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Quelle évolution de la position des directions juridiques ?

Par Anne Portmann et Ondine Delaunay

L’Association of corporate counsel (ACC) a publié, fin janvier 2025, sur son site internet, les résultats de la 26e enquête réalisée auprès des directeurs juridiques. Elle analyse les tendances, marquées par le dépassement de la sphère strictement législative et réglementaire pour les directions juridiques en Europe en 2024.

L’enquête a été réalisée cette année auprès de de 772 directeurs juridiques issus d’entreprises qui couvrent 20 secteurs d’activité et 48 pays. Elle donne une image de l’évolution du rôle des directeurs juridiques au sein de ces organisations. Au niveau global, l’enquête met en lumière les tendances principales qui se retrouvent en Europe. Elle est complétée d’un intéressant article publié sur le site d’ACC, rédigé par Stephen Mar et Mark Roellig.

Les résultats de cette enquête sont sans ambages : les directeurs juridiques ont de plus en plus tendance à étendre leur rôle au-delà des questions juridiques stricto sensu. L’extension est particulièrement marquée en Europe, notamment au regard des réglementations RGPD et ESG. Ainsi, quelque 71 % des DJ interrogés indiquent superviser d’autres fonctions comme les risques (37 %), la conformité (65 %), l’éthique et l’ESG (19 %), les relations avec les autorités (21 %), les affaires publiques (11 %), la confidentialité (39 %) ou la cybersécurité (13 %), ou encore l’immobilier et les installations d’entreprise (12 %), voire la sécurité physique des personnes (8 %). Des données très intéressantes, notamment du point de vue des affaires publiques. La rédaction de la LJA constate en effet, depuis quelques mois, la montée de ces questions dans la sphère juridique. Le general counsel d’Airbus, John Harrison, chapeaute depuis un an les affaires publiques, en plus du juridique et de la conformité. D’autres directeurs juridiques sont même directement issus de la sphère des affaires gouvernementales. à l’image de Tanguy Marziou, ancien head of government affairs de Fedex France, qui a été nommé, il y a un an, au poste de directeur juridique France. Mais aussi de Nicolas Brahy, ancien lobbyiste devenu general counsel de Hy24.

 

L’enquête ACC révèle aussi que quelque 16 % des DJ occupent même le poste de DRH au niveau mondial. Sans surprise, 55 % des directeurs juridiques supervisent la fonction de secrétaire général au niveau mondial. Selon l’article d’ACC qui commente les résultats de l’étude, cette harmonisation apparaît logique puisque le secrétaire général a pour fonction de protéger l’entreprise et le conseil d’administration et doit s’assurer que ce dernier prend des décisions conformes à la réglementation. 

 

Par ailleurs, quelque 79 % des DJ disent désormais reporter directement au CEO ou PDG. C’est, comme l’on s’y attend, un trait plus marqué aux États-Unis (83 %) et moindre en Australie (57 %), mais le pourcentage est croissant en Europe (73 %) où 58 % des DJ disent être consultés sur les fusions-acquisitions et sur les questions de stratégie globale. Notons qu’en Europe, parmi les DJ qui ne relèvent pas du PDG, 59 % relèvent du DAF.

Parmi les sujets stratégiques qui préoccupent les DJ européens, l’enquête identifie l’efficacité opérationnelle, citée par 42 % des DJ du Vieux continent, préoccupés par les exigences croissantes en matière de conformité, notamment. L’enquête révèle par ailleurs que les DJ souhaitent développer davantage le « sens des affaires » au sein de leur département, en formant leurs juristes à la compréhension des mesures financières, à la connaissance des marchés et à l’influence de la géopolitique. Selon 59 % des DJ interrogés, c’est une compétence à stimuler.

 

Dans leur article, Stephen Mar et Mark Roellig prodiguent des conseils aux directions juridiques pour se positionner au-delà du juridique au sein de leur organisation interne. « Pour que le PDG ou le conseil d’administration ait confiance dans l’élargissement de votre rôle, la compétence la plus importante que vous devez afficher est votre capacité à diriger – et plus particulièrement, à ajouter de la valeur commerciale au-delà du savoir-faire juridique au sein de l’équipe de direction », écrivent-ils. Ils poursuivent : « Le signe le plus important d’un bon leadership est l’intelligence émotionnelle : les soft skills que sont le jugement, l’innovation, la créativité, l’adaptabilité, l’empathie, l’écoute, la cohésion d’équipe et les compétences connexes ».

La conformité, un sujet clé

Le rapport souligne, en outre, un accroissement du volume et des coûts des litiges et des enquêtes internes. Si l’augmentation des litiges est constatée par 44 % des personnes interrogées au global, ce sont 58 % des DJ européens qui soulignent cette tendance. La hausse des coûts est quant à elle mentionnée par 60 % du total des personnes interrogées. Mais alors qu’au niveau global, l’une des préoccupations des DJ semble être le manque de moyens humains au sein des départements juridiques (33 % de l’ensemble des personnes interrogées), les équipes européennes citent plus volontiers en premier la complexité législative et réglementaire et les questions liées à la conformité. Le manque d’effectif n’est pas leur priorité. Cet accroissement de la pression réglementaire a cependant des effets au niveau global puisque selon l’enquête, 23 % des entreprises interrogées dans le monde ont fait l’objet d’une enquête liée à la conformité au cours de l’année écoulée, contre 19 % en Europe. Ces sujets de conformité semblent d’ailleurs être l’une des raisons du recours accru à des cabinets d’avocats externes (53 % des DJ y ont recours). Ces derniers seraient sollicités pour leurs connaissances sur le RGPD, mais aussi le commerce international et la gouvernance de l’IA.

Nouvelles technologies

C’est également une des tendances au sein des départements juridiques relevée dans cette étude. Quelque 62 % des DJ européens et 44 % au global envisagent d’implanter des outils issus des nouvelles technologies, dont la majorité concernent la gestion des contrats (62 %), la gestion documentaire (32 %) et les flux de production (26 %). Les entreprises européennes ont tendance à investir dans des outils de conformité pilotés par l’IA pour faciliter le traitement des questions complexes liés à la réglementation.