Connexion

Premiers retours d’expérience de l’audience de règlement amiable

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Applicables aux instances introduites à compter du 1er novembre 2023 devant les tribunaux judiciaires, les audiences de règlement amiable (ARA) commencent à s’y mettre en place, notamment à Paris. L’expérimentation devrait être étendue rapidement à d’autres juridictions. Constance de Garidel-Thoron, counsel au sein du cabinet Taylor Wessing, en détaille la pratique.

Les procédures amiables existent en France depuis de nombreuses années, mais selon
la Chancellerie elles sont encore relativement peu utilisées. Partagez-vous ce constat ?

La « politique de l’amiable » est l’une des priorités de la Chancellerie dans les juridictions pour l’année 2024. L’objectif annoncé est de réduire par deux les délais de nos procédures civiles d’ici 2027. La direction des affaires civiles et du Sceau a appelé de ses vœux un nécessaire changement de modèle et de culture. Le rapport sur la justice du xxie siècle affirme en effet qu’en France 1 % seulement des affaires portées devant le juge feraient l’objet d’une médiation alors qu’au Québec 9 affaires judiciaires sur 10 se termineraient à l’amiable. Ce chiffre de 1 % ne prend cependant pas en compte les nombreuses résolutions de litiges qui se font à l’amiable entre des parties auxquelles leurs avocats conseillent de transiger plutôt que de porter l’affaire en justice. Par principe, ces affaires n’étant jamais judiciarisées, leur résolution ne rentre pas dans les statistiques. La culture de l’amiable est donc bien plus présente en France que les chiffres du rapport sur la justice du xxie siècle pourraient le laisser penser.

Il est vrai cependant que les modes amiables de règlements des litiges (MARL) sont assez peu utilisés en pratique.

Pourquoi était-il intéressant d’ajouter l’ARA
à la panoplie d’outils existants ?

Contrairement à la médiation ou à la conciliation, l’ARA intervient nécessairement après saisine du juge et sur son initiative. Le juge peut orienter les parties vers une ARA à tout moment de la procédure. Aux référés du tribunal judiciaire de Paris, ce renvoi en règlement amiable a parfois lieu après que les plaidoiries ont été entendues. Le renvoi peut par ailleurs avoir lieu d’office, alors même qu’une des parties, ou toutes, s’y opposerait.

L’ARA en tant que telle se tient devant un juge distinct de celui saisi du litige et dont le rôle n’est pas de statuer mais de faciliter la recherche d’un accord. Il peut entendre les parties, assistées de leurs avocats, ensemble comme séparément. Le tout sous le bouclier de la confidentialité.

Quel est l’avantage de l’ARA par rapport
aux MARL classiques ?

L’un des atouts de l’ARA par rapport aux MARL plus classiques tient à la personne du conciliateur et à son statut. Étant juge, il peut indiquer aux parties avec plus d’autorité qu’un conciliateur traditionnel, connaissance prise des pièces et des conclusions échangées, le cadre juridique applicable, loi et jurisprudence constante. Il devra cependant se garder de tout pronostic sur l’issue de l’affaire. Cette frontière, floue, peut être difficile à observer. Mais les éclaircissements du magistrat pourront amener les parties à mieux voir l’intérêt de l’accord.

Autre avantage comparatif de l’ARA : si elle est bien encadrée, elle ne favorisera pas les comportements dilatoires. Lorsqu’il oriente en audience de règlement amiable, le juge saisi du litige peut en effet anticiper les conséquences de son éventuel échec et fixer une date de renvoi à laquelle l’affaire sera rappelée devant lui. La procédure pourra alors suivre son cours.

Certains praticiens avaient pourtant émis des réserves tenant à la durée potentiellement très longue de l’ARA…

Si ce renvoi devant le juge saisi du litige est proche, les parties n’ont aucun intérêt à utiliser l’ARA en la détournant de son objectif, dans le seul but de retarder une décision. La pratique mise en place à ce jour par les juges des référés du tribunal judiciaire de Paris sert cet objectif : la date de l’ARA, comme la date de renvoi, est proche de l’audience initiale. Ainsi en cas d’échec de l’amiable, aucun temps n’aura été perdu ou très peu.

Tout dépendra évidemment des dossiers et de leur complexité. Si la circulaire du 17 octobre 2023 préconise de ne pas dépasser une journée, ce qui est en effet très long pour une seule affaire, il est probable qu’en pratique ce sera exceptionnel. Pour les dossiers de référé, des créneaux d’une heure ou deux sont prévus et semblent largement suffisants pour voir si un accord est envisageable.

Tout dépendra aussi de l’issue de l’audience. Si les bases d’un accord sont posées, du temps aura nécessairement été gagné par les parties et leurs conseils, qui n’auront plus qu’à le formaliser. Du temps aura aussi été gagné du côté des juridictions. Pour deux heures perdues par le magistrat tenant l’ARA, combien de plus gagnées pour le magistrat saisi du litige qui n’aura pas à rédiger de décision. Sans compter la nécessaire décharge qui s’ensuit pour la cour d’appel et la Cour de cassation, qui n’auront jamais à connaître de cette procédure.

Les craintes sur la durée de l’ARA pourraient donc ne pas s’avérer fondées. Sans compter que si les parties trouvent un accord pendant l’audience, les choses peuvent aller très vite : le juge qui tient l’ARA a la possibilité de constater immédiatement l’accord en question, auquel il pourra être conféré force exécutoire. La pratique de la procédure civile pourrait donc vraiment changer avec l’ARA, la Chancellerie et les juges semblant déterminés à utiliser ce nouvel outil de la panoplie de l’amiable.

Pour autant l’amiable en général et l’ARA en particulier peuvent-ils être autre chose qu’un mode de résolution des litiges complémentaire ?

L’ARA ne pourra se développer qu’avec plus de moyens, notamment humains, accordés à la justice. Elle mobilise de fait un magistrat. La France comptait selon le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice 11,16 juges professionnels seulement pour 100 000 habitants contre 25,01 en Allemagne. Tout ceci doit donc s’articuler avec la volonté annoncée lors des États généraux de la justice de recruter davantage de magistrats.