Pas d’obstacle constitutionnel au cumul de sanctions administratives en droit de la concurrence
Le Conseil constitutionnel a rendu, le 25 mars 2022, une décision tranchant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et jugé que le cumul de sanctions administratives en cas de manquements en concours, prévu par l’article L. 470-2, VII du code de commerce, est conforme à la Constitution. Explications de Denis Redon, associé, CMS Francis Lefebvre.
Dans quel contexte cette décision est-elle intervenue ?
La demande de QPC avait été formée, devant le Conseil d’État, par Eurelec trading, qui avait été condamnée à une sanction administrative d’un montant de 6 340 000 €, prononcée par l’administration économique, pour ne pas avoir respecté le formalisme des conventions uniques conclues avec des fournisseurs. Il était notamment reproché le non-respect du délai de signature de telles conventions au 1er mars. Eurelec a exercé un recours devant le tribunal administratif de Paris, qui avait soulevé une QPC transmise par le Conseil d’État, lequel l’a jugée sérieuse et l’a renvoyée au Conseil Constitutionnel. La société ITM Alimentaire international, qui avait écopé d’une amende administrative d’environ 19 M€ sur le même fondement, est intervenue devant le Conseil constitutionnel, à l’appui de la demande de QPC formée par Eurelec.
Quels arguments étaient soulevés par les demandeurs ?
L’article L. 470-2 vii du code de commerce édicte que « Lorsque, à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement ». Les demandeurs ont soulevé 3 séries d’arguments. Ils ont d’abord soutenu que ces dispositions violaient le principe de proportionnalité en ne prévoyant aucun plafond au cumul. À l’appui de ce grief, les demandeurs relevaient qu’avant d’être modifiée par la loi Sapin ii de 2016, la version antérieure du texte comportait d’ailleurs la précision selon laquelle les sanctions s’exécutent « dans la limite du maximum légal le plus élevé ». Ces dispositions étaient également, selon eux, contraires au principe de légalité des délits et des peines, faute d’une définition dans la loi de la notion de « manquements en concours », et enfin, elles n’étaient pas compatibles avec le principe non bis in idem, en vertu duquel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. Ce principe est applicable aux amendes administratives relevant de la matière pénale.
Qu’a répondu le Conseil constitutionnel ?
Les Sages, dans une décision remarquablement brève, répondent clairement, qu’en cas de manquements distincts, rien n’interdit de cumuler les sanctions administratives dans la mesure où aucune exigence constitutionnelle ne l’impose. La réponse n’allait pas de soi et il s’agit donc là d’une clarification. En pratique, il restera encore à discuter au cas par cas du caractère distinct ou non des manquements. Si la décision confirme donc la possibilité de cumuler les sanctions en cas de manquements distincts, elle rappelle la faculté d’appréciation de ces manquements, de leur gravité ou de leur répétition, le tout sous le contrôle du juge. La limite est fixée par la règle de proportionnalité.
Pensez-vous que cette solution puisse être étendue à d’autres secteurs ?
C’est difficile à dire, dans la mesure où la QPC portait spécifiquement sur les sanctions prévues par l’article L. 470-2 du code de commerce, lequel, rappelons- le, vise, outre le respect des règles de formalisme des conventions uniques, d’autres manquements en matière de droit économique. Nous verrons comment les conséquences de cette décision seront mises en oeuvre par les juges du fond et quelle sera sa portée, mais elle clarifie le point de savoir si l’on pouvait sanctionner plusieurs fois des manquements distincts de nature identique. En conclusion, on perçoit d’ores et déjà l’importance de la détermination du caractère distinct des manquements.