrait à la France d’être une nouvelle fois innovante et moteur en symbolisant une vision moniste, cohérente et autonome de l’arbitrage. C’est cette même vision qui a guidé le groupe de travail pour faire évoluer la notion, un peu obsolète de « commerce » et la remplacer par celle d’« économie », de surcroît plus pertinente lorsqu’il s’agit d’arbitrage international. Enfin, la promotion d’un arbitrage « à la française », passe également par l’affirmation des valeurs fondamentales. Ainsi l’article préliminaire du code de l’arbitrage assoit cette conception de l’arbitrage et grave, en quelque sorte, dans le marbre, la conception moderne de l’arbitrage à laquelle nous croyons. Plusieurs principes directeurs de l’arbitrage sont affirmés, comme le devoir d’indépendance et d’impartialité des arbitres de manière positive : il était temps. Le principe de confidentialité, qui est aujourd’hui prévu seulement pour l’arbitrage interne, est également consacré, ainsi qu’un principe de proportionnalité dans l’organisation des procédures arbitrales, jusqu’ici présent dans certains règlements d’arbitrage seulement. Ce principe pourra conduire à adapter la procédure d’arbitrage à la complexité du litige. Bien sûr, les principes d’égalité, de bonne foi de célérité et de loyauté sont aussi réaffirmés.

Quelles sont les suites qui vont être données à ce texte ?

Le groupe de travail a été chargé d’élaborer un projet qui est désormais dans les mains du ministère de la Justice. Ce travail appelle un débat public, qui va débuter dès mardi 8 avril prochain dans le cadre de la Paris Arbitration Week, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Toutes les personnes intéressées pourront venir, poser des questions, faire des remarques. L’idée est de porter un projet de réforme, qui dans la manière dont son élaboration et la consultation auront été conduites, permettrait de le faire aboutir dans des conditions optimales.