Observatoire de la profession d’avocat : de plus en plus d’insatisfaits
L’Observatoire de la profession d’avocat, qui s’apprête à fêter ses 20 ans d’existence, a publié son enquête sur l’état de la profession. Réalisées tous les trois ans, ces enquêtes de typologie permettent de prendre une photographie de la profession et de son évolution depuis la dernière mouture.
Effectuée auprès de 552 avocats entre mars et avril 2021, avec l’institut CSA, et complétée par une phase qualitative consistant en une série d’entretiens, cette étude a été dévoilée lors de l’assemblée générale du CNB du 19 novembre 2021. Elle a permis de classer les répondants en 4 classes d’individus homogènes et distinctes à savoir : les premiers de cordée (14 % des avocats), les avocats traditionnels (une majorité de 40 %) les nouveaux avocats (28 %) et les insatisfaits (18 %). Pour mémoire, alors que la dernière enquête du genre, réalisée en 2017, mettait en avant des profils d’avocats entrepreneurs, augmentés, créatifs et engagés, cette nouvelle mouture, post-pandémie, s’est focalisée sur la satisfaction des avocats dans leur vie professionnelle.
Profil de chaque typologie
Pour les besoins de la présentation, le CNB a créé des profils fictifs d’avocats que nous allons détailler. La première catégorie, celle du « premier de cordée » est composée à 61 % d’hommes, âgés de 35 à 49 ans (36 %), associés (43 %). Sa clientèle est constituée à 77 % d’entreprises. « L’avocat traditionnel » est plutôt une femme (56 %), qui a passé les 50 ans (45 %), exerce en individuel (50 %), a une clientèle bien distribuée entre entreprises et particuliers (respectivement 40 et 41 %). Le troisième profil qui ressort de l’étude est celui des « nouveaux avocats », très majoritairement de sexe féminin (66 %), et âgés de moins de 35 ans. Quelque 70 % d’entre eux sont collaborateurs et exercent en très grande majorité à Paris (67 %). Leur clientèle est principalement constituée d’entreprises (53 %), mais aussi à 29 % de particuliers. Le dernier groupe est celui des « insatisfaits », au sein duquel on trouve 60 % de femmes, en majorité de plus de 50 ans (54 %), qui exercent à titre individuel (54 % également). Environ 60 % de la clientèle est composée de particuliers et la moitié vit en région parisienne. On notera que 4 % d’entre eux exercent Outre-mer. L’étude détaille ensuite, pour chacun des profils, les points positifs et négatifs qui sont ci-après synthétisés.
Les premiers de cordée
Au sein de ce groupe, les personnes interrogées expriment leur vive satisfaction (88 % d’entre elles sont très satisfaites de leur situation). Elles gagnent très bien leur vie : quelque 94 % se déclarent satisfaites de leur rémunération et 48 % très satisfaites, même si en contrepartie elles travaillent beaucoup et sont très disponibles pour leurs clients (96 % contre 83 % de l’ensemble). L’activité de conseil est majoritaire et ces personnes côtoient souvent des clients étrangers (61 % dans le groupe contre 43 % dans l’ensemble). Dans leur exercice, ils indiquent à 85 % ne pas avoir été injuriés, menacés, agressés, harcelés ou discriminés, alors que sur l’ensemble 58 % seulement sont d’accord avec cette proposition.
Optimistes pour leur propre avenir, les personnes de cette catégorie le sont aussi, dans une moindre mesure pour la profession. Elles ont un sentiment d’utilité et estiment pouvoir apporter une plus-value à leurs clients, en misant, notamment sur la spécialisation. Ces profils se projettent dans l’avenir sans envisager de changements professionnels majeurs, seulement 16 % prévoient de quitter la profession, et 13 % de changer de cabinet. Ces profils estiment que la transformation numérique des cabinets constitue une opportunité. Les personnes de ce groupe sont ouvertes à une forme d’évolution et de formation, notamment pour approfondir des domaines de compétences, même en dehors du domaine juridique pur (communication, recherche de clientèle, etc.). Dans cette catégorie, 44 % ont touché plus de 80 000 € en 2019.
Les avocats traditionnels
Les personnes de ce groupe exercent davantage en contentieux, même si elles dispensent aussi des conseils, majoritairement seuls. Elles expriment, elles aussi, de la satisfaction quant à leur situation professionnelle (97 % contre 80 % pour l’ensemble) et attachent notamment de l’importance à leur indépendance. Elles ont aussi un sentiment d’utilité. Pour autant, elles constatent et regrettent la paupérisation de la profession et les dysfonctionnements des juridictions. Elles se disent peu satisfaites de leur rémunération qu’elles estiment trop faible, en lien avec l’augmentation de leur activité sur des dossiers d’aide juridictionnelle. Elles trouvent cependant des compensations dans la grande liberté d’organisation dont elles disposent. Concernant leur exercice, ces personnes sont occasionnellement confrontées à des violences émanant de leurs clients et déplorent la déconsidération du statut de l’avocat. Leur activité est restée stable avec le Covid et même si elles sont optimistes, elles émettent tout de même des réserves quant à l’avenir de l’exercice individuel. Ces profils, souvent proches de la retraite, ne prévoient pas de reconversion professionnelle (14 % seulement envisagent de quitter la profession, 12 % de se spécialiser et 17 % de changer de cabinet), mais considèrent nécessaire de se former pour être à jour des évolutions rapides dans toutes les matières et pour travailler de concert avec d’autres professions du droit. Exerçant des activités plus variées, et notamment la médiation, ils sont plus sensibles aux questions d’interprofessionnalité (31 %).
Les nouveaux avocats
Pour l’essentiel constitué de jeunes femmes collaboratrices, ce groupe travaille surtout en contentieux, majoritairement avec des entreprises. La volonté d’aider et d’accompagner les clients est très prégnante dans cette catégorie, consciente cependant du fait que l’image commune de l’avocat ne correspond pas à la réalité du travail accompli au quotidien. Les nouveaux avocats sont plutôt satisfaits de leur situation (87 %) mais regrettent toutefois de n’avoir pas plus de temps libre. On notera un point d’insatisfaction plus marqué dans ce groupe relatif aux questions d’égalité de traitement entre hommes et femmes (48 % d’insatisfaction contre 28 % sur l’ensemble). Les personnes interrogées expriment leur volonté d’étendre leur activité et sont globalement confiantes sur l’avenir de la profession et très optimistes, tant globalement que par rapport à leur situation particulière, estimant même que la situation s’est améliorée depuis la pandémie. Le groupe est composé de personnes qui aspirent à se former dans plusieurs domaines, mais qui attendent aussi de la profession qu’elle les accompagne dans leur évolution de carrière. Elles sont attentives à l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle et se disent conscientes de l’évolution technologique et de son rôle dans la profession mais n’en sont pas inquiètes, estimant plutôt, à l’instar des premiers de cordée, qu’il s’agit d’opportunités. En revanche, les personnes de ce groupe ont beaucoup moins de certitudes quant à leur avenir. Elles ne se voient pas exercer la profession durant toute leur vie et souhaitent pouvoir évoluer. Ainsi, 65 % pourrait quitter la profession, contre 36 % sur l’ensemble, 61 % se spécialiser dans un autre domaine et 63 % s’associer à d’autres avocats individuels.
Les insatisfaits
La dernière typologie identifiée dans l’étude rassemble des avocats expérimentés plutôt âgés, et ayant une grande sensibilité au contact humain avec une clientèle majoritairement composée de particuliers. Ces personnes regrettent la disparition d’une certaine forme d’exercice, liée à l’oralité et à l’industrialisation du métier. Elles expriment leur insatisfaction (80 % contre 19 % pour l’ensemble, avec 15 % de personnes pas du tout satisfaites), surtout quant à leur niveau de rémunération qui leur paraît en inadéquation avec leur expérience. Ces avocats se plaignent d’épuisement psychologique, causé notamment par de nouveaux outils comme le RPVA face aux dysfonctionnements desquels ils sont impuissants. Ces avocats regrettent la dégradation des relations avec les autres professions du droit, notamment avec leurs confrères pour 36 % et avec les magistrats pour 49 %, ainsi qu’avec leurs clients (16 %). Ils indiquent être exposés quotidiennement à des violences et disent subir beaucoup de pression, du fait des délais, de l’obligation de se rendre disponible à tout moment et de leur charge de travail. Ils renoncent souvent à se former et estiment leur exercice menacé par les évolutions technologiques. Une majorité d’entre eux envisage de quitter la profession (57 %) ou de prendre sa retraite (31 %) et exprime son pessimisme quant à l’avenir de la profession (86 %) ou à sa propre situation (77 %). Ce groupe semble avoir été très touché par la pandémie, puisque 46 % d’entre eux disent faire face à une baisse d’activité, 26 % estimant même que la vie de leur cabinet est menacée.
Le directeur de l’Observatoire, Roy Spitz, remarque que le nombre de personnes entrant dans la catégorie des insatisfaits est en augmentation. « C’est inquiétant car ce sont des profils qui ne pensent pas pouvoir faire autre chose et se sentent prisonniers dans leur métier », observe-t-il. Il constate dans le même temps que le profil des avocats traditionnel a, quant à lui évolué, et note que de plus en plus de personnes exerçant en individuel, quelle que soit la typologie à laquelle elles appartiennent, ne voient pas comment évoluer dans leur carrière sans rejoindre d’autres personnes.